Tribune
« À Nice Côte d’Azur, les animaux sont toujours les bienvenus », vante sur les réseaux sociaux l’office de tourisme métropolitain. Le 26 mars, il organisera même avec la ville, sur la Promenade des Anglais, une « triomphante et chaleureuse marche des animaux » – sans doute moins mélodieuse que le Carnaval. Un amour a priori sans exclusive, puisque l’annonce est accompagnée d’une photo de deux lamas promenés en laisse. À une exception près, toutefois : les animaux du cirque. « Je refuse d’accueillir des cirques qui exploitent des animaux sauvages », édicte le maire de la ville, Christian Estrosi. « J’ai pris une décision il y a maintenant trois ans de cela par un arrêté qui
interdit les cirques ayant des animaux, et donc naturellement cet arrêté n’ayant pas été rejeté par le contrôle de légalité, j’entends bien continuer cette politique que nous avons mis en œuvre à Nice », précisait-il lors de son récent tour de piste (un retour aux sources) « sur le terrain de la métropole occupé illégalement par le cirque Zavatta ». Un numéro au cours duquel il a montré les muscles et sa détermination (quand élu fâché, lui toujours faire ainsi) et qu’il a fort médiatisé, même si réalisé avec filet – les forces de l’ordre étaient présentes en masse. « Depuis que je suis maire, chaque fois qu’on a voulu occuper le domaine sans droit ni titre, nous avons obtenu le même résultat », se félicitait-il à juste titre après que le tribunal judiciaire de Nice a ordonné l’expulsion de ces « délinquants venus envahir sans droit ni titre un terrain ». Force doit rester à la loi. Et « la ville de Nice ne négociera pas avec ceux qui sont restés dans l’illégalité », prévient Christian Estrosi.
Le hic est que d’aucuns soupçonnent un tour de passe-passe, ledit arrêté semblant avoir disparu du recueil des actes administratifs de la ville comme un vulgaire lapin de magicien. Sollicités, les services de la mairie n’ont eux-mêmes pu le faire réapparaître – il faudra faire un peu de ménage(rie) ! Et quand bien même, et plus encore, si arrêté il y a bien, le contrôle de légalité aurait dû le rejeter, puisqu’illégal. Jusqu’en 2028 – date d’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 30 novembre 2021 1 qui interdisent, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant les espèces d’animaux non domestiques –, aucun texte ne donne en effet au conseil municipal le pouvoir d’interdire des cirques détenant des animaux sauvages sur le territoire communal. C’est ce que vient de juger, après bien d’autres, la cour administrative d’appel de Douai 2, rappelant les limites au bon vouloir du maire.
Cette salade n’est pas que niçoise. Depuis plusieurs années, les arrêtés municipaux interdisant les cirques avec animaux se multiplient dans l’Hexagone. Avec une issue contentieuse toujours identique : l’annulation. Redoutant une envolée du phénomène avec la nouvelle loi, le ministre de l’intérieur avait, dès le 8 décembre 2021, enjoint par circulaire aux préfets de rappeler aux maires l’état du droit et de recenser auprès des collectivités et des propriétaires privés les terrains permettant les installations des circassiens, ainsi que ceux de l’État « susceptibles d’être utilisés en recours dans les situations les plus difficiles ». Les difficultés persistant, les parlementaires confiaient peu après 3 aux préfets la mission de conduire une médiation « lorsque l’exploitant d’un cirque itinérant rencontre des difficultés pour s’établir sur le domaine public d’une commune ». Dans la foulée, le pouvoir réglementaire instituait par décret 4 des « commissions départementales des professions foraines et circassiennes », qui visent entre autres à conseiller le préfet « sur toute question ayant trait à l’installation et aux activités des professions foraines et circassiennes dans le département ». Pour l’heure, peu d’entre elles semblent avoir été créées, et encore moins réunies. Et les conflits demeurent, conduisant les représentants des cirques à plaider leur cause le 16 novembre devant l’Association des maires de France et le 5 janvier auprès de la ministre chargée de la ruralité, Dominique Faure. Mais à l’heure où la crise énergétique menace les boulangeries, et où tout le monde peut se mettre en scène sur TikTok, les jeux du cirque itinérant n’ont plus la cote. Pas plus que les fêtes foraines d’ailleurs, au moins « dans la haute » (v. p. 48). Reste que la loi 3DS n’a pas poussé la différenciation et la décentralisation suffisamment loin pour que le maire soit pleinement maître en son pays. Dura lex, sed lex.
1 L. n° 2021-1539 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.
2 CAA Douai, 8 déc. 2022, n° 21DA00323, 21DA00324, Cne d’Hénin-Beaumont.
3 L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 157
4 D. n° 2022-376, 17 mars 2022.

Frédéric Fortin