Favoriser la biodiversité le long des voies ferrées* – Claire Etrillard

Chroniques & Opinions

Bordées par des « dépendances vertes », les voies ferrées sont susceptibles de constituer
des espaces intéressants pour la biodiversité, pour peu qu’on y développe une gestion écologique et des pratiques d’entretien adaptées à la végétation.

Devenues indispensables à notre vie en société, les infrastructures de transport génèrent des effets négatifs sur l’environnement, tels que du bruit, de la pollution atmosphérique, des atteintes aux paysages… Force est cependant de constater que ces infrastructures permettent aussi de concentrer les déplacements humains (qui sans elles affecteraient de plus grandes surfaces naturelles). Mais surtout, leurs dépendances vertes, c’est-à-dire les surfaces d’espaces verts qui font partie de l’emprise des infrastructures (bas-côtés, talus…), peuvent également constituer des zones de refuge ou d’habitat pour la biodiversité dans les paysages anthropisés. Ces surfaces peuvent même potentiellement permettre le rétablissement de connections entre des segments de trames vertes et bleues ou des habitats isolés 1.

Dans l’important maillage que constituent les différentes infrastructures de transport (routes, cours d’eau, lignes électriques, gazoducs…), les voies ferrées présentent un certain particularisme. Édifiées à partir des années 1820, elles ont d’abord fait l’objet de concessions attribuées à quelques compagnies (les chemins de fer du Nord, de l’Est, de Paris à Orléans, de Paris à Lyon et du Midi). Puis le droit d’exploiter les concessions a été transféré à la Société nationale des chemins de fer (Sncf) en 1937 2. Société anonyme jusqu’en 1983, puis établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) jusqu’en 2020, la Sncf a aujourd’hui renoué avec le statut de société anonyme 3, mais désormais l’infrastructure et son exploitation sont dissociées de la gestion du trafic et du matériel roulant 4. L’actuel article L. 2111-1 du code des transports prévoit que la société Sncf

Réseau est « attributaire des lignes du réseau ferré national, propriété de l’État ». L’article L. 2111- 20 précise qu’elle exerce tous pouvoirs de gestion sur les biens immobiliers qui lui sont attribués par l’État ou qu’elle acquière au nom de l’État. Sncf Réseau peut accorder des autorisations d’occupation temporaire, consentir des baux…, et la société « assume toutes les obligations du propriétaire ». Ainsi, l’État est propriétaire du domaine public ferroviaire, c’est-à-dire des lignes de chemin de fer et des gares, et il les attribue à Sncf Réseau qui en assurent la gestion. Selon l’actuel article L. 2111- 9 du code des transports, « Sncf Réseau est le gestionnaire du réseau ferré national ». La propriété de l’État sur ces biens permet le maintien du patrimoine ferroviaire considéré comme essentiel dans le patrimoine public, auquel est associé le principe de la domanialité publique.

Le réseau ferroviaire, en raison de son organisation centralisée, ne s’emprunte certainement pas aussi aisément que les autres chemins continentaux (comme les voies d’eau, les routes). Il implique des véhicules conduits par un personnel dédié sur ses voies 5. Le linéaire de ce réseau ferroviaire français mesure aujourd’hui plus de 30 000 km. Il est constitué de lignes principales, de lignes à grande vitesse (environ 2 600 km), de voies de service et de garage, et de voies qui ne sont plus exploitées. L’emprise foncière totale du réseau ferré national représente environ 95 000 hectares : 34 000 de voies à proprement parler et 61 000 d’espaces situés au-delà de ces voies 6. Le domaine public ferroviaire constitue la deuxième grande catégorie de biens composant le domaine public terrestre, derrière la voirie routière. Parmi les 61 000 hectares d’espaces situés au-delà des voies, la superficie d’emprises ferroviaires potentiellement intéressantes pour la biodiversité, c’est-à-dire la superficie des dépendances vertes du réseau ferroviaire, peut être estimée à au moins 30 000 hectares 7. Il parait dès lors opportun de se demander s’il est juridiquement envisageable de mettre davantage à profit le potentiel écologique des bords de voies ferrées. Quelles évolutions pourraient permettre une meilleure gestion de la biodiversité le long des voies ferrées ? Si la biodiversité apparait aujourd’hui relativement bien prise en compte au moment de la création de la voie ferrée (I), cela semble moins le cas pendant son exploitation (II), alors qu’une gestion alternative de la végétation est pourtant envisageable (III).


I. LA PRISE EN COMPTE DE LA BIODIVERSITÉ LORS DE LA CRÉATION DE LA VOIE

Dans le souci de prévenir les atteintes générées par leur instauration, les infrastructures de transport font partie du champ d’application des évaluations environnementales. Initiés par la loi de protection de la nature de 1976 8, puis repris au niveau européen 9, ces processus préventifs visent à intégrer la question de l’environnement dès les phases amonts des projets. Les porteurs de projets doivent en effet anticiper les incidences, les effets ou les impacts de leurs projets sur les composantes de l’environnement. Si les conséquences du projet apparaissent excessives au regard de l’environnement, le projet doit être revu, voire purement et simplement abandonné.

Actuellement, en vertu de l’article L. 122-1 II du code de l’environnement, « les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas ». S’agissant des infrastructures ferroviaires, l’article R. 122-2 précise que les constructions de voies pour le trafic ferroviaire à grande distance constituent des projets soumis à évaluation environnementale, et que les autres constructions de voies ferroviaires principales de plus de 500 mètres et de voies de services de plus de 1 000 mètres, ainsi que les constructions de gares et haltes, plates-formes et terminaux modaux constituent des projets soumis à examen au cas par cas 10.

L’évaluation environnementale est un processus au cours duquel le maître d’ouvrage du projet élabore un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement (étude d’impact) et il consulte le public. L’autorité compétente, pour autoriser ou non le projet, examinera les informations présentées dans l’étude d’impact et celles reçues dans le cadre des consultations effectuées par le maître d’ouvrage. L’évaluation environnementale doit permettre de décrire et d’apprécier les incidences notables directes et indirectes du projet sur plusieurs facteurs : la population et la santé humaine ; la biodiversité ; les terres, le sol, l’eau, l’air et le climat ; les biens matériels, le patrimoine culturel et le paysage ; ainsi que l’interaction entre ces facteurs (C. env., art. L. 122-1 III). Dans les hypothèses où le projet relève d’un examen au cas par cas, l’autorité chargée de l’examen au cas par cas est saisie par le maître d’ouvrage d’un dossier présentant le projet afin de déterminer si celui-ci doit être soumis à évaluation environnementale (C. env., art. L. 122-1 IV). Si c’est le cas, le dossier présentant le projet comprenant l’étude d’impact et la demande d’autorisation déposée est transmis pour avis à l’autorité environnementale ainsi qu’aux collectivités territoriales et à leurs groupements intéressés par le projet (C. env., art. L. 122-1 V).

L’autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale doit prendre en considération l’étude d’impact, les avis de l’autorité environnementale et des collectivités territoriales, ainsi que le résultat de la consultation du public (C. env., art. L. 122-1-1 I). Cette décision est motivée au regard des incidences notables du projet sur l’environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d’ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites (séquence Éviter Réduire Compenser dite ERC). Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l’environnement ou la santé humaine.

L’article L. 122-3 du code de l’environnement vient préciser le contenu de l’étude d’impact. Celle-ci contient a minima une description du projet (localisation, conception, dimensions…), une description des incidences notables probables du projet sur l’environnement, ainsi qu’une « description des caractéristiques du projet et des mesures envisagées pour éviter, les incidences négatives notables probables sur l’environnement, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites » et une « description des solutions de substitution raisonnables qui ont été examinées par le maître d’ouvrage, en fonction du projet et de ses caractéristiques spécifiques, et une indication des principales raisons du choix effectué, eu égard aux incidences du projet sur l’environnement ». Est également attendue, « toute information supplémentaire, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et des éléments de l’environnement sur lesquels une incidence pourrait se produire, notamment sur l’artificialisation des sols et la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers ». S’agissant des infrastructures de transport, l’étude d’impact doit aussi exposer « une analyse des coûts collectifs des pollutions et nuisances et des avantages induits pour la collectivité ainsi qu’une évaluation des consommations énergétiques résultant de l’exploitation du projet, notamment du fait des déplacements qu’elle entraîne ou permet d’éviter ».

La récente construction de la ligne à grande vitesse Bretagne- Pays de la Loire illustre bien cette prise en compte préliminaire de l’environnement en amont prévue par les textes. Ses concepteurs ont cherché à intégrer les enjeux biodiversité à chaque étape du projet 11. Des modifications du tracé en amont ont permis d’éviter les sites Natura 2000 et la majorité des zones naturelles d’intérêt écologique pour la faune et la flore (Znieff ). Lors de la construction, les travaux de terrassement ont été

réalisés de manière à éviter la propagation d’espèces invasives, mais surtout les cycles biologiques des espèces végétales et animales ont été pris en compte lors de la planification des travaux sur les sites sensibles, et des transferts d’espèces avec leur substrat dans des sites hôtes ont été réalisés. Des modifications et des renaturations de nombreux cours d’eau ont aussi été mises en œuvre, ainsi que des ouvrages de franchissement adaptés (par ex. ouvrages d’enjambement de lits de cours d’eau). S’agissant des mesures de compensation des impacts résiduels, on note la volonté des concepteurs du projet d’anticiper l’acquisition des terres supports afin de réaliser par exemple des étangs de compensation avant le comblement de ceux impactés par le projet, de manière à éviter les pertes nettes de biodiversité. La gestion des sites de compensation, qui ont permis l’aménagement ou la restauration d’habitats naturels, a été confiée à des exploitants agricoles locaux. Si aujourd’hui la construction de nouvelles infrastructures de transport ferroviaire donne lieu à une véritable réflexion sur ses incidences sur la biodiversité, cette réflexion environnementale s’agissant des infrastructures dont la construction est beaucoup plus ancienne et dont l’exploitation a cours depuis des décennies apparaît moindre.


II. UNE MOINDRE PRISE EN COMPTE DE LA BIODIVERSITÉ LORS DE L’EXPLOITATION DE LA VOIE

Selon l’article L. 2111-15 du code général de la propriété des personnes publiques, le domaine public ferroviaire (DPF) est constitué « des biens immobiliers appartenant à une personne publique mentionnée à l’article L. 1 [État, collectivités territoriales et leurs groupements 12, établissements publics], non compris dans l’emprise des biens mentionnés à l’article L. 2111-14 [domaine public routier] et affectés exclusivement aux services de transports publics guidés le long de leurs parcours en site propre ». Le DPF est un domaine public artificiel affecté à un service public. Il comprend bien sûr les rails, les traverses et les ballasts, ainsi que les terrains qui leur servent d’assiette, mais également les ouvrages utilisés par les transports ferroviaires (ponts, tunnels…), les ouvrages de protection (terrassements de stabilisation des installations…), les canalisations servant à l’évacuation des eaux de ruissellement, les dépôts servant à l’entretien des voies… En vertu de la théorie de l’accessoire, il a été jugé que les terrains d’assiette, fossés, talus et terrains jouxtant les voies appartiennent au DPF 13.

Le DPF est protégé par les articles L. 2231-1 et suivants du code des transports qui dataient d’une loi de 1845 et qui ont été récemment réécrits 14. Outre l’alignement, qui permet de déterminer la délimitation du DPF au droit des propriétés riveraines, la nouvelle rédaction prévoit que les servitudes d’écoulement des eaux prévues au code civil sont applicables aux propriétés riveraines (C. transp., art. L. 2231-2 I). Il est interdit de déverser des eaux ou des substances sur le DPF (C. transp., art. L. 2231-2 II). Il est aussi interdit d’avoir « des arbres, branches, haies ou racines qui empiètent sur le domaine public ferroviaire, compromettent la sécurité des circulations ou gênent la visibilité de la signalisation ferroviaire » (C. transp., art. L. 2231-3). Leurs propriétaires sont tenus de les élaguer, de les tailler ou de les abattre afin de respecter cette interdiction. S’ils ne le font pas, des opérations d’élagage, de taille ou d’abattage des arbres, branches, haies ou racines pourront être effectuées d’office pour des raisons impérieuses tenant à la sécurité des circulations ferroviaires, aux frais du propriétaire, par le gestionnaire d’infrastructure. Des distances sont par ailleurs prévues pour édifier une construction à proximité de l’emprise de la voie ferrée, mais aussi pour creuser des terrassements, excavations ou fondations, ou encore pour effectuer des dépôts de matières ou installer des systèmes de rétention d’eau (C. transp., art. L. 2231-4 et s.).

Sur le DPF lui-même, la maîtrise de la végétation, apparait aussi nécessaire pour éviter divers incidents comme les chutes d’arbres ou de branches sur la voie, les patinages/enrayages de train liés aux feuilles mortes, les incendies ou encore les collisions avec des animaux sauvages. En pratique, Sncf Réseau distingue quatre zones différentes 15. Les deux premières sont constituées, au centre, des « voies » sur lesquelles les trains circulent et, de part et d’autre de ces voies, des « pistes de cheminement » qui sont destinées à la circulation du personnel de maintenance, voire à l’intervention des secours ou à l’évacuation des voyageurs. Dans ces deux zones, le développement de la végétation est banni puisque qu’il empêche par exemple le bon fonctionnement des systèmes de détection automatique des trains, le drainage du ballast ou encore le cheminement en toute sécurité des personnels de maintenance ou des voyageurs. Cet objectif « zéro » végétation implique le recours à des produits de traitement (herbicides) et à des trains ou camions désherbeurs. Les deux autres zones, situées au-delà des pistes, sont des « bandes de proximité » d’environ 3 mètres, puis des « abords » de largeurs variables qui vont jusqu’aux propriétés riveraines. Pour ces deux dernières zones, qualifiables de « dépendances vertes », le développement de la végétation est dans une certaine mesure envisageable.

Au niveau des voies et des pistes, aucune végétation n’est en principe tolérée. Des trains désherbeurs s’insèrent dans le trafic ferroviaire pour pulvériser des herbicides totaux homologués par l’Anses pour un usage en zone non agricole, en tenant toutefois compte des facteurs météorologiques afin de limiter les risques de dispersion. Grâce au GPS connecté à un système d’information géographique, la pulvérisation d’herbicide est automatiquement suspendue dans les zones d’interdiction ou de restriction. Parmi ces zones de non-traitement, on trouve les passages à niveau et les ouvrages d’art, notamment les ponts au-dessus des cours d’eau, et les périmètres de protection de captage d’eau potable. Lorsque le traitement est interdit, des interventions de fauchage et de débroussaillage mécaniques sont réalisées. Le surcoût engendré est estimé par Sncf Réseau à 14 euros par an et par mètre carré. Étant donné ce surcoût et les risques pour les agents (leur sécurité est assurée par des sentinelles postées en amont et en aval du chantier), Sncf Réseau considère à ce jour que ses pratiques d’entretien alternatives ne sont pas généralisables à l’ensemble du réseau. Sncf Réseau ambitionne toutefois d’en finir avec l’usage des pesticides de synthèse et, depuis de la loi Égalim 16 et son décret du 29 décembre 2019 17 sur l’utilisation des produits phytosanitaires à proximité des zones d’habitation 18, le gestionnaire du réseau ferré national s’est saisi de la possibilité offerte d’une charte d’engagement quant à l’utilisation de pesticides à proximité des lieux habités 19.

Dans les dépendances vertes, c’est-à-dire au niveau des bandes de proximité et des abords, la végétation acceptable a évolué dans le temps 20. À l’époque des trains à vapeur, la végétation se limitait à de la prairie fauchée chaque année (avec évacuation des déchets de coupe avant l’été) pour éviter les incendies liés aux escarbilles de charbon. Avec l’arrivée des trains diesels et électriques, la végétation a posé moins de problème. Aujourd’hui, Sncf Réseau se fixe pour objectif une végétation « sous contrôle » sur les bandes de proximité et les abords. Cela se traduit par une stratégie de maintien d’une végétation de type prairial sur la bande de proximité (pour éviter les phénomènes d’érosion et permettre la visibilité), et maintien d’une végétation mixte – prairiale et ligneuse arbustive – au niveau des abords. En dehors des « remises à niveau » exceptionnelles impliquant des opérations de coupe (abattage d’arbre, débroussaillage) et l’usage d’herbicides (pour dévitaliser par exemple des souches), la gestion ordinaire des bandes de proximité et des abords est en principe mécanique (fauchage principalement), avec d’assez larges périodes d’intervention (2 à 3 ans pour les bandes de proximité ; 3 à 5 ans pour les abords) et un recours occasionnel aux herbicides (contre les invasives notamment).

Une réflexion environnementale s’agissant des lignes ferroviaires en cours d’exploitation existe donc bel et bien même si elle peut apparaitre encore assez réduite à ce jour. Il est demandé aux gestionnaires locaux de Sncf Réseau de suivre des guides de « bonnes pratiques » qui prévoient la prise en compte de la saisonnalité des interventions (afin d’éviter les périodes de nidification), le choix de matériels adaptés aux besoins (avec par exemple des hauteurs de coupe appropriées), et bien sûr la limitation des intrants. Pourtant, une gestion alternative de la végétation des dépendances vertes des voies ferrées apparaît envisageable.


III. LES POSSIBILITÉS DE GESTION ALTERNATIVE DE LA VÉGÉTATION PROCHE DE LA VOIE

À l’heure où l’on cherche des pistes pour endiguer le déclin de la biodiversité, la question du rôle des dépendances vertes des voies ferrées se pose 21. En effet, constituées par nature en réseaux, ces dépendances vertes peuvent devenir des habitats ou des corridors intéressants pour les espèces dont la présence est compatible avec les contraintes d’exploitation 22, en particulier si l’on y développe des pratiques d’entretien adaptées de la végétation. Pour cela, il est possible de développer en interne les connaissances environnementales des gestionnaires locaux de Sncf Réseau impliqués dans l’entretien de ces dépendances vertes, mais il peut s’avérer plus intéressant de s’attacher des savoir-faire externes en développant des partenariats avec des acteurs locaux ayant des compétences en matière environnementale avérées 23, tels que des gestionnaires de réserves naturelles, des gestionnaires de fédérations de chasse, des agriculteurs, ou encore des associations de naturalistes.

De telles initiatives de gestion partenariale alternative existent en pratique, mais elles demeurent encore assez peu nombreuses. Ainsi le gestionnaire du réseau ferré national cherche parfois à développer des partenariats fructueux dans le cadre d’aménagements paysagers et/ou de restauration de la biodiversité. Lors de la réalisation de la ligne à grande vitesse TGV Est Européen dans les années 2000, l’équipe du pôle paysage de la Sncf a par exemple initié un projet d’éco-paysage dans un délaissé de terrain entre la nouvelle voie et l’ancienne. Afin d’éviter le creusement d’un bassin d’expansion des crues de la Marne de 30 000 m3 (avec exportation des matériaux), le projet a au contraire consisté à créer des micro-reliefs (buttes), des zones inondables plus ou moins profondes et des plantations de diverses espèces spécifiques des milieux humides. Ce projet de renaturation a permis à la fois de mettre en place les volumes de compensation nécessaires pour absorber les crues de la Marne et de favoriser l’accueil de la faune et de la flore locale en faisant jouer au paysage un rôle-clef comme créateur de milieux et promoteur de biodiversité. Afin que l’objectif de biodiversité visé s’inscrive dans la durée, le site a ensuite été mis en sécurité vis-à-vis du risque ferroviaire et confié en gestion à une association locale de naturalistes qui l’entretient jusqu’à présent.

Dans le même ordre d’idée, Sncf Réseau cherche à développer l’éco-pâturage sur les bandes de proximité et les abords des voies ferrées pour entretenir la végétation et lutter contre les espèces exotiques envahissantes (telle que la renouée du Japon) 24. Ainsi en 2020, une quarantaine de parcelles étaient pâturées par des ovins, des caprins, des bovins ou des équidés, pour une surface d’environ 50 hectares. Pour favoriser de telles expériences, le gestionnaire d’infrastructure édite en interne des guides méthodologiques sur le pâturage en contexte ferroviaire. L’objectif est de combattre les appréhensions et freins persistants au sein de la communauté puisque le pâturage est souvent perçu par les agents comme un risque supplémentaire d’accidents et de contraintes organisationnelles. Concrètement, une analyse de situation (dimensionnement de la parcelle, type de végétation, voisinage, etc.), couplée à une analyse de risques (besoin de clôtures notamment), doit permettre d’identifier les caractéristiques d’une installation de pâturage (espèces adaptées, charge animale intensive/extensive, etc.) qui répondent à la fois aux enjeux de sécurité, de maîtrise de coûts et de mode d’entretien préservant la biodiversité.

Ces initiatives de gestion partenariale alternative peuvent apporter un bénéfice écologique par rapport à l’entretien courant, même si force est de constater qu’à l’heure actuelle les partenariats mis en place découlent souvent d’une situation initiale locale très spécifique empreinte d’intuitu personae 25. Ces initiatives nécessitent de trouver un partenaire ayant des compétences avérées en matière environnementale et d’établir une relation contractuelle avantageuse. Dans le cadre de l’aménagement paysagé du bassin d’expansion des eaux de crue de la Marne, c’est une convention de gestion qui a été conclue avec l’association de naturaliste locale. Elle définit les conditions d’accès au site des membres de l’association et leur rôle, à savoir suivre le développement faunistique et floristique du site et en assurer l’entretien « à titre gracieux et en bonne intelligence ». La convention fixe notamment la liste des végétaux invasifs ou exotiques à éradiquer. S’agissant de l’éco-pâturage, Sncf Réseau recourt soit à l’achat de prestations de service, soit à des conventions d’entretien. Dans le cas du marché public de prestation de service, le gestionnaire de l’infrastructure rédige un cahier des charges qui définit précisément l’entretien à réaliser, puis il réalise une publicité et une mise en concurrence des candidats (qui peuvent être des bergers, des associations, des entreprises du paysage…). Dans le second cas, Sncf Réseau délègue l’entretien de parties de son foncier à des tiers. Ces conventions d’entretien, d’une durée de 5 ans généralement, consistent à mettre gratuitement à disposition du foncier à des tiers (éleveurs, associations possédant des animaux…) qui sont à la recherche de surfaces. Il s’agit ici d’une relation jugée « gagnant-gagnant » où le conventionnement à « zéro euro » permet de préciser le rôle et les responsabilités de chaque partie.

Indéniablement les bandes de proximité et les abords des voies ferrées présentent donc un potentiel écologique dans la mesure où il est possible d’y déployer des paysages intéressants en termes de biodiversité et des activités de pâturage qui concourent au maintien de milieux ouverts. Le bénéfice retiré de ces pratiques est d’autant plus grand qu’elles évitent le recours aux herbicides. Dans la mesure où ces espaces ainsi entretenus assurent des fonctions écologiques essentielles (en constituant des habitats pour les polinisateurs sauvages, en contribuant aux continuités écologiques, etc.), et que ce sont des agents économiques (des éleveurs, des associations, des acteurs locaux) qui rendent des « services environnementaux » à d’autres agents (gestionnaire du réseau ferroviaire, citoyens), le concept économique de « paiements pour services environnementaux » peut trouver à s’appliquer 26. Recourir à ce mécanisme de transaction volontaire basé sur un principe « bénéficiaires-payeurs » consiste schématiquement à rémunérer les fournisseurs de services environnementaux et à faire payer les bénéficiaires, afin d’accroitre les services écosystémiques rendus par les bandes de proximité et les abords de voies ferrées. Avec ce changement de prisme, la société tout entière y gagnerait d’un point de vue écologique, mais cela impliquerait d’imposer de nouveaux objectifs de type environnementaux au gestionnaire du réseau ferré national. Il faudrait aussi vraisemblablement que les éventuels surcoûts engendrés par cette nouvelle gestion environnementale, qui seraient en partie absorbés par une économie d’herbicides, puissent être intégré aux billets de train achetés par les voyageurs.

* Cet article résulte du projet de recherche intitulé « Partenariats de gestion Durable dans les Dépendances vertes des infrastructures Linéaires de transport / PADDLe » réalisé dans le cadre de l’appel à projet de recherche 2020 du programme Ittecop (Infrastructures de transports terrestres, écosystèmes et paysages : http://ittecop.fr), piloté par le ministère de la transition écologique, l’Ademe, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), le Club infrastructures linéaires et biodiversité (Cilb) et l’Office français de la biodiversité (OFB). 
1 C. Michel, E. Russier-Decoster, F. Clap, S. Moncorps (2015), Corridors d’infrastructures, corridors écologiques ? – État des lieux et recommandations. UICN France et CILB, Paris, 38 pp.
2 D.-L. 31 aout 1937 portant réorganisation du régime des chemins de fer : JO 1er sept. 1937.
3 V. H. Devillers, L’ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe Sncf : l’équilibre introuvable : Dr. Voirie 2019, p. 141.
4 C. transp., art. L. 2111-9 (issu de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités) : « La société Sncf Réseau est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes. À l’exception de la couverture de leurs besoins propres, la société Sncf Réseau et ses filiales ne peuvent assurer d’activités de transport ferroviaire ».
5 J.-P. Bernard, D. Brun, « Chemins de fer »,  Encyclopoedia Universalishttp://www.universalis-edu.com/encyclopedie/chemins-de-fer/ 
6 Sncf Réseau (2020), Le réseau ferré national et la maîtrise de la végétation – Pratiques actuelles et perspectives, Paris, 28 pp.
7 D. François, L. Medous, C. Etrillard (2022), Refuge écologique dans les emprises d’infrastructures linéaires de transport : estimation du potentiel de France métropolitaine : revue Recherche Transports Sécurité.
8 L. n° 76-629, 10 juill.1976 relative à la protection de la nature.
9 Cons. CE, 27 juin 1985, Dir. 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement : JOCE L 175, 5 juill. 1985, p. 40.
10 V. MTES, CGDD,  Évaluation environnementale, Guide de lecture de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, août 2019.
11 M. Lebrat, J. Lemeri, Advancing environmental mitigation on the Bretagne- Pays de la Loire railway : Proceedings of the Institution of Civil Engineers- Engineering Sustainability 171(8), 2018, 402-410, https://doi.org/10.1680/ jensu.16.00014
12 Selon l’article L. 3114-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « des transferts de propriété d’infrastructures ferroviaires ou d’installations de service appartenant à l’État peuvent être opérés au profit d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales, compétent en matière de développement économique, à la demande de l’assemblée délibérante de celui-ci ». Ces transferts concernent uniquement, soit les lignes séparées physiquement du reste du réseau ferré national, soit les lignes d’intérêt local ou régional à faible trafic.
13 CAA Nancy, 22 août 2008, n° 07NC00907, Sncf c/ Services fiscaux du Haut-Rhin.
14 Ord. n° 2021-444, 14 avr. 2021. V. H. Devillers, Protection du domaine public ferroviaire : repartir sur de bonnes bases : Dr. Voirie 2021, p. 98.
15 Sncf Réseau, La maitrise de la végétation sur le réseau ferré national – Guide méthodologique et technique, Paris, 28 pp.
16 L. n° 2018-938, 30 oct. 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
17 D. n° 2019-1500, 27 déce. 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation.
18 C. Rouillier, L’encadrement juridique de l’utilisation des pesticides : de la règlementation à la concertation. À propos de l’arrêté et du décret du 27 décembre 2019 : RJE 2021/3, vol. 46, pp. 559-575.
19 Sncf Réseau, Bilan de la concertation sur la charte d’engagements relative à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. Sncf Réseau, 2021, Paris, 26 pp.
20 Sncf Réseau, Le réseau ferré national et la maîtrise de la végétation, préc.
21 A. Villemey, A. Jeusset, M. Vargac, Y. Bertheau, A. Coulon, J. Touroult, S. Vanpeene, B. Castagneyrol, H. Jactel, I. Witté, N. Deniaud, F. Flamerie de Lachapelle, E. Jaslier, V. Roy, E. Guinard, E. Le Mitouard, V. Rauel, R. Sordello, Can linear transportation infrastructure verges constitute a habitat and/or a corridor for insects in temperate landscapes? A systematic review : Environ Evid, 7 (1), 34 pp. https://doi.org/10.1186/s13750-018-0117-3.
22 C. Penone, Fonctionnement de la biodiversité en ville : contribution des dépendances vertes ferroviaires, Thèse MNHN – C. Penone, N. Machon, R. Julliard, I. Le Viol, Do railway edges provide functional connectivity for plant communities in an urban context ? : Biological Conservation 148, 126-133. 
23 C. Etrillard, D. François, P. Gastineau, M. Pech, Gestion partenariale des dépendances vertes : étude de faisabilité, rapport final du projet Gedev, Programme Ittecop, Paris, 48 pp.
24 M. Lelay, C. Dechaume-Moncharmont, M. Vion, M. Douchet, L’éco- pâturage pratiqué par Sncf Réseau – Retour d’expérience : Sciences Eaux & Territoires, 2019/1, n° 27, pp. 86-91.
25 C. Etrillard et a., Gestion partenariale des dépendances vertes : étude de faisabilité, préc.
26 C. Etrillard, Les contrats de « paiements pour services environnementaux » : Les Petites Affiches, (21) : 9-15.

Claire Etrillard
Docteur en droit
Ingénieur INRAE
Institut Agro, SMART