Contentieux de la gestion du domaine privé : le “principe du tiers exclu” tient bon !

On sait que, selon le Tribunal des conflits, « la contestation par une personne privée de l’acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire », une telle position valant également à propos de la contestation des actes qui s’inscrivent dans un rapport de voisinage (T. confl., 22 nov. 2010, n° 3764, SARL Brasserie du Théâtre : GDDAB, Dalloz, 4e éd., 2022, n° 72, comm. Melleray). Classiquement, cette solution inter partes n’intéresse pas les contentieux engagés par les tiers, à l’égard desquels la compétence du juge administratif s’impose (V. par ex., CE, 7 mars 2019, n° 417629, Cne de Valbonne : Lebon ; AJCT 2019, p. 305, note Juilles ; AJDA 2019, p. 980, chron. Malverti et Beaufils ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 167, note Soler- Couteaux ; Dr. adm. 2019, comm. 35, note Éveillard ; Dr. Voirie 2019, p. 62, concl. Victor ; JCP A 2019, 2108, note Chamard- Heim – CAA Versailles, 21 juill. 2011, n° 10VE00770, Cne de Verrières-le- Buisson : JCP A 2011, act. 653, obs. Sorbara ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 354, note Eckert – CAA Lyon, 20 févr. 2018, n° 16LY00642, Assoc. de chasse Rallye Saint-Hubert – CAA Lyon, 26 juill. 2022, n° 21LY02116, Assoc. Courchevel patrimoine et environnement : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 305, obs. Muller ; Dr. Voirie 2022, obs. p. 194 – TA Montpellier, 17 mai 2011, n° 0904600, B. et Assoc. Roc Paradet : AJDA 2011, p. 1682, note Clamour – TA Rouen, 29 janv. 2013, n° 1003539 : JCP A 2013, 2250, concl. Armand).

Une récente décision du Tribunal des conflits avait toutefois pu faire naître un (léger) doute, en retenant la compétence judiciaire dans des conditions plus extensives qu’auparavant (T. confl., 13 mars 2023, n° C4260, Sarl Boucherie Cannoise : AJDA 2023, p. 473, obs. Pastor ; Contrats- Marchés publ. 2023, comm. 184, note Chamard-Heim ; JCP A 2023, act. 206 et JCP N 2023, act. 458, obs. Erstein ; JCP G 2023, p. 828, note Falgas : « L’acte d’une personne publique, qu’il s’agisse d’une délibération ou d’une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif. Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchée la responsabilité de cette personne publique à raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait »). De ce que la distinction entre contentieux administratif des actes de disposition et contentieux judiciaire des actes de gestion du domaine privé voyait ainsi son champ étendu en matière de responsabilité, sans que – dans l’espèce en cause – la qualité du requérant (partie ou tiers) ait été présentée comme déter- minante, était-il possible de déduire une volonté de revenir sur la clef de répartition fondée sur le distinguo entre contentieux des parties et des tiers ?

La présente affaire montre que, pour le Conseil d’État, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Confirmant l’arrêt d’appel (CAA Marseille, 5 juill. 2021, n° 21MA00018, SAS Les Quatre Termes), les 3e et 8e chambres réunies considèrent en effet – à propos d’une promesse de bail emphytéotique pour l’installation d’un parc photovoltaïque sur une parcelle du domaine privé communal – que « si la contestation par une personne privée de l’acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance relève de la compétence du juge judiciaire, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation de la délibération d’un conseil municipal autorisant la conclusion d’une convention ayant pour objet la mise à disposition d’une dépendance du domaine privé communal et de la décision du maire de la signer ».

Notons pour l’anecdote que la configuration ici n’était pas absolument banale : d’une part, le tiers en question était lui- même engagé dans une (autre) relation conventionnelle avec la commune en cause, en l’occurrence au titre d’un contrat de fortage (d’ailleurs susceptible de brouiller la distribution des cartes issue de l’arrêt SARL Brasserie du Théâtre, puisqu’il transcende le clivage entre actes de gestion et de disposition. V., L.-E. Spitz, Le contrat de fortage : BDEI déc. 2008, suppl. au n° 18, p. 12 – Chr. Atias, À la recherche du régime juridique du fortage : Ann. loyers 2000, p. 1817). D’autre part, les deux conventions – fortage et emphy- téose – portaient sur la même parcelle. On en vient parfois à se demander si la valorisation des propriétés publiques ne dépasse pas les bornes (y compris celles fixées par le juge judiciaire dans les relations contractuelles entre personnes privées, où la location simultanée de la même chose à des personnes différentes est illicite).

Philippe yolka

Philippe Yolka
Professeur en droit public
Université Grenoble Alpes