En bref…
CAA Paris, 29 déc. 2022, n° 21PA06087, Département de la Seine-Saint-Denis
Les usages privatifs du domaine public étant normalement soumis à redevance (CGPPP, art. L. 2125-1), le tracé de la frontière avec les usages collectifs – d’ordinaire, gratuits – donne lieu à d’âpres joutes dans les prétoires. La jurisprudence regorge ainsi d’exemples qui montrent des corporations variées – de certains professionnels du droit à des loueurs de parasol… – saisir les juridictions administratives avec des fortunes diverses pour échapper à la dîme, en se prévalant d’utilisations du domaine public sans caractère privatif.
Cet arrêt présente l’intérêt du cas-limite n’ayant pourtant rien d’exceptionnel en pratique (si l’on songe au nombre de zones commerciales agrémentant les abords de nos belles agglomérations). Le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis avait délivré à la société Espace Expansion, syndic de la copropriété que constitue le centre commercial géant Rosny 2 (propriété du groupe Unibail-Rodamco-Westfiel), une autorisation domaniale visant à régulariser de manière rétroactive l’occupation de sept accès à la voirie départementale dont dispose ledit centre, l’avait assujettie au paiement de redevances ainsi qu’à des obligations d’entretien de la voirie. Deux titres exécutoires furent émis en conséquence, contestés avec succès par cette société en premier ressort au motif qu’un usage majoritaire de fait par les employés et clients d’un centre commercial ne permet pas de caractériser en droit une utilisation privative de la voirie (qui appellerait un régime d’autorisations délivrées à titre onéreux).
Le juge d’appel confirme l’existence d’une erreur de qualification juridique des faits, un usage majoritaire n’excédant pas le droit d’usage ouvert à tous et ne s’avérant dès lors pas privatif. En tant que telle, cette position n’a rien d’hétérodoxe (v., considérant que l’affectation du domaine public à l’usage direct du public n’exclut pas l’usage par les clients d’un parc de loisirs, CE, 15 déc. 2016, n° 385796, Sté Euro Disney Associés). Elle s’inscrit dans une tendance favorable à des opérateurs économiques qui peuvent ainsi faire par clientèle interposée un usage avantageux du domaine public ; utilisation réputée collective et gratuite, tant qu’il n’y a pas une privatisation totale de l’usage des biens. Il n’est que de se remémorer pour être convaincu de la porosité des catégories en cause quelques précédents prétoriens concernant les commerces de façade (CE, 31 mars 2014, n° 362140, Cne d’Avignon : Lebon, T. ; AJDA 2014, p. 2134, note Foulquier ; Dr. adm. 2014, comm. 36, note Giacuzzo ; JCP A 2014, 2236, note Lohéac- Derboulle ; RJEP 2014, comm. 34, concl. Escaut) ou encore les établissements de plage (CE, 12 mars 2021, n° 443392, SHEP : AJDA 2021, p. 1431, chron. Malverti et Beaufils ; Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 155, note Soler-Couteaux ; Dr. adm. 2021, comm. 34, note Éveillard ; Dr. Voirie 2021, p. 63, concl. Victor ; JCP A 2021, 2261, comm. Touzeil-Divina).
La motivation retenue en l’espèce trahit quand même un léger malaise : relever que la circulation des véhicules à destination de Rosny 2 « n’empêche pas la circulation des autres usagers » et qu’elle est « compatible avec l’affectation du domaine public routier », c’est s’inscrire dans un registre d’analyse habituellement mobilisé à propos des utilisations privatives du domaine public.

Philippe Yolka
Professeur de droit public
Université Grenoble Alpes