Tribune
Si la France, son législateur et son juge ont jusqu’à présent caressé le doux espoir de pouvoir échapper, au moins partiellement, aux bouleversements patrimoniaux engendrés par l’article 12 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2066 relative aux services dans le marché intérieur, il est désormais temps de traduire dans notre ordre juridique interne l’ensemble des conséquences de cet article. La Cour de justice vient de le rappeler clairement à l’Italie, État qui avait d’ailleurs déjà donné lieu à l’arrêt Promoimpresa 1, dans un contentieux concernant aussi le renouvellement automatique de concessions d’occupation du domaine public maritime. Dans ce nouvel arrêt rendu le 20 avril 2023 2, la Cour de justice précise que cet article 12 « ne s’applique pas uniquement aux concessions d’occupation du domaine public maritime qui présentent un intérêt transfrontalier certain », qu’il « ne s’oppose pas à ce que la rareté des ressources naturelles et des concessions disponibles soit appréciée en combinant une approche abstraite et générale, à l’échelle nationale, et une approche casuistique, reposant sur une analyse du territoire côtier de la commune concernée », et surtout que « l’obligation, pour les États membres, d’appliquer une procédure de sélection impartiale et transparente entre les candidats potentiels ainsi que l’interdiction de renouveler automatiquement une autorisation octroyée pour une activité donnée sont énoncées de manière inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être considérées comme étant d’effet direct ».
La frilosité et la carence du législateur français, qui n’a exercé que timidement sa compétence, ont précipité les juridictions au croisement de l’article 12 de la directive Services et de notre ordre juridique national. Position (très) inconfortable puisqu’il leur est revenu la tâche de dynamiter potentiellement nos dispositifs législatifs contraires aux principes posés par ledit article. C’est ainsi qu’après avoir jugé que l’attribution des titres d’occupation du domaine public sollicités pour des activités économiques pouvait être réalisée sans transparence ni concurrence 3, le juge administratif devait finalement revenir sur sa position en application de l’article L. 2122- 1-1 du CGPPP ou sur le fondement de l’article 12 de la directive Services 4. Cependant, les juridictions nationales restent réticentes à en tirer les mêmes conséquences à propos de la délivrance des titres d’occupation portant sur le domaine privé 5 ou des renouvellements automatiques caractérisant certaines AOT, les baux commerciaux ou les baux ruraux 6.
Pourtant, l’article 12 de la directrice Services ne souffre aucune ambiguïté quant aux modalités de délivrance et de renouvellement des autorisations dont le nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables et qui sont sollicitées pour des activités économiques : on ne peut pas cantonner au domaine public la notion d’autorisation au sens de la directive, ni continuer d’éviter de se pencher sur la question des renouvellements automatiques des autorisations d’occupation du domaine public ou privé. Notre législateur doit donc prendre ses responsabilités et adapter nos différentes lois à la lumière de cet article 12, afin d’en réaliser une lecture uniforme.
1 CJUE, 14 juill. 2016, n° C-458/14, Marion Melis et a. ; n° C-67/15 : GDDAB, 4e éd., 2022, n° 56, comm. Noguellou. 2 CJUE, 20 avr. 2023, n° C-348/22, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato c/ Cne Di Ginosa.
3 CE, sect., 3 déc. 2010, n° 338272 et 338527, Ville Paris et Assoc. Paris Jean Bouin : Lebon ; GDDAB, 2e éd., 2015, n° 51, comm. Noguellou.
4 CE, 10 juill. 2020, n° 434582, Sté Paris Tennis : Lebon ; Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 266, note G. Eckert – 2 déc. 2022, n° 455033, Sté Paris Tennis : JCP A 2023, 2033, comm. Chamard-Heim et Karpenschif ; Dr. Voirie 2023, p. 22, concl. Raquin.
5 CE, 2 déc. 2022, n° 460100, Cne de Biarritz : JCP A 2023, 2033, ibid. ; Dr. Voirie 2023, p. 22, concl. Raquin.
6 P.-M. Murgue-Varoclier, Les baux renouvelables sur le domaine privé : des incertitudes, RFDA 2021, p. 9. – Ph. Yolka, Occupation du domaine privé et mise en concurrence : le diable est dans les détails : Dr. Voirie 2019, p. 41.

Caroline Chamard-Heim