À quoi sert l’alignement individuel ?

Tribune

Juridiquement, et en l’état du droit, à rien. En tout cas, il ne peut servir à établir, justifier ou revendiquer un droit de propriété privée comme publique.
L’alignement individuel, terme concernant la délimitation d’une dépendance du domaine public routier, qu’il soit sollicité par un riverain – il s’agit d’un droit 1 – ou mis en œuvre à l’initiative de l’autorité administrative, se borne, en l’absence de plan général d’alignement (PGA), à constater les limites de fait de la voie publique 2, ainsi qu’il résulte de la rédaction de l’article L. 112-1 alinéa 3 du code de la voirie routière, sans préjudice de la propriété du sol 3.

Or, selon le 1er alinéa de ce même article, « l’alignement est la détermination par l’autorité administrative de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines. Il est fixé […] par un alignement individuel ». Il s’agit en principe de reconnaître les limites du domaine public routier, et donc les limites de la propriété publique, condition première de la domanialité publique 4.

Le 3e alinéa prévoit cependant qu’en l’absence de PGA, l’arrêté individuel « constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine. » Une telle rédaction pouvait se justifier lorsque les limites de la voie coïncidaient avec celles des propriétés publiques comme privées 5, mais débords et empiètements au fil des années ont eu raison de cette superposition tant matérielle que juridique. Des litiges portent ainsi sur ce que doit recouvrir la voie publique en tant qu’ouvrage public et ses accessoires 6. Or, n’étant ni attributif, ni translatif de propriété, l’arrêté individuel d’alignement ne peut ni être édicté par l’autorité administrative pour mettre fin à un empiètement privé sur la voie publique 7, ni être sollicité par un riverain afin de faire valoir un droit de propriété privée face à un empiètement public, c’est-à-dire une emprise irrégulière 8, laquelle n’ouvrira droit au riverain dépossédé dans les faits qu’à une indemnisation d’immobilisation pour perte de jouissance 9, et non à la perte de valeur vénale 10, prélude éventuel à une régularisation.

Ces deux alinéas de l’article L. 112-1 du code de la voirie routière se contredisent quant à leur objet, domaine public et ouvrage public, qui sont deux notions juridiques indépendantes 11 ne coïncidant pas nécessairement. Ce texte est donc naturellement et inévitablement à l’origine d’incompréhensions tant de la part de certains services techniques que de riverains, donnant lieu à litiges. Pourtant, l’alignement est essentiel en urbanisme 12 et la délimitation permet parfois de fixer la propriété publique, comme c’est le cas par exemple du domaine public ferroviaire, l’article L. 2331-1 du code des transports disposant : « En l’absence d’un tel plan, il constate la limite du domaine public ferroviaire au droit de la propriété riveraine » 13.

À quand une modification bienvenue de l’article L. 112-1 du code de la voirie routière et une réflexion plus large sur la délimitation des propriétés publiques ?

1 C. voirie routière, art. L. 112-4.
2 V. par ex. CE, 25 juill. 1917, Mil : Lebon, p. 591.
3 Par ex. CE, 30 juill. 1997, n° 155530, Cne de Bordes-le-Lez – Cass. 3e civ., 4 nov. 1998, n° 96-14.267 : Bull. civ. III, n° 206.
4 CGPPP, art. L. 2111-1.
5 V. la circulaire du 29 décembre 1964 relative à l’emprise des voies communales qui définit l’alignement individuel comme « la limite de fait du domaine public établie d’après la situation des lieux par tous moyens de preuve de droit commun ».
6 Par ex. CE, 13 févr. 2004, n° 237499 ; 5 mai 2010, n° 327239 : Lebon, T.
7 Par ex. CE, 3 juill. 1935, Enjolras : Lebon, p. 768 ; 13 juin 1984, n° 47707 : Lebon, T. ; 26 mai 2004, n° 249157 : Lebon, T.
8 T. confl., 9 déc. 2013, n° 3931 : Lebon.
9 CAA Bordeaux, 23 févr. 2017, n° 14BX03704.
10 CAA Bordeaux, 28 mars 2019, n° 17BX01012.
11 CE, 17 mars 2017, n° 397035.
12 Par ex., C. urb., art. R. 111-16.
13 D. n° 2021-1772, 22 déc. 2021 relatif à la protection du domaine public ferroviaire. V. H. Devillers, Continuité, réforme ou révolution ? : Dr. Voirie 2022, p. 10.

Samuel Deliancourt