Domaine des dieux

Tribune

Domaine public et religion empruntent rarement le lit d’un long fleuve tranquille 1. La reconstruction de Notre-Dame de Paris en fournit un nouvel exemple iconique. Les (saintes) larmes à peine asséchées, la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale – et ses dérogations au droit commun – avait d’emblée suscité la discorde 2. Depuis, l’attitude clignotante – du moins alléguée – de la Ville-lumière n’a pas manqué d’alimenter la controverse.

Dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale 3, la députée Sophie Mette avait déploré en février dernier l’abjuration de la ville de Paris, relevant qu’« après avoir annoncé un don de 50 millions d’euros au lendemain de l’incendie, [elle] n’a finalement pas participé à la collecte », préférant consacrer le capital – c’est péché ! – « au réaménagement des abords et à l’amélioration de l’accès à l’édifice, la ville de Paris étant propriétaire du parvis et des abords immédiats de la cathédrale ». Charité bien ordonnée commence par soi-même 4.

Plus encore, la parlementaire s’était émue que la ville entende 5 soumettre à redevance (3,4 millions d’euros par an) pour occupation du domaine public le chantier de reconstruction. « Il n’est pas envisageable de faire prendre en charge par la générosité publique des redevances qui représentent plusieurs millions d’euros, au profit de la maire de Paris », implorait l’élue éplorée. Dans un premier temps – péchant par omission ? –, la ville invoquait la « règle de droit commun qui s’applique à l’ensemble des chantiers, publics ou privés, qui ont une emprise sur l’espace public ». Oubliant ainsi – mauvaise foi ou défaut d’exégèse ? – la voie (con)sacrée par l’article 11, II, 2° de la loi de 2019 précitée, qui dispose précisément que « par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2125-1 du [CGPPP], l’autorité compétente peut délivrer gratuitement les titres d’occupation du domaine public ». Mais la maire de Paris a fait pénitence. S’en remettant à ses saints, le premier adjoint Emmanuel Grégoire fut chargé d’aller à Canossa le 22 mars dernier pour annoncer l’exonération de redevances.

Les choses semblent désormais rentrer dans l(es)’ ordre(s). Le 27 juin, le jury présidé par Anne Hidalgo – avec les représentants de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et du Diocèse de Paris – annonçait le projet lauréat pour le réaménagement des abords de la cathédrale. La mairie décrit ainsi le dessein : « Le nouveau parvis est conçu comme une clairière (sic), qui met en valeur la façade orientale de Notre-Dame dans un écrin végétal. Les arbres autour offriront des assises à l’ombre, tandis qu’une fine lame d’eau de 5 millimètres de haut ruissèlera ponctuellement pour rafraichir le parvis en temps de grandes chaleurs, créant des reflets éphémères. L’espace derrière la cathédrale (…) deviendra un grand square continu entre le chevet et la Seine autour d’une pelouse généreuse [honnie soit la canicule !] qui s’ouvre sur les arcs-boutants et les vitraux. L’ancien parking souterrain, situé sous le parvis actuel, sera transformé en une promenade intérieure [qui] offrira de nouvelles expériences aux visiteurs ». Et « la rue du Cloître sera apaisée et végétalisée ». Plus qu’un retour de la nature en ville, mantra à la mode, une sorte de jardin d’Eden. Ou un domaine des Dieux, mais à Lutèce, cette fois. « Vous qui en avez assez de l’atmosphère empuantie de l’urbs, de la trépidation d’une vie frénétique, un air pur et embaumé vous attend » !

V. par ex. Ph. Yolka, note sous CAA Lyon, 29 avr. 2021, n° 19LY04186 : Dr. Voirie 2021, p. 113 et R. Victor, concl. sous CE, 11 mars 2022, n° 454076 : Dr. Voirie 2022, p. 94 sur la même affaire.
2 V. L. Touzeau-Mouflard, Loi Notre-Dame de Paris : déconstruire le droit pour reconstruire le patrimoine ? : Dr. Voirie 2019, p. 198.
3 AN, 16 févr. 2022, rapp. n° 5042.
4 Le vœu relatif au projet d’aménagement des abords de la cathédrale voté lors du conseil de Paris de mars dernier arguait que « la cathédrale et ses abords proches, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, forment un ensemble cohérent » ou encore que « les abords de la cathédrale ont été endommagés par l’incendie » et « que les travaux de sécurisation du monument ont également nécessité des interventions et installations conséquentes sur l’espace public des abords ». 
5 Ce que la municipalité conteste : « Aucun document juridique n’a jamais prévu de faire verser cette redevance », défendait Emmanuel Grégoire lors du conseil de mars dernier.

Frédéric Fortin : Domaine des dieux

Frédéric Fortin