Cours & Tribunaux
CE, 8 mars 2023, n° 462550, Association Les Amis des Tuileries
Ne commet pas d’erreur de droit la cour qui, pour écarter le moyen tiré de l’illégalité du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries en ce qu’il n’aurait pas suffisamment restreint la possibilité qu’il prévoit de l’occupation de ce jardin par des fêtes foraines, s’est fondée sur le fait que les autorisations d’occupation susceptibles d’être délivrées étaient limitées, d’une part, dans le temps, tant en ce qui concerne chaque manifestation qu’en ce qui concerne la durée annuelle maximale d’occupation, et, d’autre part, dans l’espace.
CONCLUSIONS
1. Le jardin des Tuileries est la propriété de l’État et, qu’on le regarde comme un lieu aménagé en vue de la promenade publique et affecté à l’usage direct du public, tel le bois de Boulogne ou le bois de Vincennes 1, ou comme un bien affecté à un service public de caractère culturel et touristique ayant fait l’objet d’aménagements spéciaux à cette fin, telle l’allée des Alyscamps en Arles 2, il constitue évidemment une dépendance de son domaine public.
À l’exception de la salle du Jeu de Paume et de l’Orangerie, « les Tuileries » font partie du domaine national du Louvre, ensemble immobilier que l’État a attribué à titre de dotation à l’établissement public du Musée du Louvre (« EPML ») 3, ainsi que le prévoit le décret du 22 décembre 1992 4 qui l’a créé. L’article 2 de ce décret prévoit que l’établissement a notamment pour mission « de préserver, gérer et mettre en valeur les immeubles dont il est doté (…) » et son article 5 l’autorise à « délivrer des autorisations d’occupation du domaine public ».
Un deuxième texte règlementaire – le règlement des cours, jardins, passages et péristyles du domaine national du Louvre et des Tuileries, approuvé par le conseil d’administration de l’EPML – énonce que l’accès au jardin des Tuileries est « libre et gratuit » pendant les horaires d’ouverture définis à l’article 4 de ce règlement. Entre octobre et mars, le jardin est ouvert de 7h30 à 19h30, des dérogations pouvant être consenties au profit d’occupants du domaine public, à titre exceptionnel, sur décision du président-directeur de l’EPML.
Enfin, un troisième texte règlementaire – le règlement d’utilisation du jardin des Tuileries pour l’organisation de manifestations culturelles, festives et professionnelles, adopté par le conseil d’administration de l’EPML – comporte des règles relatives notamment à la durée du montage et du démontage des installations implantées pour ce type de manifestations.
Le jardin des Tuileries comprend, le long et en contrebas de la rue de Rivoli, dont elle est séparée par une terrasse, un vaste espace bordé d’arbres mais lui-même non boisé : la terrasse des Feuillants. Cette esplanade en terre battue d’un peu plus de 400 mètres de long sur 30 mètres de large, qui doit son nom à l’ancien monastère de l’ordre cistercien des Feuillants, autrefois situé au niveau de l’actuelle rue Saint-Honoré, accueille à intervalles réguliers des manifestations autorisées par l’établissement public du Musée du Louvre.
2. C’est ainsi que, par une convention signée le 12 novembre 2018, l’association déclarée selon la loi du 1er juillet 1901 Le Monde festif en France a été autorisée à occuper l’esplanade, moyennant le versement d’une redevance de 859 320 € TTC, pour y implanter une manifestation intitulée La magie de Noël, du vendredi 16 novembre 2018 à 20h au 11 janvier 2019 à 23h59 soit une durée totale de 57 jours se décomposant en trois phases :
● 8 jours de montage du vendredi 16 au vendredi 23 novembre 2018 ;
● 44 jours d’exploitation du samedi 24 novembre 2018 au dimanche 6 janvier 2019 ;
● 5 jours de démontage du lundi 7 janvier au vendredi 11 janvier 2019.
Bien que la convention porte la date du 8 novembre, il est constant qu’elle a été signée le 12 novembre 2018. Ses articles 3 et 5 font d’ailleurs référence à une décision du 12 novembre 2018 par laquelle le président-directeur de l’EPML a accordé à l’association Le Monde festif en France, à titre exceptionnel, deux dérogations dont il faut dire un mot.
D’une part, cette décision a porté à respectivement 8 jours et 5 jours la durée du montage et du démontage des installations, soit au- delà de la durée de 2 jours prévue à l’article 5 du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries. D’autre part, elle a fixé l’heure de fin d’exploitation de la manifestation à 23h45 les dimanche, lundi, mardi, mercredi et jeudi, à 0h45 les vendredi et samedi et à 20h les veilles de fêtes, alors que les grilles du jardin sont fermées à 19h30 en hiver, en vertu de l’article 4 du règlement des cours, jardins, passages et péristyles du domaine national du Louvre et des Tuileries.
3. Le 20 novembre 2018 au cours de la période de montage de la fête foraine, l’association régie par la loi du 1er juillet 1901 Les Amis des Tuileries, dont l’objet statutaire est de « veiller à la protection et à la mise en valeur du patrimoine exceptionnel que constitue le jardin des Tuileries ainsi qu’au respect de son affectation » et dont la présidente est Mme Jacqueline Morand-Deviller, sollicitait communication de la convention au titre de la législation sur le droit d’accès aux documents administratifs. Sa demande était exaucée le 20 décembre et l’association introduisait, un mois plus tard, une « requête en annulation » dirigée contre les « deux décisions (…) du 12 novembre 2018 aux termes de laquelle le président-directeur du Louvre a autorisé l’occupation de l’esplanade des Feuillants (…) pour une durée excédant celle qui était légalement applicable ».
L’association soulevait, en ce qui concerne la durée de la manifestation La Magie de Noël, une contestation à deux étages.
En premier lieu, elle invoquait une méconnaissance de l’article 5 du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries qui prévoit que la durée d’occupation de l’esplanade des Feuillants par des manifestations autorisées ne peut être supérieure à 6 mois, montage et démontage compris. Selon ses calculs en effet, la durée d’occupation de 57 jours, s’ajoutant à de précédentes autorisations délivrées pour un total de 131 jours, excédait la dure de 6 mois.
En second lieu, et de manière plus radicale, elle faisait valoir que cette durée maximale de 6 mois était en tout état de cause excessive et par suite illégale 5.
4. Il nous semble à ce stade utile de dire un mot de la nature de ce recours.
Quoi qu’il tendait, selon ses termes mêmes, à « l’annulation » de « deux décisions » à savoir, d’une part, la convention d’occupation temporaire du domaine public et, d’autre part, l’acte unilatéral du président-directeur de l’EPML dérogeant aux horaires d’ouverture au public du jardin et à la durée maximale du montage et du démontage des installations des occupants du domaine public, la requête doit être regardée, en tant qu’elle est dirigée contre la convention, comme un recours de pleine juridiction contestant la validité d’un contrat administratif ou de certaines de ses clauses non règlementaires et divisibles, introduit par un tiers au contrat, autrement dit comme un recours Tarn-et-Garonne 6. Le contrat litigieux entre en effet dans le champ de votre jurisprudence d’assemblée : d’un point de vue matériel, puisque les conventions domaniales en font partie 7, et d’un point de vue temporel, s’agissant d’une convention conclue (plus de quatre ans) après la lecture de cette décision 8. Enfin, l’association est un tiers au contrat : un tiers « ordinaire » ou un tiers « sans qualité » 9, c’est-à-dire un tiers appelé à justifier d’un « intérêt » susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine par le contrat, cet intérêt ne faisant pas de doute en l’espèce.
On peut se demander pour le reste si, en tant qu’il était dirigé contre la décision unilatérale du président-directeur de l’EPML, le recours avait la nature d’un recours en excès de pouvoir contre un acte détachable du contrat. On se souvient que l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne a mentionné, sans que cette énumération revête un caractère limitatif, trois catégories d’actes dont la légalité ne peut plus être contestée que dans le cadre du contentieux contractuel : choix du cocontractant, délibération autorisant la conclusion du contrat et décision de le signer. La décision litigieuse n’entre certes dans aucune de ces catégories. Mais on observera que cette autorisation individuelle a été délivrée à l’association Le Monde festif en France concomitamment à la signature avec cette dernière de la convention domaniale qui fait elle-même référence, à deux reprises, à cette autorisation.
Dans ces conditions, il nous semble difficile d’estimer que la décision unilatérale serait détachable du contrat, d’autant que le maintien au profit des tiers de cas d’ouverture du recours en excès de pouvoir contre des actes détachables n’a de justification que lorsque le recours de pleine juridiction qui leur est offert ne leur permet pas de contester des actes trop éloignés du processus de formation du contrat. Or ici, le recours devant le juge du contrat permettait à l’association Les Amis des Tuileries de contester tout ce qui se trouvait dans la décision unilatérale. De surcroît, celle-ci ne se plaignait ni des horaires d’ouverture définis par l’article 2 de cette décision, ni de la durée de montage et démontage définie par son article 1er, mais seulement de la durée globale de la manifestation, compte tenu de la durée des précédents événements organisés au même endroit la même année. Or cette durée globale résulte de la convention, et non de l’acte unilatéral.
Il nous semble donc que le recours avait, dans son ensemble, le caractère d’un recours Tarn-et-Garonne, ce qui n’est pas sans incidence sur l’objet de la contestation car les tiers ordinaires ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt dont ils se prévalent, outre les vices d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office.
Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la contestation et l’association se pourvoit contre l’arrêt du 3 février 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête d’appel, après avoir écarté la demande de l’EPML tendant à ce qu’un non-lieu soit prononcé.
Sur ce point, la solution de l’arrêt attaqué apparaît orthodoxe : vous jugez en effet que la circonstance que le contrat soit arrivé à son terme avant que le juge n’ait statué sur un recours Tarn- et-Garonne introduit par un concurrent évincé ne fait pas perdre au litige son objet 10. Vous en avez jugé de même dans le cadre d’un recours Béziers I 11.
Il reste qu’il n’est pas évident de discerner l’intérêt pour l’association requérante, qui n’est pas un concurrent évincé, d’obtenir l’annulation d’une convention domaniale exécutée et dont elle n’avait pas demandé en temps utile, comme elle en avait la possibilité, la suspension de l’exécution sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA) : l’occupant a occupé, moyennant redevance, le domaine public. À le supposer existant, le « mal a été fait ».
On peut cependant admettre qu’il y ait, dans une décision du juge du contrat constatant l’illégalité de tout ou partie d’une convention domaniale, au-delà d’une vertu prophylactique (le signal adressé au gestionnaire domanial quant à la validité de ses pratiques contractuelles), un intérêt au regard d’un contentieux indemnitaire né ou à naître. Si l’association ne se prévaut d’aucune décision préalable de nature à lier un tel contentieux, la créance qu’elle pourrait invoquer ne paraît pas atteinte par la prescription quadriennale 12 et l’avis contentieux Société Rebillon Schmitt Prevot 13 indique qu’il est loisible au concurrent évincé, en vue d’obtenir réparation de ses droits lésés, soit de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin d’annulation du contrat, soit d’engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant à l’indemnisation du préjudice subi à raison de l’illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé. Or les tiers ordinaires autres que les concurrents évincés ne paraissent pas devoir être privés de cette faculté d’agir sur le terrain indemnitaire parallèlement ou consécutivement à leur recours Tarn- et-Garonne. Enfin il est jugé qu’une association peut obtenir réparation d’un préjudice moral personnel résultant de l’atteinte directement portée aux intérêts collectifs qu’elle s’est donnée pour objet de défendre 14. Au bénéfice de ce raisonnement, nous avons fini par nous persuader qu’il y avait (encore) lieu de statuer.
5. Par ses deux premiers moyens, l’association soutient que la cour a entaché son arrêt d’insuffisance de motivation, d’erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en écartant son moyen tiré de ce que la procédure de sélection des occupants du domaine public mise en œuvre n’avait pas été régulière.
Toutefois, l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne retient que les tiers autres que le préfet et les élus locaux « ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».
Vous avez jugé depuis lors qu’un concurrent évincé ne peut utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction 15.
En ce qui concerne les autres tiers ordinaires, eu égard à la subjectivisation du droit de recours, la doctrine était en ce sens que ceux-ci « ne devraient pas pouvoir utilement invoquer des moyens tirés d’irrégularités relatives à la procédure de dévolution concurrentielle » 16 et une décision récente est venue confirmer cette intuition : vous avez approuvé la cour administrative d’appel de Paris à avoir jugé que l’association Les Amis du Champ de Mars ne pouvait utilement se prévaloir des manquements aux règles relatives à la passation du contrat par lequel la ville de Paris a autorisé la Réunion des musées nationaux à occuper une parcelle de son domaine public située dans la zone du Champ de Mars, dès lors que ces irrégularités n’étaient pas en rapport avec les intérêts lésés dont elles se prévalaient 17.
Il nous semble qu’il conviendrait de substituer un motif identique au motif retenu par la cour (qui a jugé suffisant l’appel public à manifestation d’intérêt concurrente que le Musée du Louvre a mis en ligne sur son site internet). Les conditions d’une substitution de motifs en cassation sont réunies : l’inopérance du moyen avait été soulevée par l’EPML dans ses écritures en défense devant la cour 18 et le moyen substitué ne comporte l’appréciation d’aucune circonstance de fait, dès lors qu’il est constant que l’éventuelle irrégularité de la procédure de sélection est étrangère à l’objet statutaire de la requérante.
6. L’association soutient, par son troisième moyen, que la cour a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce, à tout le moins qu’elle les a dénaturés, en refusant de constater l’illégalité, par voie d’exception, de l’article 5 du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries.
Cet article fixe trois règles :
i) la durée annuelle maximale d’occupation de l’esplanade des Feuillants et du carré du Sanglier ne peut être supérieure à 6 mois, montage et démontage des installations compris ;
ii) la durée d’exploitation de chaque manifestation ne peut excéder 2 mois, et 2 jours pour le montage et démontage des installations, cette durée pouvant être prolongée à titre exceptionnel sur décision du président-directeur de l’EPML, pour une durée supplémentaire maximale de 2 semaines ;
iii) toute prolongation éventuelle ne peut conduire à dépasser la durée annuelle maximale d’occupation de 6 mois.
Au point 19 de son arrêt, la cour a rappelé les dispositions du CGPPP dont il résulte que les autorisations privatives d’occupation du domaine public ne peuvent être légalement délivrées qu’à la double condition qu’elles soient temporaires et qu’elles restent compatibles avec l’affectation et la conservation de ce domaine.
Puis, elle a jugé que les dispositions de l’article 5 du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries ne méconnaissaient pas ces exigences.
Elle a successivement relevé :
i) que les autorisations d’occupation susceptibles d’être délivrées étaient limitées dans le temps, tant en ce qui concerne chaque manifestation qu’en ce qui concerne la durée annuelle maximale d’occupation ;
ii) qu’elles étaient strictement limitées dans l’espace, l’esplanade des Feuillants et le carré du Sanglier ne représentant qu’une faible partie de la superficie du jardin ;
iii) qu’alors même que la durée annuelle maximale d’occupation de l’esplanade des Feuillants de 6 mois par année civile permettait une occupation de plus de 6 mois sur 12 mois consécutifs, ces restrictions de temps et de lieu étaient suffisantes pour préserver l’affectation du jardin des Tuileries à la promenade et à l’agrément du public.
Pour critiquer ces motifs, la requérante se prévaut de ce que, sur son recours déjà, vous avez jugé, par une décision du 22 janvier 2007, que si l’activité de fête foraine n’est pas incompatible avec la destination du jardin des Tuileries, ce n’est que sous réserve que les restrictions de temps et de lieu nécessaires soient apportées à son organisation 19.
Or elle rappelle que, par cette même décision, vous aviez estimé qu’en rendant possible, sans y adjoindre de précision de temps, l’installation de fêtes foraines susceptibles d’entraîner une occupation de l’esplanade des Feuillants pendant une durée pouvant excéder 5 mois par an, alors que l’usage et la réglementation antérieure n’avaient consacré dans cette partie du jardin qu’une fête foraine annuelle d’une durée maximale de 2 mois, l’arrêté du 4 mars 2004 du ministre de la culture qui était alors attaqué devait être regardé comme n’imposant pas les limites de durée qui, seules, auraient rendu cette activité compatible avec la destination du jardin.
L’association en tire que la durée de 5 mois serait, selon votre jurisprudence, « une limite temporelle à ne pas franchir ». Elle reproche par conséquent à la cour d’avoir refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que l’article 5 du règlement d’utilisation du jardin des Tuileries soit déclaré illégal.
Les écritures de cassation sont discrètes sur le cadre de cette discussion : celui d’une exception d’illégalité. La configuration contentieuse diffère donc de celle de votre décision de 2007 dans laquelle l’arrêté du ministre de la culture était l’objet d’une demande d’annulation portée directement devant vous.
La cour a implicitement jugé que l’exception soulevée était opérante, puisqu’elle y a répondu sans glisser un « en tout état de cause » à la fin du point 19, mais il ne va pas de soi que le moyen, tel qu’il était articulé, était opérant.
En excès de pouvoir, vous jugez que l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application, ou si cet acte en constitue la base légale 20.
Nous ne voyons pas d’obstacle de principe à ce que l’auteur d’un recours Tarn-et-Garonne – dès lors qu’il y a un intérêt s’agissant d’un tiers ordinaire – soulève une exception tirée de l’illégalité d’un acte administratif à l’appui de conclusions critiquant la validité d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le contrat litigieux a été pris pour l’application de cet acte ou que cet acte constitue la base légale du contrat.
Et si l’on applique les critères Sodemel, il n’est pas impossible d’admettre que la convention domaniale litigieuse a bien été prise « pour l’application » de l’article 5 du règlement ou à tout le moins « en application » de ces dispositions règlementaires qui constituent une brique de l’encadrement juridique du contrat : le règlement d’utilisation du jardin des Tuileries constitue une façon, pour le gestionnaire domanial, de s’assigner à lui-même certaines limites en ce qui concerne notamment la durée des autorisations qu’il pourra ensuite délivrer. Et l’EPML soutient d’ailleurs qu’en concluant la convention litigieuse, il a respecté les dispositions de ce règlement.
En tout état de cause, l’association se trompe lorsqu’elle interprète votre décision de 2007 comme ayant jugé que 5 mois par an serait un maximum. Ce que vous avez jugé illégal, c’est l’absence de butoir. Si l’arrêté du ministre de la culture du 4 mars 2004 fixait une durée globale de 5 mois par an pour l’ensemble des occupations et une durée de 2 mois montage et démontage compris pour chaque autorisation, il autorisait la prolongation de cette durée de 2 mois tout en prévoyant qu’« [u]ne éventuelle prolongation rallonge d’autant la durée maximale d’occupation » de 5 mois, ce dont il résultait l’absence de limite globale…
Ici, la cour a pu juger, sans erreur de droit, qu’il résultait clairement des dispositions alors en vigueur de l’article 5 du règlement que celui-ci fixait, d’une part, une durée globale annuelle de 6 mois pour l’ensemble des autorisations d’occupation, d’autre part, une durée maximale de 2 mois et 15 jours pour chaque autorisation individuelle, et que ces durées ne portaient pas atteinte à l’affectation du jardin des Tuileries.
7. L’association soutient, par son quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire, que la cour a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si l’autorisation ne conduisait pas à méconnaître la durée d’occupation maximale de 6 mois par an. Toutefois, l’association ne soutenait plus, à hauteur d’appel, que les 57 jours d’occupation auraient conduit à un dépassement de la durée de 6 mois. Le tribunal administratif avait écarté le moyen en comptabilisant 174 jours d’occupation en 2018, soit moins de 6 mois, et ce calcul n’avait pas été critiqué en appel. Au demeurant, on ne peut manquer d’observer qu’un dépassement de quelques jours de la durée de 6 mois ne saurait conduire à l’annulation de la convention, mesure ultime appelée à jouer seulement lorsque le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d’un vice du consentement ou d’un vice d’une particulière gravité.
8. L’association soutient, par son dernier moyen, que la cour a inexactement qualifié ou à tout le moins dénaturé les faits de l’espèce en estimant que l’autorisation délivrée à l’association Le Monde festif en France n’était pas incompatible avec l’affectation des dépendances du domaine public du jardin des Tuileries.
Nous pensons que c’est bien un contrôle de qualification juridique que vous pourriez exercer en cassation sur la notion d’occupation « compatible » avec l’affectation du domaine public. Les auteurs du CGPPP ont forgé cette notion pour la distinguer de l’usage « conforme » à l’affectation et la qualification d’usage compatible déclenche l’application des règles de ce code relatives, notamment, à l’obligation pour l’occupant privatif d’être titré, d’acquitter une redevance, etc. 21. Dans un domaine voisin, vous exercez un contrôle de qualification sur la notion d’aménagement « conforme à la destination du domaine public routier » 22.
Ceci étant dit, nous pensons que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que l’implantation de la manifestation sur l’esplanade des Feuillants du 16 novembre 2018 au 11 janvier 2019 n’était pas incompatible avec l’affectation du jardin des Tuileries et avec sa conservation.
Les juges d’appel se sont fondés sur un faisceau de trois motifs pertinents.
Ils ont d’abord rappelé que la manifestation La magie de Noël était composée de manèges et de stands de restauration, d’artisanat et d’animations culturelles. Implicitement, ils ont objecté aux Amis des Tuileries, qui – vous l’aurez compris – ne sont pas des amis de la fête foraine, qu’un marché de Noël, serait-il accompagné d’attractions et de stands du type de ceux que l’on trouve dans une fête foraine, n’était pas hors de propos aux Tuileries.
Vous n’en avez jamais jugé différemment : dès avant la décision de 2007 que nous avons mentionnée tout à l’heure, votre décision de section de 1995 Ministre de la culture c/ Association « Défense Tuileries » 23 avait jugé qu’une fête foraine n’était pas incompatible avec la vocation et la destination du jardin des Tuileries, compte tenu des conditions de temps et de lieu imposées par le règlement relatif à l’occupation temporaire de l’esplanade des Feuillants. Le président Arrighi de Casanova avait fait un historique montrant que les Tuileries avaient toujours été un lieu de fêtes et de festivités, ce qui explique que la décision retienne que l’implantation d’une fête foraine sur l’esplanade des Feuillants est « conforme aux usages ».
Les juges d’appel ont ensuite souligné que l’occupation était limitée dans le temps, la manifestation se déroulant, montage et démontage compris, sur une période légèrement inférieure à 2 mois.
Le mémoire complémentaire vous invite à tenir compte des manifestations précédentes. Mais de fête foraine, il n’y avait eu, sur la même esplanade, que du 18 juin au 29 août 2018. On ne tombe pas, pour reprendre l’expression du président Arrighi, dans le « Luna-Park permanent ». D’autres manifestations ont certes été organisées au cours de l’année 2018, mais sous chapiteau : le carrousel de la mode du 16 février au 9 mars puis du 14 septembre au 5 octobre et le pavillon des arts et du design (PAD) du 28 mars au 10 avril –ces occupations domaniales ne suscitant manifestement pas les mêmes critiques de la part de la requérante.
Enfin, les juges d’appel ont insisté, d’une part, sur le fait que l’esplanade des Feuillants ne constituait qu’un peu plus d’1 hectare sur les 25 hectares du jardin et, d’autre part, sur la circonstance que l’essentiel du jardin, de sa statuaire et de ses œuvres d’art demeuraient librement accessibles au public. C’est évidemment important : l’occupation porte sur 4 % de la superficie totale du jardin et sur un espace libre dont la vocation est et demeure d’accueillir des manifestations temporaires, y compris des fêtes foraines et des marchés de Noël.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi, à ce que l’association requérante, qui succombe, verse à l’établissement public du Musée du Louvre et à l’association Le Monde festif en France une somme globale de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du CJA et au rejet des conclusions présentées par l’association requérante au titre de ces mêmes dispositions.
EXTRAITS
9. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Les Amis des Tuileries n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. […]
1 Cf. pour le bois de Vincennes : CE, 14 juin 1972, n° 84967 : Lebon, p. 442 ; pour le bois de Boulogne : CE, 23 févr. 1979, n° 4987 : Lebon, p. 78. Ou encore, respectivement pour un square et un parc public, les arrêts de section du 13 juillet 1961 Compagnie fermière du casino municipal de Constantine, (n° 45099 : Lebon, p. 487) et Dame Lauriau (n° 45750 : Lebon, p. 486).
2 CE, ass., 11 mai 1959, n° 9229 : Lebon, p. 294, Grands arrêts du droit administratif des biens 4e éd. 2022, n° 7.
3 Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture.
4 D. n° 92-1338, 22 déc. 1992 portant création de l’établissement public du Musée du Louvre, art. 7.
5 Ce dont elle tirait que redevenaient applicables les dispositions du précédent règlement, établi le 12 mai 2014, qui fixaient à 5 mois cette durée.
6 CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Département de Tarn-et-Garonne : Lebon, p. 70 ; GAJA, 22e éd., 2019, n° 112.
7 CE, 2 déc. 2015, n° 386979, École centrale de Lyon : Lebon, T. pp. 667- 756-803.
8 CE, sect., 5 févr. 2016, n° 383149, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport : Lebon, p. 10.
9 Pour reprendre l’expression de F. Laffaille in La jurisprudence Tarn-et- Garonne ou le tiers « sans qualité » : AJDA 2018, p. 1201.
10 CE, 15 mars 2019, n° 413584, Sté anonyme gardéenne d’économie mixte : Lebon, p. 63.
11 CE, 11 mars 2022, n° 453440 : Lebon, T. sur ce point.
12 L’occupation a pris fin le 11 janvier 2019 et l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 fait courir le délai à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
13 CE, 11 mai 2011, n° 347002 : Lebon, p. 209.
14 CE, 9 nov. 2018, n° 411626, 411632, Préfet de Police, Ville de Paris : Lebon, T.
15 CE, sect., 5 févr. 2016, n° 383149, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport : Lebon, p. 10.
16 H. Hoepffner écrivait ainsi que ces tiers devraient seulement pouvoir invoquer des moyens « fondés sur l’irrégularité de clauses contractuelles (ex. : violation des règles protectrices de l’environnement invoquée par une association intervenant dans ce secteur) » (Droit des contrats administratifs, Dalloz, 3e éd., 2022, n° 1175, p. 1013). Cf. également L. Richer et F. Lichère, Droit des contrats administratifs, LGDJ Lextenso, 12e éd., oct. 2021, n° 411, selon lesquels « à l’inverse, des usagers ou des riverains ne peuvent invoquer les manquements aux règles de passation ». V. aussi M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, LexisNexis, 2015, p. 447.
17 CE, 20 juill. 2021, n° 444715, Assoc. Le Comité d’aménagement du VIIe arrondissement et a.
18 Mémoire du 17 décembre 2021, pp. 5-6.
19 CE, 22 janv. 2007, n° 269360, Assoc. Les Amis des Tuileries : Lebon, p. 15.
20 CE, sect., 11 juil. 2011, n° 320735, 320854, Sodemel : Lebon, p. 346.
21 En outre, l’occupation incompatible peut constituer aussi bien un motif de refus de délivrance d’une AOT qu’un motif d’abrogation d’un titre déjà délivré. Or vous exercez symétriquement un contrôle de qualification juridique sur le motif d’intérêt général ayant justifié une mesure de résiliation (CE, 31 juill. 1996, n° 126594, Sté des téléphériques du massif du Mont-Blanc : Lebon, p. 334 ; 23 mai 2011, n° 328525, Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense : Lebon, T. pp. 924-1012-1017).
22 CE, 2 juin 1995, n° 145131, Sivom de la région d’Issoire et de la banlieue sud-clermontoise : Lebon, p. 225 ; 23 févr. 2000, n° 179013, Sté de distribution de chaleur de Saint-Denis : Lebon, p. 79.
23 CE, 23 juin 1995, n° 161311 : Lebon, p. 268.

Romain Victor
Rapporteur public