Compétence juridictionnelle : du flottement dans les zones de mouillages

En bref…

TA Martinique, 12 mai 2022, n° 2100490

Modernisé par le décret n° 2020-677 du 4 juin 2020 relatif à l’utilisation du domaine public maritime naturel en dehors des limites administratives des ports (Dr. Voirie 2020, p. 135, comm. R. Rézenthel ; JCP A 2020, n° 27, p. 38), le régime des zones de mouillages – officiellement dénommées « zones de mouillages et d’équipements légers » (Zmel) – est fixé par le code général de la propriété des personnes publiques (art. L. 2124-5 ; art. R. 2124-39 à R. 2124-55 [art. L. 2124-24 et R. 2124-58, pour le domaine public fluvial]), avec quelques prolongements dans les codes du tourisme (art. L. 341-8 à L. 341-10 ; art. R. 341-4 et R. 341-5 ; art. D. 341-2 [art. L. 341-11 et D. 341-3, pour le domaine public fluvial]) et de l’environnement (art. R. 122-2). Mais ces textes ne précisent ni la nature de la mission dévolue aux gestionnaires de zones – communes, Epci ou concessionnaires – ni la compétence juridictionnelle en cas de litige. C’est dans le contentieux de la responsabilité que la question se trouve en pratique posée. En cas de dommage causé à la Zmel (et/ ou d’occupation illégale), la solution ne fait aucun doute, la compétence étant celle du juge administratif, saisi au titre des contraventions de grande voirie (CGPPP, art. L. 2331-1. Par ex., CAA Nantes, 22 sept. 2020, n° 19NT01667 ; 31 août 2010, n° 10NT00068 – CAA Marseille, 15 janv. 2007, n° 05MA01200 s.). Mais quid dans l’autre sens, en cas de dommage subi par un plaisancier dont le bateau est amarré dans une telle zone ? C’est là qu’est l’os (de seiche).

Une première possibilité consiste à traiter les Zmel à l’image des ports de plaisance, dont elles formeraient en somme des prolongements, pour intégrer ce contentieux dans la relation entre un service public industriel et commercial (Spic) et ses usagers, avec application du droit privé de la responsabilité par le juge judiciaire. La jurisprudence récente fournit, au demeurant, l’exemple d’une telle approche (V., engageant la responsabilité civile contractuelle d’un gestionnaire de corps-mort dont la fixation s’était rompue, CA Aix-en- Provence, 28 avr. 2022, n° 18/15278, Sté La régie des ports raphaëlois et SA Axa France Iard c/ X : DMF 2022, p. 742, obs. Rézenthel. Dans le même sens, auparavant, Cass. com., 19 déc. 2018, n° 17-25.948 ; Cass. 1re civ., 30 nov. 2016, n° 15-25.516). Statuant peu après, le tribunal administratif de la Martinique a raisonné tout autre- ment. Saisi par des plaisanciers dont le voilier avait été abordé par une vedette à moteur après la rupture d’un corps-mort dans la Zmel de Grande Anse (commune des Anses d’Arlet), il devait rejeter les prétentions indemnitaires des requérants – fondées sur le défaut d’entretien normal d’un ouvrage public et la faute du gestionnaire de zone (la communauté d’agglomération de l’espace sud Martinique), compte tenu de leur situation irrégulière (amarrage prolongé dans un secteur qui était interdit pour motifs de sécurité).

Pour retenir sa compétence – c’est le point d’intérêt –, le juge administratif s’est appuyé sur le fait, d’une part qu’aucun texte ne qualifie la gestion des zones de mouillages de Spic, d’autre part que les critères usuels de distinction entre Spic et service public administratif penchaient en faveur de cette dernière qualification ; car l’objet d’une zone « administrée » réside essentiellement dans la protection des fonds marins (menacés par les mouillages « forains ») et les modalités de financement s’écartaient de celles d’une entreprise privée (nonobstant – précisons-le – la possibilité de percevoir une redevance pour service rendu : C. tourisme, art. L. 341-9 – CGPPP, art. R. 2124-45). La compétence juridictionnelle à l’égard du contentieux des Zmel demeure ainsi, pour l’heure, entre deux eaux.

Philippe Yolka : Compétence juridictionnelle : du flottement dans les zones de mouillages

Philippe Yolka
Professeur en droit public – Université Grenoble Alpes