Déclaration franco-italienne sur l’élargissement du tunnel de Fréjus “Circulez y’a rien a voir”

En bref…

CE, 24 févr. 2023, n° 463543, Assoc. Vivre et agir en Maurienne et a. : Lebon, T.

Ordinairement appréhendé en droit interne, l’ouvrage public dépasse à l’occasion ce cadre (W. Hoeffner, L’ouvrage public et le droit international, Th. Nice, 2015), s’agissant des ouvrages transfrontaliers (tunnel sous la Manche, etc. V., Mission opérationnelle transfrontalière et Caisse des dépôts et consignations, Guide des projets transfrontaliers, 2010). C’est le cas des tunnels franco-italiens du Mont-Blanc (vallée de l’Arve) et du Fréjus (vallée de la Maurienne), qui illustrent une problématique abondamment documentée (par ex., dans des registres différents, G. P. Torricelli, Traversées alpines, ville et territoire : le paradoxe de la vitesse : Rev. géo. alpine 2002, vol. 90/3, p. 25 ; J. Sohnle, Le transport transalpin des marchandises par rail et par route. Préoccupations écologiques et politique européenne des transports : RJE 2003, p. 5. ; Ph. Juen, Convention sur la protection des Alpes et transport en droit français : Rev. europ. dr. env. 2009, p. 33 ; L. Sutto, La question du franchissement des Alpes : un enjeu de la gouvernance territoriale en Europe : Rev. éco. régionale & urbaine déc. 2011, p. 869).

Le dramatique incendie survenu en 1999 dans le premier devait conduire à un renforcement des normes de sécurité, traduit en ce qui concerne le second par la décision de percer un tube supplémentaire qui devait être une galerie de secours (Rép. min. à QO n° 10535 : JO Sénat Q, 25 mai 2006), alors même que la conventionnalité de cette décision pouvait indirectement faire question au regard de l’article 11 § 1 du protocole Transports

de la Convention pour la protection des Alpes (v., A. Geslin, Convention alpine et droit international public, in La Convention alpine, un nouveau droit pour la montagne ?, CDM Grenoble/ CIPRA, 2008, p. 26 et s., spéc. pp. 31-37). Assez vite, les associations de protection de l’environnement ont flairé un prétexte pour absorber l’augmentation du trafic poids lourds, ce qui n’eut pas l’heur de convaincre la justice administrative (TA Grenoble, réf. 30 juin 2009, n° 0902686, Vivre en Maurienne et a. – TA Grenoble, 10 avr. 2012, n° 0803907, Vivre en Maurienne et a.). L’arrêt du 24 février 2023 coupe court à ce qui était peut-être un – naïf – combat en faveur de la liberté fondamentale de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (v. CE, 20 sept. 2022, n° 451129 : Lebon), suivant les roides conclusions du rapporteur public Philippe Blanquet. En décembre 2012, une déclaration conjointe franco-italienne décidait l’ouverture à la circulation du tube supplémentaire, la mise en service étant prévue pour l’automne 2023. Si la configuration en résultant n’accroit pas le débit de l’ouvrage (une voie ayant été parallèlement neutralisée), elle offre une physionomie plus attractive que celle du tunnel du Mont-Blanc (chaque voie étant désormais doublée d’une bande de secours, ce qui n’est pas le cas dans la vallée de l’Arve) et risque de détourner une partie du trafic vers le sud. On a déjà pu mesurer les effets dévastateurs d’un tel report avec la décision annoncée par le chef de l’État (discours de Chamonix, 13 févr. 2020) de bannir les camions les plus polluants de la vallée de Chamonix. Et le pire reste à venir, vu la prochaine fermeture du tunnel du Mont-Blanc pour cause de travaux « lourds » (désamiantage, etc.). Cette déviation méridionale est à l’origine d’une accidentologie et de

taux de pollution – sur lesquels les services préfectoraux évitent soigneusement de communiquer – dans les bassins d’Annecy comme de Chambéry, saturés par les fréquentations domestique et touristique.

L’argument massue, pour éviter d’entrer dans un pénible débat, réside ici dans la mobilisation de la théorie de l’acte de gouvernement : la décision attaquée, en l’occurrence le refus de la ministre de la transition écologique de rapporter la déclaration à l’origine de l’élargissement du tunnel, n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France, donc constitue un acte de gouvernement dont la contestation échappe à la compétence de la juridiction administrative (rappr. par ex., à propos de la LGV franco-espagnole, CE, 30 déc. 2002, n° 249904, Sté Eiffage : Lebon). Ce moyen d’ordre public permet au Conseil d’État d’asphyxier – si l’on peut dire – les contentieux futurs plus efficacement que la ligne de défense de l’Administration, selon laquelle la déclaration de 2012 n’était qu’une manifestation d’intention, préparatoire à des actes postérieurs (qui auraient pu faire grief et donc être attaqués). La situation s’améliorera-t-elle, à très long terme, avec la LGV Lyon-Turin ? Du train où vont les choses, ce n’est pas gagné (Conseil d’orientation des infrastructures, rapport janv. 2023).

Philippe Yolka
Professeur de droit public
Université Grenoble Alpes