Cours & Tribunaux
CE, 17 oct. 2022, n° 459219, Assoc. FNE Île-de-France et a. : Lebon, T.
CE, 17 oct. 2022, n° 464620, Assoc. Collectif triangle de Gonesse et a. : Lebon, T.
Si, par l’effet du 5° de l’article R. 311-2 du code de justice administrative, la cour administrative d’appel de Paris est compétente en premier et dernier ressort pour connaître, par dérogation aux règles générales fixées par le code de justice administrative quant à la compétence de premier ressort des juridictions administratives de droit commun, de l’ensemble des litiges relatifs aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux opérations foncières et immobilières et aux opérations de construction d’infrastructures, d’équipements et de voiries menées en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, c’est à la condition que ces opérations puissent être regardées, au vu notamment du dossier de candidature de Paris pour ces Jeux, comme étant nécessaires, même pour partie, à la préparation, à l’organisation ou au déroulement de cet événement.
CONCLUSIONS
Nous avons déjà eu l’occasion à ce pupitre de citer le constat du président Odent sur les questions de répartition de compétence au sein de la juridiction administrative : « Les raisonnements à suivre incitent les esprits au byzantinisme et aux plus subtiles des distinctions. Tout cela pour dégager des solutions souvent contestables et arbitraires, très rarement opportunes ».
Les affaires qui viennent d’être appelées illustrent une nouvelle fois la difficulté à trouver des critères simples à appliquer quand on cherche à déroger aux règles normales de compétence. Et faute de critères simples, les solutions peuvent se prêter à une critique comme celle du président Odent.
Ces affaires vous conduiront à prendre position sur la compétence de premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel (CAA) de Paris qui résulte du 5° de l’article R. 311-2 du code de justice administrative. Cette compétence d’attribution de la CAA de Paris a été introduite par le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 dont l’objet principal est d’introduire ce nouvel alinéa à l’article R. 311-2.
En vertu de cette disposition et en dehors des cas de compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État, la CAA de Paris est compétente pour connaître en premier et dernier ressort : « […] 5° À compter du 1er janvier 2019, des litiges, y compris pécuniaires, relatifs à l’ensemble des actes […] afférents : – aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu’aux voiries dès lors qu’ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. » La cour est également compétente pour les documents de toute nature, notamment les documents d’urbanisme et d’aménagement, en tant qu’ils conditionnent la réalisation des opérations, infrastructures, équipements et voiries mentionnés à l’alinéa précédent. Le dernier alinéa lui donne enfin compétence pour les constructions et opérations d’aménagement figurant sur la liste fixée par un décret. Ce décret n° 2019-95 du 12 février 2019 a toutefois une portée limitée à des opérations très particulières sans incidence avec les actes en cause ici.
La première affaire concerne une autorisation environnementale accordée à la société du Grand Paris pour la création et l’exploitation de la ligne 17 Nord du réseau de transports du Grand Paris Express entre le Bourget (Seine-Saint-Denis) et le Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). Le tribunal administratif (TA) de Montreuil a été saisi et a estimé que cet arrêté était entaché de vices régularisables. Il a par un jugement avant dire droit ouvert la voie de cette régularisation. Saisie en appel de ce jugement, la CAA de Versailles a estimé que c’était la CAA de Paris qui était compétente en premier et dernier ressort ; elle a annulé pour ce motif le jugement et a transmis l’affaire à la CAA de Paris. Celle-ci a rejeté la demande des requérantes contre l’arrêté litigieux et vous êtes saisi en cassation d’un pourvoi contre cet arrêt.
La seconde affaire concerne la modification du PLU de la commune de Gonesse, afin de permettre les travaux concernant la création d’une gare au Triangle de Gonesse sur la ligne 17 Nord du réseau de transports du Grand Paris Express. Elle n’a pas fait l’objet de décision au fond. Le TA de Cergy-Pontoise a estimé que la CAA de Paris était compétente en premier et dernier ressort et lui a transmis l’affaire, mais la présidente de la cour a, à son tour, transmis la demande au président de la section du contentieux du Conseil d’État, en vue du règlement de la question de compétence, en application du deuxième alinéa de l’article R. 351-6 du code de justice administrative.
1. Nous commencerons par la seconde affaire qui pose la question de compétence de la façon la plus pure. S’agissant de la modification du PLU pour permettre la création d’une gare de la ligne 17, la compétence de la CAA de Paris devrait résider dans le fait que ce document d’urbanisme conditionne la réalisation d’une infrastructure, nécessaire, même pour partie seulement, à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
La notion d’infrastructure nécessaire à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques conduit à imaginer une compétence par cercles concentriques, pour lesquels plus on s’éloigne du centre, moins la ligne de partage est nette.
Au plus près du centre, il y a les constructions et infrastructures dont la création à pour raison d’être les JO. Il en va ainsi des constructions dont la création était spécifiquement prévue dans le dossier de candidature de Paris pour les Jeux Olympiques et Paralympiques et dont la réalisation n’est envisagée que si cette candidature est retenue.
Un peu plus loin du centre sont assimilables à ces créations des projets conçus antérieurement et indépendamment des JO, mais ultérieurement intégrés dans le programme de travaux d’aménagement des infrastructures du dossier de candidature aux JO. C’est ainsi que vous n’avez pas admis1 des pourvois contre des arrêts de la CAA de Paris en premier et dernier ressort relatif à un arrêté préfectoral déclarant d’intérêt général les travaux nécessaires à l’aménagement du système d’échangeurs de Pleyel (A86) à Porte de Paris (A1) à Saint-Denis qui avait été intégré à ce dossier et qui était en outre financé par l’établissement public national Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques), en considérant implicitement que la cour était bien compétente.
Un peu plus loin encore du centre figurent d’autres constructions et aménagements, dont la création a pu être décidée après la candidature de Paris aux JO ou son obtention, mais cette décision a pris en compte la nécessité de la construction ou de l’infrastructure pour la préparation, l’organisation ou le déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. On peut imaginer que des projets bénéficiant de financement de Solideo bénéficieront par exemple d’une présomption d’applicabilité de la règle de l’article R. 311-2 5°.
Il nous parait également pertinent d’estimer qu’un projet qui répondait aux conditions initiales déjà évoquées et qui, en raison d’événements extérieurs, verrait son calendrier de livraison finalement repoussé après les JO pourrait malgré tout relever de la compétence de premier et dernier ressort de la CAA de Paris. Le raisonnement que nous privilégions ici n’est pas celui de l’effet utile de la règle de compétence, effet utile qui vise ici à permettre de juger rapidement une affaire en lien suffisamment directement avec les JO, puisqu’il s’agit d’un projet qui ne sera en définitive pas utile aux JO. Le raisonnement est celui de la simplicité et, autant que faire se peut, de la stabilité qui devrait gouverner la règle de compétence juridictionnelle : un changement de circonstance de fait ne devrait pas entrainer pour le juge initialement saisi à juste titre, et qui peut avoir engagé l’instruction de l’affaire, des hésitations sur la persistance de sa compétence.
En l’espèce, le fait que le programme de la ligne 17 ait été décalé en raison de la crise sanitaire et que son calendrier de livraison ne soit désormais plus compatible avec les JO ne doit donc pas suffire à écarter la compétence de l’article R. 311-2 5°. Mais cela affaiblit malgré tout l’idée que cette ligne de métro soit nécessaire aux JO, puisque sa livraison postérieurement aux JO ne remet pas en cause la préparation, l’organisation et le déroulement des JO en 2024.
Nous sommes donc ici dans la zone du cercle le plus éloigné qui permettrait de retenir la compétence de la CAA de Paris, et il nous semble que nous sommes assez nettement au-delà de ce qui justifierait cette compétence, car le fait qu’une infrastructure puisse être utile aux JO ne signifie pas qu’elle soit nécessaire. Il est vrai que la ligne 17 est mentionnée dans le dossier de candidature des JO. Y figurent plusieurs tableaux, l’un d’eux rappelant le réseau de transport en commun existant, et la ligne 17 est mentionnée dans un autre tableau au titre de l’« infrastructure de transport prévue qui serait utile pour les jeux ».
Mais le dossier de candidature comporte de nombreuses autres rubriques, vantant par exemple la qualité du système de santé et la liste des hôpitaux situés à moins de 30 km du village olympique, un réseau électrique national fiable et robuste, un soutien fort et des objectifs ambitieux en matière d’énergie renouvelable ou les objectifs du plan France Très Haut Débit (THD) tendant à ce que l’ensemble de la population soit éligible au THD. On peinerait à justifier que l’ensemble de ces éléments, réseaux et infrastructures existants, à construire, à développer ou à rénover, puisse du seul fait de leur utilité ou de leur contribution à l’attractivité de la candidature de Paris, entrer dans les prévisions de l’article R. 311-2 5°.
C’est nettement le cas dans l’affaire n° 464620, où le PLU a été modifié afin de permettre les travaux concernant la création d’une gare au Triangle de Gonesse sur la ligne 17, gare qui par elle-même est sans rapport direct avec les JO. Dans ces conditions les règles normales de compétence s’appliquent dans cette affaire ; vous attribuerez son jugement au tribunal de Cergy-Pontoise.
2. Dans l’affaire n° 459219, le sujet est de plus grande ampleur, puisque c’est l’autorisation environnementale pour la création et l’exploitation de la ligne 17 Nord qui a été attaquée. Pour autant, ce que nous avons analysé quant au lien trop distendu entre cette infrastructure et les JO demeure, qui devrait conduire à écarter la règle dérogatoire de compétence de l’article R. 311-2 5°.
2.1 La CAA de Paris a toutefois statué sur cette requête en premier et dernier ressort, et vous êtes saisi en cassation d’un moyen contestant cette compétence.
En défense le ministre soutient que le moyen serait inopérant selon un raisonnement en deux branches.
La première branche relève que c’est la CAA de Versailles qui a estimé que la CAA de Paris était compétente, et le ministre estime que c’est contre l’arrêt de Versailles, qui n’a pas été attaqué, que cette critique aurait dû être formulée. La société du grand Paris tient le même raisonnement.
Vous jugez pourtant de longue date et par analogie qu’un jugement transmettant au Conseil d’État une affaire ne relevant pas de sa compétence, « comme l’ordonnance qui aurait pu intervenir aux mêmes fins », n’est pas susceptible de recours2.
Mais vous faites une exception, dans l’hypothèse, qui est la nôtre, où une cour ne s’est pas contentée de transmettre l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente mais a exercé son pouvoir juridictionnel en annulant un jugement3. Il était donc effectivement loisible aux parties de contester l’arrêt de la CAA de Versailles qui a estimé incompétent le tribunal administratif et a transmis l’affaire à la CAA de Paris. Toutefois la compétence est d’ordre public et la compétence de la CAA de Paris devrait normalement pouvoir être discutée, y compris pour la première fois devant le juge de cassation.
« Normalement », mais sans doute pas en l’espèce, car c’est la seconde branche du moyen de défense qui nous parait devoir être accueillie. Elle s’appuie sur les dispositions particulières du code de justice administrative relatives au règlement des questions de compétence. Le ministre se prévaut de l’article R. 351- 9 du code pour soutenir que la compétence de la CAA de Paris ne peut plus être discutée devant vous.
Aux termes de cet article, « lorsqu’une juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application du premier alinéa de l’article R. 351-3 n’a pas eu recours aux dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 351-6 ou lorsqu’elle a été déclarée compétente par le président de la section du contentieux du Conseil d’État, sa compétence ne peut plus être remise en cause ni par elle-même, ni par les parties, ni d’office par le juge d’appel ou de cassation, sauf à soulever l’incompétence de la juridiction administrative. »
Tel est en effet la configuration de l’affaire : la CAA de Versailles a transmis l’affaire à la CAA de Paris en application de l’article R. 351-3, la CAA de Paris qui n’a pas eu recours aux dispositions du 2e aliéna de l’article R. 351-6 comme elle l’a fait dans l’affaire dont nous avons parlé en premier.
Votre jurisprudence jusqu’à présent s’est essentiellement portée sur les cas dans lesquels le président de la section du contentieux a désigné la juridiction compétente, c’est-à-dire sur le second cas de figure envisagé par ces dispositions : voyez notamment, sur l’intangibilité de cette attribution de compétence par le président de la section, votre décision Société coopérative agricole de Brienon 4.
Il vous faut donc faire application du premier cas de l’article R. 351-9, qui rend indiscutable la compétence d’une juridiction, non pas parce qu’une décision réglant cette compétence a été prise par le président de la section du contentieux, mais par un enchainement de décisions successives : une première juridiction estime que l’affaire relève d’une autre juridiction et lui transmet l’affaire ; la seconde juridiction ne demande pas au président de la section du contentieux de régler la question de compétence au sein de la juridiction administrative.
Notons que cette abstention de la seconde juridiction peut tout à fait correspondre à un cas où elle estime ne pas être compétente, mais simplement, n’ayant pas fait usage des dispositions du 2e alinéa de l’article R. 351-6 dans le délai de trois mois prévu par ce texte, elle ne peut plus le faire… 5. Et un requérant qui contesterait cette compétence n’aurait en réalité aucun moyen de le faire, ni devant la cour, ni devant vous.
Nous nous sommes un instant interrogé sur la pertinence de cette règle dont on peut rappeler qu’elle a été introduite dans une seconde étape de la régulation interne de la juridiction administrative. La première étape, la réforme de 1972, avait organisé un mécanisme centralisé, par lequel une juridiction du fond qui s’estimerait incompétente au sein de la juridiction administrative demandait au président de la section du contentieux de trancher la question de compétence en attribuant le jugement de l’affaire au bon tribunal administratif. La réforme de 2002 a mis en place un système plus déconcentré, puisqu’avec l’article R. 351-3, il est désormais possible à une juridiction de transmettre une affaire directement sans passer par le président de la section du contentieux. C’est seulement si la juridiction destinataire s’estime incompétente que la question a vocation à être tranchée par le président de la section du contentieux, en faisant usage du 2e aliéna de l’article R. 351-6.
L’esprit est donc le même en 2002 qu’en 1972, en ce qu’il s’agit essentiellement de régler des questions de compétence territoriale, mais en déconcentrant le règlement des difficultés autant que faire se peut. On voit que notre cas de figure déplace un peu l’objectif initial, la question n’étant plus seulement de déterminer le tribunal administratif territorialement compétent mais aussi d’envisager une compétence de premier et dernier ressort d’une cour administrative d’appel, compétence de moins en moins anecdotique comme en témoigne les articles R. 311-2, R. 311-3 et R. 311-5 du code.
Mais ce déplacement ne nous parait pas permettre de faire une application différenciée de l’article R. 351-9, qui serait en réalité inopportune : comme les conclusions que nous sommes en train de prononcer l’illustrent mal, les discussions les plus courtes sur l’application des règles de compétence au sein de la juridiction administrative sont les meilleures, d’abord dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
C’est à cela que sert l’article R. 351-9, en évitant de prolonger les débats sur cette question préalable, les parties ayant eu l’occasion de contester l’arrêt de la CAA de Versailles s’ils le croyaient utile, la CAA de Paris ayant eu un délai de trois mois pour faire usage de l’article R. 351-6. Aucun de ces leviers n’ayant été actionné, la compétence de la cour administrative d’appel en premier et dernier ressort ne peut plus être remise en cause alors même que c’est la CAA de Versailles qui aurait dû être compétente en appel. Vous écarterez donc ce premier moyen pour ce motif.
[…] Ndlr : Les développements concernant les autres moyens du pourvoi qui se concentrent sur le volet Dérogation aux espèces protégés de l’autorisation environnementale en litige ne sont pas reproduits.
Par ces motifs, nous concluons :
● dans l’affaire n° 459219, au rejet du pourvoi et du surplus des conclusions ;
● dans l’affaire n° 464620 à l’attribution du jugement de l’affaire au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
1 Affaires n° 447223 et n° 455749 s’agissant de la DUP du même projet.
2 CE, 30 mars 1984, n° 55518 et 55882, Sté Coignet Pacifique : Lebon, T. p. 715 ; 28 juin 1985,n° 44626, 45377, Office national des forêts : Lebon, T. p. 742 ; 20 févr. 1989, n° 100341, 101568 : Lebon, T. p. 872.
3 CE, 27 juill. 2005, n° 249426, Assoc. Dijon football Côte d’Or : Lebon, T.
5 CE, 29 juill. 2020, n° 435998 : Lebon, T.

Stéphane Hoynck
Rapporteur public