La location de la chose d’autrui, vice contractuel d’une particulière gravité

En bref…

CAA Marseille, 21 mars 2022, n° 21MA04247, A. et Eurl MCV c./ Cne de Saint-Martin-de-Londres

Il existe en droit privé de fort belles pages consacrées au « bail sur la chose d’autrui », l’idée générale étant que le fait de donner en location un bien dont on n’est pas propriétaire n’est pas ipso facto constitutif de dol, mais que le contrat – valable dans les relations entre les parties, en l’absence de trouble de jouissance du bien loué – s’avère inopposable au propriétaire n’ayant pas consenti à l’opération. Il est plus rare que cette problématique intéresse le droit public, ce qui était le cas en l’espèce à propos d’un bien du domaine public ; et l’issue est rude, comme le montre cet arrêt qui constitue l’épilogue – provisoire ? – d’un petit feuilleton contentieux ayant déjà connu les honneurs du Palais-Royal (CE, 22 oct. 2021, n° 443040 : Contrats – Marchés publ. 2022, comm. 23, obs. Muller ; Dr. Voirie 2022, p. 64, chron. Roux ; JCP A 2022, 2013, chron. Deliancourt ; LPA 28 févr. 2022, p. 83, note Avallone. Auparavant, CAA Marseille, 19 juin 2020, n° 18MA02642).

Une commune de l’arrière-pays montpellierain avait conclu en 2011 avec un menuisier un « bail de locaux d’exploitation » portant sur un hangar, auquel le maire décida de mettre fin en 2015. L’artisan ayant entrepris de saisir la justice, une question était de savoir laquelle – administrative ou judiciaire ? – s’avérait compétente, ce que le statut domanial des locaux devait déterminer. Sur renvoi du Conseil d’État, la cour administrative de Marseille retient ici la domanialité publique, le bâtiment ayant été acquis par le département de l’Hérault en 1981, affecté à la prévention et à la lutte contre les feux de forêts (missions de service public) et spécialement aménagé à cet effet (condition requise, avant l’entrée en vigueur de la partie législative du CGPPP au 1er juillet 2006).

Le département ayant cédé en 1998 cet ensemble immobilier à la commune sans le déclasser, celui-ci n’avait donc pas cessé d’appartenir à son domaine public ; en sorte que le litige afférant au « bail » portait en réalité sur la résiliation d’un contrat d’occupation du domaine public et relevait pour cette raison au contentieux du juge administratif(CGPPP,art.L.2331-1), compétent pour connaître d’une action en reprise des relations contractuelles par application de la jurisprudence dite Béziers 2 (CE, 21 mars 2011, n° 304806, Cne de Béziers : GAJA n° 106-II).

Dans ce dernier cadre, les conclusions doivent être rejetées si les vices qui affectent le contrat sont d’une gravité telle qu’elles en justifieraient la résiliation ou l’annulation au titre d’un recours en contestant la validité (D. Thebault, Les « vices d’une particulière gravité » affectant le contrat administratif : tentative de clarification. D’un juge réparateur à un juge censeur : RDP 2021, p. 945). C’était en l’occurrence le cas, la location de la chose d’autrui entachant radicalement le « bail » et excluant toute reprise des rapports contractuels.

Philippe Yolka : La location de la chose d'autrui, vice contractuel d'une particulière gravité

Philippe Yolka
Professeur de droit public – Université Grenoble Alpes