Chroniques & Opinions
Double peine pour les plaisanciers en France. Outre qu’ils souffrent d’un cruel manque de place, ils sont régis par à un cadre juridique inachevé et une pratique erratique, qui ne sont pas sans risque pour leurs droits. Ainsi, notamment, des « garanties d’usage », qu’ils doivent souvent souscrire « à l’aveugle », sans connaître la nature et le montant des travaux qu’ils financent, contre tout principe. L’octroi de ces garanties – comme plus généralement la mise à disposition d’un poste d’amarrage –, relevant de la directive « Services », devrait sans doute être préalablement précédé d’une publicité et d’une mise en concurrence, qui font aujourd’hui défaut. À tout le moins, le principe de transparence devrait être respecté.
Les plans d’eau portuaires 1 font en principe partie du domaine public, alors que ce n’est pas le cas pour l’eau de la mer 2. Si les navires de commerce ou à passagers ne sont pas soumis à une autorisation domaniale 3, en revanche, les navires de plaisance le sont.
Les ports de plaisance connaissent des particularités qui les distinguent des ports de commerce. Contrairement à ces derniers, ils sont totalement soumis aux dispositions relatives au littoral 4 résultant du livre 1er, tire II, chapitre 1er du code de l’urbanisme. Dans les bassins affectés majoritairement aux navires de plaisance, le règlement général de police des ports maritimes ne s’applique pas 5.
Les règles relatives à la sûreté portuaire ne s’imposent que pour des navires d’au moins 500 tonneaux 6. En outre, l’article 3.7 du règlement (CE) n° 725/2004 du 31 mars 2004 précise que ces prescriptions ne s’appliquent pas non plus « aux navires non propulsés par des moyens mécaniques, aux navires en bois de construction primitive, aux bateaux de pêche ou aux navires non engagés dans des activités commerciales » 7. Dès lors de nombreux ports de plaisance ne sont pas soumis à la police de la sûreté portuaire, ou peuvent l’être temporairement lors de leur fréquentation par des navires relevant de la grande plaisance ou par des navires de croisière.
Ainsi, les ports de plaisance ne sont pas des ports comme les autres 8, ils possèdent leur spécificité. Tandis que les navires de commerce doivent libérer leur poste à quai dès que les opérations de chargement ou de déchargement sont terminées, et au plus tard à l’expiration du délai fixé par les autorités portuaires, sauf pour ceux de passage, les navires de plaisance donnent lieu habituellement à une convention d’occupation du domaine public portuaire.
Une différence importante, bien qu’évidente, doit être rappelée, les ports de commerce assurent le transit des marchandises, alors que les ports de plaisance accueillent des plaisanciers qui pratiquent un loisir.
Tant le code des transports que celui du tourisme et le code général de la propriété des personnes publiques ne permettent pas d’appréhender intégralement le cadre juridique des ports de plaisance.
I. UN CADRE JURIDIQUE INACHEVÉ
La notion de port n’est pas définie en droit français 9 et la convention de Genève du 9 décembre 1923 portant statut international des ports maritimes n’est pas applicable aux ports de plaisance. Statuant en matière fiscale, le Conseil d’État a jugé 10 que les ouvrages affectés aux navires de plaisance dans un port de commerce constituaient un port de plaisance. Dans le cadre du mouvement de décentralisation, le législateur a transféré de l’État aux communes les ports réservés exclusivement à la plaisance 11 ; toutefois le Conseil d’État a atténué 12 la rigueur de ce critère en considérant qu’il s’agissait des ports dont l’activité dominante consistait à accueillir les navires de plaisance. Le législateur est intervenu pour reprendre cette qualification.
Il a fallu un avis du Conseil d’État pour déterminer la distinction entre les ports de plaisance maritime et fluviaux. En effet, à propos de l’aménagement de port Marianne sur le territoire de la commune de Montpellier, la question se posait de savoir si ce port situé sur un cours d’eau à quelques kilomètres de la mer était un port de plaisance fluvial ou maritime. Le Conseil d’État a considéré que l’ouvrage étant situé à l’extérieur de la circonscription des affaires maritimes 13, il s’agissait d’un port fluvial alors même que la plupart des navires de plaisance qui le fréquenteraient pratiqueraient la navigation maritime.
C’est la jurisprudence qui a précisé que la gestion d’un port de plaisance constituait une mission de service public industriel et commercial 14, qualification qui a pour effet de placer les relations entre les usagers et le gestionnaire du port dans un rapport de droit privé, sous réserve des exceptions fixées par la loi 15.
Dans les années 1960, le régime de la concession de port de plaisance n’avait pas encore été créé, et l’on utilisait celui de la concession d’outillage public. Cette qualification n’a pas eu n’incidence sur la nature juridique des rapports entre les usagers et le gestionnaire du port, car elle s’inscrit toujours dans le cadre d’une mission de service public à caractère industriel et commercial 16.
Si la loi définit le domaine public maritime et fluvial artificiel, c’est la jurisprudence qui consacre la notion de « domaine public portuaire » 17. Le fait que l’eau des bassins en fasse partie perturbe parfois les juridictions au point de créer une confusion sur la nature des redevances. La jurisprudence est claire sur ce point, l’amarrage d’un navire de plaisance dans un port donne lieu à une redevance d’occupation du domaine public 18. Pourtant, on trouve des décisions 19 qui entretiennent la confusion entre la redevance domaniale et les droits de port, lesquels sont des redevances pour service rendu (c’est-à-dire pour l’utilisation des ouvrages d’infrastructure portuaires comme les chenaux, les écluses, les bassins et les quais).
L’article R. 5314 -31 du code des transports définit la durée des conventions d’occupation de postes d’amarrage dans les ports de plaisance ; il dispose que « la collectivité compétente fixe par délibération la proportion de postes à quai réservés à des navires de passage ».
L’attribution des postes d’amarrage intervient selon leur disponibilité au regard du gabarit des navires et de leur affectation. Lorsque tous les postes ont été attribués, les gestionnaires de ports de plaisance créent une liste d’attente sur laquelle sont inscrits les plaisanciers en vue d’une future attribution d’une place d’amarrage. L’inscription sur cette liste donne parfois lieu au paiement d’une redevance, et le délai d’attente est variable d’un port à l’autre ; souvent il se prolonge durant plusieurs années. Cette procédure d’inscription constitue un élément de l’organisation du service public portuaire, lequel inclut à la fois « la sécurité des biens et des personnes et le bon emploi des outillages et des ouvrages du port » 20.
L’attribution et l’occupation des postes d’amarrage dans les ports de plaisance doivent nécessairement intervenir dans le cadre du service public portuaire et dans le respect des principes de la domanialité publique. Il convient d’ajouter que le droit de la consommation doit être également pris en compte alors même que les services fournis aux usagers se déroulent sur le domaine public.
II. LA NATURE INCERTAINE DES DROITS DES PLAISANCIERS
On peut comprendre l’inquiétude des plaisanciers lorsqu’on leur annonce que leurs droits sont limités. Outre le principe de précarité de l’occupation du domaine public, le fonctionnement du service public n’est pas parfaitement organisé dans les ports de plaisance.
Il a été jugé que « s’il appartient aux collectivités et personnes morales publiques, auxquelles sont affectées ou concédées les installations des ports maritimes, de permettre l’accès aussi large que possible des armements à ces installations, elles n’en sont pas moins corollairement en charge de fixer, par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des conditions d’utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité des usagers et la protection des biens du domaine public maritime » 21.
Le Conseil d’État a par ailleurs jugé qu’il y avait lieu pour le gestionnaire d’un port « à assurer l’objectif d’accès égal et régulier des usagers au service public » 22.
Ainsi la durée d’occupation des postes d’amarrage dans les ports de plaisance mentionnée à l’article R. 5314-31 du code des transports est-elle garantie ? Ce texte fixe le principe selon lequel « la disposition privative de postes à quai destinés à des navires de plaisance ne peut être consentie pour une durée supérieure à un an, renouvelable chaque année dans les conditions définies par l’autorité compétente ».
Le même article prévoit par ailleurs que « lorsque la disposition privative de postes à quai est consentie à des entreprises exerçant des activités de commerce et de réparation nautiques ou à des associations sportives et de loisirs, la durée fixée au premier alinéa est portée à cinq ans ».
Ces dispositions s’entendent sous réserve notamment du respect des règles relatives à la domanialité publique, mais aussi des principes relatifs au service public, aux mesures de police portuaire, au droit de la consommation.
Si la jurisprudence considère 23 que la redevance domaniale pour l’occupation d’un poste d’amarrage n’est pas la contrepartie d’un service rendu, mais le prix des avantages de toute nature dont bénéficie l’occupant, ne doit-on pas considérer la mise à disposition d’un tel poste comme un service ? Il résulte de l’article 4 de la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur que par « service » il faut entendre « toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération ».
Pour la Cour de justice, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » 24. En outre, toujours selon la Cour, « la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement » 25. Le juge communautaire n’a pas érigé le but lucratif en élément constitutif de la notion d’entreprise 26.
Ainsi, une commune ou une régie municipale gestionnaire d’un port de plaisance, et a fortiori une société concessionnaire, ont la qualité d’entreprise exerçant une activité économique, dès lors que des redevances sont perçues pour l’occupation des postes d’amarrage. La mise à disposition de ces derniers constitue un « service » au sens de la directive visée ci-dessus. La domanialité publique servant de support à ce service remet-elle en cause cette qualification ? Ce n’est pas le cas, comme l’a jugé la Cour de justice pour une concession de plage sur le domaine public maritime 27.
Certains objecteront que l’article 2 de la directive précise qu’elle n’est pas applicable aux services portuaires. Toutefois cette exclusion de son champ d’application concerne le secteur des transports, ce qui n’est pas le cas de la navigation de plaisance, et de surcroît, il convient de considérer que sont seulement concernés les services relevant du règlement n° 2017-352 du 15 février 2017 sur la fourniture de services portuaires et des règles communes à la transparence financières des ports, ne visant pas les autorisations d’occupation du domaine public portuaire.
Le point 54 du préambule de la directive n° 2006/123/CE du 12 novembre 2006 précise que « la possibilité d’avoir accès à une activité de service ne devrait pouvoir être subordonnée à l’obtention d’une autorisation de la part des autorités compétentes que si un tel acte répond aux critères de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité ».
Les ports de plaisance qui ont une incidence intra-communautaire 28 doivent être soumis aux prescriptions de la directive. Il s’agit de la plupart d’entre eux qui accueillent de nombreux ressortissants d’États membres de l’Union européenne.
Au regard de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, tout occupant du domaine public doit disposer d’une autorisation d’occupation, laquelle est accordée à titre précaire et personnel 29 et ne peut faire l’objet d’un transfert qu’avec l’accord du gestionnaire dudit domaine 30.
Bien que la loi n’impose pas de publicité préalable, ni de mise en concurrence pour l’octroi d’autorisations d’occupation du domaine public pour des activités non économiques, la faculté de renouvellement prévue à l’article R. 5314-31 du code des transports des autorisations d’amarrage dans un port de plaisance est-elle justifiée en droit ?
Comme l’a rappelé le Conseil d’État, « il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d’autorisation n’ont pas de droits acquis au renouvellement de leur titre ; qu’il appartient à l’administration, sous le contrôle du juge, d’examiner chaque demande de renouvellement en appréciant les garanties qu’elle présente pour la meilleure utilisation possible du domaine public » 31. Lorsqu’il existe une liste d’attente comportant plusieurs plaisanciers, le gestionnaire d’un port de plaisance devrait fixer des conditions qui éviteraient de créer des « rentes de situation » 32 au détriment des plaisanciers en attente.
En toute état de cause, le gestionnaire du domaine public ne saurait admettre des autorisations tacites 33 d’occupation dudit domaine. De surcroît, toute occupation du domaine public portuaire doit donner lieu à un titre 34.
La pratique de la navigation de plaisance est considérée comme le corollaire d’un droit fondamental, à savoir la liberté de circuler 35. En ne rendant pas, par une rotation régulière des usagers attributaires de postes d’amarrage, l’accès aux ports de plaisance, les gestionnaires de ces infrastructures portent atteinte à une liberté des plaisanciers inscrits sur une liste d’attente. Il existe une anomalie qui, semble-t-il, n’a jamais été relevée, c’est le montant de la redevance en cas de renouvellements successifs de la convention d’amarrage. En effet, le plaisancier bénéficiaire de cette mesure est simplement soumis au tarif public sans prise en compte de l’allongement de la durée d’occupation du poste d’amarrage, lors de chaque renouvellement de sa convention. Or, la durée de celle-ci constitue un avantage à prendre en compte pour le calcul du montant de la redevance domaniale 36.
Les plaisanciers en attente d’un poste d’amarrage, comme ceux qui en bénéficient, sont protégés par le droit de la consommation. La Cour de cassation a admis en effet, que les plaisanciers pouvaient contester devant les juridictions judiciaires les clauses abusives qui leur seraient imposées alors qu’ils occupent le domaine public portuaire 37. La cour d’appel de Paris a, pour sa part, déclaré non écrite en raison de son caractère abusif la clause inséré dans un contrat de location d’un emplacement pour le stationnement d’un navire de plaisance ainsi rédigée : « le présent contrat constituant une simple convention d’emplacement, il est expressément convenu que le locataire conserve garde entière de son bateau. Il déclare par ailleurs renoncer à tout recours à l’encontre du loueur en cas de dommage, d’incendie, accident ou de vol survenus à son bateau pendant la durée de la location » 38.
Selon le Conseil d’État, « le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service » 39. Ainsi, les gestionnaires de ports de plaisance ne peuvent pas occulter le droit de la consommation tant au regard de l’occupation du domaine public que de l’exploitation du service public.
Enfin, il y a lieu de déterminer si le renouvellement régulier des conventions d’amarrage constitue une mesure proportionnée à l’objectif d’accueillir des plaisanciers, le régime d’autorisation préalable pour occuper un poste d’amarrage ne saurait être légitimé par un pouvoir discrétionnaire du gestionnaire du port.
Ce régime « doit être basé sur des règles connues à l’avance, objectives, proportionnées et non discriminatoires » 40.
Comment faut-il appréhender le régime de la garantie d’usage des postes d’amarrage dans les ports de plaisance ?
III. L’ÉNIGMATIQUE GARANTIE D’USAGE DES POSTES D’AMARRAGE
L’article R. 5314-31 du code des transports limite la durée des autorisations d’occupation du domaine public portuaire à trente-cinq ans. L’article suivant dispose : « Il peut être accordé des garanties d’usage de postes d’amarrage ou de mouillage pour une durée maximale de trente-cinq ans, en contrepartie d’une participation au financement d’ouvrages portuaires nouveaux constituant une dépendance du domaine public de l’État. Le contrat accordant la garantie d’usage mentionnée ci-dessus doit prévoir que le droit attaché à cette garantie ne peut faire l’objet d’une location que par l’entremise du gestionnaire du port ou avec son accord » 41.
Plusieurs questions se posent à propos de ce régime particulier d’affectation des postes d’amarrage. Tout d’abord est-ce une autorisation d’occupation temporaire du domaine public ? Il ne faut pas nécessairement s’arrêter à la dénomination « garantie d’usage », d’autant que les maladresses rédactionnelles ne sont pas exceptionnelles. Par contre, c’est la contrepartie qui suscite la perplexité, pour deux raisons : d’une part, il s’agit du financement d’ouvrages portuaires nouveaux et, d’autre part, elle n’exonère pas du paiement de la redevance dont le principe est fixé par un texte de nature législative 42. Un texte réglementaire ne saurait aller à l’encontre d’une disposition législative.
L’article R. 5314-31 du code des transports se borne à évoquer la participation au financement d’ouvrages portuaires nouveaux destinés à faire partie du domaine public. Aucun seuil n’est imposé par le texte. De plus, au moment de souscrire la garantie d’usage, le plaisancier n’a pas en principe connaissance des caractéristiques techniques des travaux qu’il va financer. Or, il résulte de la jurisprudence que l’on ne peut imposer à un plaisancier que la participation au financement d’ouvrages qui présentent pour lui un réel intérêt. Ce n’est pas le cas, par exemple, pour les travaux d’extension du port 43.
Sous cette réserve, pour déterminer le montant de la participation au financement de certains ouvrages, il faudrait que ceux- ci soient connus lors de la signature de la convention. Comme cela est prévu pour les autorisations d’occupation du domaine public, leur durée doit correspondre en quelque sorte à la durée d’amortissement des ouvrages financés 44. Selon l’article L. 2122- 6, alinéa 3 du code général de la propriété des personnes publiques, « le titre fixe la durée de l’autorisation, en fonction de la nature de l’activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l’importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans ».
Plutôt que de recourir à la garantie d’usage des postes d’amarrage dont le régime est juridiquement discutable, les gestionnaires de ports de plaisance ont la faculté d’imposer aux plaisanciers une redevance d’équipement pour l’utilisation des ouvrages d’infrastructure (chenaux, écluses, bassins, quais…). L’article R. 5321-17 du code des transports dispose que « le produit des redevances d’équipement des ports de pêche et des ports de plaisance ne peut être utilisé qu’à des dépenses effectuées respectivement dans l’intérêt de la pêche ou de la plaisance et relatives à l’établissement, à l’amélioration ou au renouvellement et à l’entretien de tous les équipements du port et à l’amélioration des profondeurs de ses rades, passes, chenaux et bassins ».
S’agissant du financement de postes de mouillage, l’article L. 341-9 du code du tourisme permet au gestionnaire de la zone de mouillages de percevoir auprès des usagers une redevance pour service rendu ; il n’est pas prévu de participation au financement des travaux d’aménagement, lesquels de surcroît n’auraient pas un caractère portuaire puisque les zones de mouillages et d’équipements légers sont habituellement situées en dehors des limites administratives des ports 45.
La garantie d’usage est selon l’article R. 5314-31 du code des transports susceptible de faire l’objet d’une « location » par l’intermédiaire du gestionnaire du port de plaisance. Outre la circonstance que cette dénomination relève du régime des contrats de droit privé, il y aurait lieu d’écarter la qualification de convention domaniale pour désigner la garantie d’usage, qui n’a pas vocation à être louée, sur le fondement d’un texte réglementaire, en raison du caractère précaire et personnel d’une telle autorisation.
En définitive, la garantie d’usage d’un poste d’amarrage 46 pourrait constituer un droit de réservation d’un emplacement dans un port de plaisance, sous réserve qu’une autorisation domaniale soit par ailleurs accordée à son titulaire, à l’instar des licences de chauffeurs de taxi 47.
Dès lors que la gestion d’un port de plaisance constitue une mission de service public, et même si l’on admet que la garantie d’usage constitue une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, sous quelles conditions sera-t-elle accordée au regard des plaisanciers inscrits sur la liste d’attente ?
Ceux-ci ne sauraient être exclus de la proposition d’octroi de la garantie d’usage. Ils pourraient légitimement invoquer l’égalité d’accès 48 des usagers à un service public. Mais devrait-on retenir un candidat en raison de son rang d’inscription sur la liste d’attente ou organiser une mise en concurrence ? En tout état de cause, le principe de transparence doit être respecté.
Il y a lieu de rappeler que la navigation de plaisance est le corollaire de la liberté de circuler 49, et qu’il s’agit de la pratique d’un loisir qui constitue un droit fondamental 50 reconnu par l’alinéa 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789. Le droit de l’Union européenne reconnaît également le droit aux loisirs 51.
Les principes énoncés dans la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur s’appliquent pour l’octroi des garanties d’usage, et notamment le principe de proportionnalité. À propos de ce dernier, l’exercice risque d’être difficile à réaliser, surtout lorsque la nature et le montant des travaux à financer ne sont pas connus lors de la signature de la convention d’octroi de la garantie d’usage. La contribution financière versée par le titulaire doit être équitable et ne doit pas constituer une entrave à l’accès au port de plaisance par le plus grand nombre d’usagers. Si elle n’est pas en adéquation avec le service rendu ou les avantages dont bénéficient les plaisanciers, on n’est plus dans la gestion d’un service public, mais dans une activité purement financière.
CONCLUSION
Les textes diffus et parfois confus relatifs à la gestion des ports de plaisance n’assurent pas pleinement la satisfaction de l’intérêt général et de celle du droit de nombreux plaisanciers pour la pratique de leur loisir. Le manque de places 52 d’amarrage résulte en partie de la présence de navires ventouses et de l’insuffisance de stockage à terre des navires. Un tel contexte induit la recherche de capitaux importants pour financer la réalisation de nouveaux ouvrages et, par voie de conséquence, aggrave la détérioration des sites marins.
1 CE, sect., 2 juin 1972, n° 78410, Fédération française des syndicats professionnels pilotes maritimes : Lebon, p. 407 ; AJDA 1972, p. 646, concl. M. Rougevin-Baville.
2 CE, 27 juill. 1984, n° 45338, Min. de la mer : AJDA 1985, p. 47, note R. Rézenthel et F. Pitron.
3 CE, réf., 2 juill. 2003, n° 257971, Cne de Collioure : Lebon, T. ; AJDA 2003, p. 2218, note J-P Markus.
4 C. urb., art. L. 121-4.
5 C. transp., art. R. 5333-1.
6 Code ISPS, partie A, règle 2, point 1.2. 7 JOCE L 129, 29 avr. 2004, p. 6.
7 JOCE L 129, 29 avr. 2004, p. 6.
8 R. Rézenthel, Plaisance : des ports pas comme les autres : DMF 2006, p. 249.
9 R. Rézenthel, L’espace portuaire : un concept à définir : Dr. Voirie 2022, p. 84.
10 CE, 23 avr. 1997, n° 157850 à 157852, CCI de Nice-Côte d’Azur : Lebon, T. ; DMF 1997 p. 1045, note R. Rézenthel.
11 L. n° 83-663, 22 juill. 1983, art. 6.
12 CE, sect., 21 mars 2001, n° 197076, Comité de liaison pour la vie des étangs Montpelliérains : Lebon, T. ; DMF 2001, p. 638, note R. Rézenthel. V. également pour port Ariane, CE, ass., 15 oct. 1999, n° 160669 et 160813, Cne de Lattès : Lebon ; DMF 2000, p. 508 note R. Rézenthel.
13 CE, avis sect. trav. publ., 7 et 14 janv. 1992, n° 348015.
14 T. confl., 17 nov. 2014, n° 3965, CCI de Perpignan et des Pyrénées Orientales : Lebon, T. ; CE, 13 déc. 2002, n° 248591, Sté international sporting yachting club de la mer (ISYCM).
15 Notamment les autorisations d’occupation du domaine public (CGPPP, art. L. 2331-1).
16 T. confl., 11 déc. 2017, n° 4101, Sté Ryssen alcools : Lebon, T. ; 17 nov. 2014, n° 3965, préc. ; CE, 24 juill. 1987, n° 69566 à 69577, Sté Carfos : Lebon.
17 CE, 22 juill. 2021, n° 442517, Sté Mayotte channel Gateway ; 25 juin 2021, n° 442539 ; 30 sept. 2019, n° 416615, Min. de l’intérieur : Lebon, T. ; T. confl., 8 avr. 2019, n° 4157, Cie nouvelle de manutentions portuaires : Lebon, T. ; CE, sect., 19 juin 2015, n° 369558, Sté immobilière du port de Boulogne (SIPB) : Lebon ; DMF 2016, p. 944, note R. Rézenthel.
18 CE, 29 nov. 2002, n° 219244, Cne du Barcarès : Lebon ; DMF 2003, p. 617, note R. Rézenthel et A. Lemonnier de Gouville.
19 CAA Marseille, 4 nov. 2022, n° 20MA01486, X c/ Cne de Sanary-sur-Mer.
20 CE, 4 oct. 2004, n° 259525, Sarl CHT : DMF 2005, p. 278, note R. Rézenthel et G. Rebufat.
21 CE, sect., 30 juin 2004, n° 250124, Dpt de la Vendée : Lebon ; DMF 2004, p. 956, note R. Rézenthel.
22 CE, 9 juin 2010, n° 337107.
23 CE, 29 nov. 2002, n° 219244, préc.
24 CJCE, 17 juin 1987, n° 118/85, Commission c/ Italie : Rec. p. 2599 ; 18 juin 1998, n° C-35/96, Commission c/ Italie, pt 36.
25 CJCE, 23 avr. 1991, n° C-41/90, Höfner et a., pt 21 ; 11 déc. 1997, n° C-55/96, Job Centre coop., pt 21.
26 CJCE, 29 oct. 1980, n° 209/78 à 215/78, et 218/78, Van Landewyck et a. : Rec. p. 3125, pt 88 ; TPICE, 9 nov. 1994, n° T-46/92, Scottish Football Assoc. : Rec. p. II-1039.
27 CJUE, 14 juill. 2016, n° C-458/14 et C-67/1, Promoimpresa Srl. En France, la jurisprudence administrative admet désormais que l’octroi d’une autorisation d’occupation du domaine public constitue un “service” au sens de la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (CE, 2 déc. 2022, n° 455033, Sté Paris tennis : Lebon ; Dr. Voirie 2023, p. 12, concl. C. Raquin).
28 Les petits ports de plaisance dont les activités n’a pas d’influence sur les relations intra-communautaires ne sont pas soumis au régime des aides d’État : Trib. UE, 14 mai 2019, n° T-728/17, Marinvest d.o.o. et a. : DMF 2019, n° 816, p. 749, note R. Rézenthel.
29 CE, 24 nov. 2014, n° 352402, Sté des remontées mécaniques Les Houches – Saint-Gervais : Lebon.
30 CE, 18 sept. 2015, n° 387315, Sté Prest’air : Lebon, T.
31 CE, 20 mars 1996, n° 121601.
32 La rente de situation est une situation très critiquée d’une manière générale par les rapporteurs publics devant le Conseil d’État dans leurs conclusion – v. St. Hoynck sous CE, 14 oct. 2020, n° 426489 et 427736, Conseil supérieur du notariat ; C. Legras sous CE, 23 oct. 2019, n° 432657 et 432658, Conseil de l’ordre des pharmaciens de Polynésie française ; C. Legras sous CE, 7 juill. 2010, n° 328096 et 332832, Sté UCB pharma SA ; E. Geffray sous CE, ass., 8 avr. 2009, n° 271737 et 271782, Cie générale des eaux. V. également J. Mischo, sous CJUE, 20 nov. 2003, n° C-8/01, Assurandør-Societetet, pt 139 ; G. Tesauro sous CJCE, 11 mars 1992, n° C-323/90, Commission c/ Portugal.
33 CE, 21 mars 2003, n° 189191, Sipperec : Lebon.
34 CE, sect., 19 juin 2015, n° 369558, Sté immobilière du port de Boulogne : Lebon ; DMF 2016, p. 944, note R. Rézenthel.
35 CJCE, 7 mars 1996, n° C-334/94, Commission c/ France, pts 21 et 22. 36 CE, 15 févr. 1991, n° 70556, Semmaris – Rapp. CE, Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public, Doc. fr., 2002, p. 53.
37 Cass 1re civ., 8 déc. 2009, n° 08-20.413, X c/ Sté de port Deauville.
38 CA Paris, 28 juin 2011, n° 08/15977 : Lexbase n° A2958HWH.
39 CE, sect., 11 juill. 2001, n° 221458, Sté des eaux du Nord : Lebon.
40 CJUE, 17 mars 2011, n° C-128/10 et 129/10, Naftiliaki Etaireia Thasou AE, pt 57.
41 C. transp., art. R. 5314-31.
42 CGPPP, art. L. 2125-3.
43 CE, 2 févr. 1996, n° 149427, Centre nautique et touristique du Lacydon.
44 CE, 12 mai 1976, n° 85271 : Lebon ; CE, avis, ass., 16 oct. 1980, n° 327483.
45 C. tourisme, art. D. 341-2.
46 R. Rézenthel, La garantie d’usage des postes d’amarrage confrontée au droit pénal : Dr. Voirie 2020, p. 179 ; R. Rézenthel et G. Germani, La garantie d’usage des postes d’amarrage dans les ports de plaisance : DMF 2008, p. 753 ; R. Rézenthel, La garantie d’usage des postes d’amarrage à la croisée du droit public et du droit privé : DMF 2021, n° 832, p. 162.
47 CE, 25 nov. 1994, n° 140044.
48 CE, 14 juin 2021, n° 429536 ; 3 févr. 2010, n° 330184, Cne de Cannes : Lebon, T. ; 12 mars 2021, n° 443392, Sté hôtelière de la Presqu’île (SHEP) : Lebon, T. ; Dr. Voirie 2021, p. 64, concl. R. Victor.
49 CJCE, 17 mars 1996, n° C-334/94, Commission c/ France, pts 21 et 22.
50 CE, ass., 16 déc. 2020, n° 440258, 440457, Fédération CFDT des finances et a. : Lebon.
51 CJUE, 8 sept. 2020, n° C-119/19 P et C-128/19 P, Commission c/ Francisco Carreras Sequeros et a., pt 121 ; 10 déc. 2020, n° C-488/18, Finanzamt Kaufbeuren mit Außenstelle Füssen, pt 38.
52 R. Rézenthel, Le manque de places dans les ports de plaisance : DMF 2005, p. 344 ; Ph. Yolka, Places dans les ports de plaisance : une si longue attente… : Dr. Voirie 2019, p. 129.

Robert Rézenthel
Docteur en droit, avocat au barreau de Montpellier