Sur les compétences domaniales implicites du préfet

Voici une affaire dont les faits sont parfaitement banals, mais qui donne l’occasion au Conseil d’État d’adopter une solution intéressante sur le terrain des compétences administratives (comme d’ailleurs, au second degré, juridictionnelles). Le riverain d’une baie de Corse- du-Sud y avait installé sans vergogne ni autorisation un « corps-mort » (dispositif de mouillage) pour y amarrer son bateau. L’occupation sans titre du domaine public maritime ayant été constatée par la gendarmerie, le préfet territorialement compétent devait saisir le tribunal administratif de Bastia sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (référé « mesures utiles » ou conservatoire) aux fins d’expulsion. Le démontage du dispositif lui ayant été enjoint sous astreinte, le yachtman mécontent s’est pourvu en cassation.
Sans succès, puisque le Conseil d’État confirme l’ordonnance attaquée : ceci, d’une part en rappelant l’obligation pour l’autorité domaniale de veiller à la conservation du domaine public (obligation dont le champ dépasse la poursuite des contraventions de grande voirie, qui en constitue simplement la manifestation la plus typique. V. par ex. CE, 21 nov. 2011, n° 311941, Cne de Plonéour-Lanvern : Lebon, p. 578 ; AJDA 2012, p. 551, note Ach ; RFDA 2012, p. 249, note Lavialle – CAA Paris, 11 avr. 2013, n° 12PA01598, Comité d’aménagement du VIIe arrondissement : AJDA 2013, p. 1950) ; d’autre part, en considérant que l’urgence à expulser (résultant de l’implantation d’un ancrage en béton sur les fonds marins, hors de toute zone de mouillages et d’équipements légers et dans un secteur à la sensibilité environnementale avérée) relevait de l’appréciation souveraine du premier juge.
L’apport de l’arrêt – implicite – intéresse la compétence du préfet – tout aussi implicite – pour introduire une demande d’expulsion. Celui-ci dispose d’une compétence de principe pour saisir le juge des contraventions de grande voirie (V.

JCl. Propriétés publiques, fasc. 64) ; et c’est très généralement le fondement choisi en cas d’occupation sans titre du domaine public maritime. Mais il peut advenir que l’occupation illégale, pourtant constitutive d’une telle contravention (que le préfet est tenu de poursuivre), donne lieu à une action aux fins d’expulsion en dehors de ce cadre procédural (V. JCl. Propriétés publiques, fasc. 68). Dans cette situation atypique, la compétence du préfet n’est – depuis 2011 – plus prévue par les textes, qui réservent la compétence aux ministres intéressés (ici, celui dit de la transition écologique), seuls habilités à représenter l’État devant les juridictions administratives (CJA, art. R. 431-9 s.).

Suivant les conclusions du rapporteur public Romain Victor, les 8e et 3e chambres réunies rétablissent le préfet dans ses (anciens) droits, en ces termes : « L’autorité domaniale est tenue, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale et au maintien de l’intégrité du domaine public et d’exercer à cet effet les pouvoirs qu’elle tient de la législation en vigueur. À cette fin, elle peut notamment saisir le juge administratif des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant à ce que celui-ci prononce toute mesure utile. En particulier, le représentant de l’État dans le département, chargé de la protection et de la gestion du domaine public maritime, a qualité pour saisir, au nom de l’État, sur ce fondement, le juge des référés d’une demande tendant à ce que soit ordonnée l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre de ce domaine ». Évidemment, l’hommage ainsi rendu à la législation en vigueur peut laisser perplexe, puisqu’il s’agit de faire dire aux textes le contraire de ce qui en résulte en droit positif : la référence à l’esprit des lois est une manière d’en méconnaître la lettre. Il y a là un écran de fumée argumentatif dissimulant un choix du juge motivé par des raisons d’efficacité administrative.

En arrière-plan, l’on reconnaît une logique se rattachant à la théorie des pouvoirs implicites, bien connue des constitutionnalistes comme des internationalistes (par ex., B. Rouyer-Hameray, Les compétences implicites des organisations internationales, LGDJ, 1962 – Ch. Beaugendre, La notion de compétences implicites : étude de droit comparé, Th. Amiens, 2003), mais que les administrativistes – cette affaire en fournit une illustration remarquable – auraient bien tort de méconnaître (F. Mauger, Les pouvoirs implicites en droit administratif français, Th. Paris II, 2013, dir. J. Petit).

Philippe Yolka

Philippe Yolka
Professeur en droit public
Université Grenoble Alpes


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