Du statut des collections scientifiques

Tribune

Patiemment constituées au fil du temps sur les épaules de géants tel Jussieu ou Buffon, les collections scientifiques appartiennent aujourd’hui souvent à des personnes publiques (établissements d’enseignement et de recherche, collectivités). Le « grand public » en entend parler à l’occasion, (un peu) en raison des trésors cachés qu’elles recèlent, (sur- tout) ces dernières années vu les horreurs qu’il leur arrive de dissimuler (affaire des restes de victimes juives gazées par les nazis, retrouvés à l’institut de médecine légale de Strasbourg [2015] ; ou du charnier de la faculté de médecine de Paris [2019]).

Nombre de ces collections ne relèvent vu leur objet ni des bibliothèques (on s’en doute) ni des musées publics (c’est moins net et il y a des cas particuliers, comme celui des muséums d’histoire naturelle) 1 : ainsi de banques de ressources et surtout des collections universitaires, dans des domaines variés (ethnographie, sciences médicales, géologie, zoologie, paléontologie, botanique, etc.). De telles collections, dont les conditions de conservation et de valorisation soulèvent des questions complexes, présentent indubitablement « un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique » (CGPPP, art. L. 2112-1). Dans cette mesure, leur domanialité publique doit être sérieusement envisagée, même si elle n’est consacrée ni par des textes spécifiques, ni par la jurisprudence 2.

Mais la création de bases de ressources internationales – qui s’accélère avec la montée de périls notamment climatiques – pourrait rebattre les cartes, en faisant échapper les échantillons déposés dans ces collections singulières aux droits nationaux. Il existe déjà quelques illustrations intéressantes du phénomène, à l’image de la réserve mondiale de semences du Svalbard (2006), gérée sur le fondement d’un accord tripartite entre l’État norvégien, le Global Crop Diversity Trust (co-créé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et la Banque génétique nordique (organisme coopératif liant les États scandinaves). Un système de préservation des données culturelles, l’Arctic World Archive, a depuis lors (2017) vu le jour non loin.

En cours de déploiement, le projet Ice Memory s’avère instructif quant aux potentielles conséquences (a)domaniales d’une pareille « mise sous cloche ». Il s’agit d’installer en Antarctique un dépôt international de « carottes » prélevées dans les glaciers en danger, riches d’informations pour les générations futures. Extraits du domaine privé (nos glaciers en relèvent), les échantillons hexagonaux pourraient – au regard du droit français – rejoindre après prélèvement le domaine public mobilier. Mais dans la « banque des glaces » de la station Concordia (qui va être gérée sous l’égide d’un système de gouvernance internationale), ils auront vocation à relever d’un statut conventionnel ad hoc qui reste à définir (scientifiques et juristes faisant ici cordée commune). Prélever local, mais conserver global : par l’effet du réchauffement de la planète, les « carottes domaniales » pourraient bien être cuites.

1 A. Péquignot, Les muséums et les collections d’histoire naturelle : patrimonialisation et nouveaux défis pour le XXIe siècle : In Situ 30/2016 – J. Chatelain [dir.], Le statut juridique des collections des musées d’histoire naturelle, OCIM, 1991.
2 V. T. Coussens, La patrimonialisation des collections d’échantillons biologiques, Th. Toulouse I, 2021, p. 296 s. – M. Boul, La domanialisation publique, in La régulation publique des centres de ressources biologiques, LEH 2018, p. 339 – B. Vila, Les collections universitaires françaises, quelles stratégies pour le XXIe siècle ? : Bull. Soc. Linnéenne de Provence 2018, p. 53 – M. Cornu, Le statut des collections publiques d’études, in Patrimoine scientifique et technique. Un projet contemporain, Doc. fr., 2010, p. 171 – C. Cuenca, M. Cornu, J. Fromageau (dir.), Les collections scientifiques, de l’outil de connaissance à l’objet de patrimoine, L’Harmattan, 2010.

Philippe Yolka