De la nature d’un contrat d’enlèvement des véhicules abandonnés en fourrière

Cours & Tribunaux

CE, 9 juin 2021, n° 448948 et 448949, Ville de Paris c/ Société Allo Casse Auto, Ville de Paris c/ Société Euro Casse : Lebon, T.

Les conventions confiant à leurs titulaires l’enlèvement des véhicules abandonnés dans les parcs de fourrière placés sous leur responsabilité, qui prévoient que la rémunération du service rendu prend la forme du droit d’exploiter les véhicules abandonnés et qui transfèrent à leurs titulaires le risque inhérent à cette exploitation, présentent le caractère de concessions de service.

CONCLUSIONS

Tout comme l’apagogie « tout ce qui est rare est cher » invite à se méfier des évidences, le caractère onéreux d’un contrat répondant à un besoin d’une personne publique est une question délicate.

En août 2020, la ville de Paris a lancé une consultation sous forme d’appel d’offres ouvert pour l’attribution de deux contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés dans ses parcs de fourrière, d’une part à Chevaleret, La Courneuve et Charléty (lot n° 1), d’autre part à Bonneuil 1 et 2 (lot n° 2).

Les offres des sociétés Allo Casse Auto et Euro Casse n’ont pas été retenues. Ces sociétés ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, qui a fait droit à leur demande d’annulation de ces procédures. La ville de Paris se pourvoit en cassation.


I. UN CONTRAT DE COMMANDE PUBLIQUE ?

Sommes-nous, tout d’abord, en présence d’un contrat de la commande publique, conduisant à ce que le juge des référés soit compétent ?

La ville de Paris conteste en effet la qualification de marché public et, au-delà, celle de contrat de la commande publique.

En application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge du référé précontractuel peut être saisi « en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique (…) ».

Hormis le dernier cas visé, il est ainsi compétent si le contrat a pour objet une commande publique, donc en présence d’un marché public ou d’une concession. Et à cet égard, la circonstance que la personne publique ait organisé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution du contrat est sans incidence si le contrat n’a pas pour objet une commande publique 1.

Le code de la commande publique apporte désormais une définition claire au premier alinéa de son article L. 2 : « Sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour ré- pondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques ».

Trois conditions doivent ainsi être examinées successivement :
● par qui est passé le contrat ? ;
● répond-il à un besoin de la collectivité ? ;
● est-ce à titre onéreux ?

A. Critère organique

Il ne fait d’abord pas de doute que le critère organique est rempli en l’espèce puisque l’acheteur est la ville de Paris.

B. Critère matériel

Le critère matériel l’est-il aussi, ou – dit autrement – la finalité du contrat est-elle de répondre à un besoin de la personne publique ?

Les textes comme la jurisprudence établissent une ligne de partage claire entre les contrats de la commande publique et les autres contrats, selon que l’objet vise à satisfaire un besoin de la personne publique ou seulement de l’attributaire.

Outre les définitions ressortant des directives marchés et concessions, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé qu’une prestation ne relève de la commande publique que si elle « com- porte un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur », tel n’étant pas le cas lorsqu’elle « vise à satisfaire un objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect » 2.

Vous avez eu l’occasion à plusieurs reprises de procéder à cette qualification du besoin de la personne publique.

L’existence d’un tel besoin est mise en lumière par votre jurisprudence, désormais fournie, lorsqu’elle départage les champs respectifs du marché public ou de la concession de service d’une part (désormais des contrats de la commande publique) et de la convention d’occupation domaniale d’autre part.

Vous avez ainsi jugé qu’un contrat portant sur la fourniture, l’installation et l’entretien sur le domaine public d’une commune d’éléments de mobilier urbain entrait dans le champ du code des marchés publics. Le contrat en question avait, en effet, pour objet, outre d’autoriser l’occupation du domaine public, de permettre la réalisation et la fourniture de prestations de service à une commune en matière d’information municipale, de propreté et de protection des usagers des transports publics contre les intempéries 3.

La solution inverse a été retenue avec votre décision Ville de Paris 4, s’agissant d’une convention ayant pour objet l’installation et l’exploitation, sur le domaine public communal, de colonnes et de mâts porte-affiches en retenant qu’elle ne pouvait être regardée comme ayant été conclue pour répondre aux besoins de la commune, car elle ne concernait pas des activités menées par les services municipaux ni exercées pour leur compte.

Vous avez, par ailleurs, écarté la qualification de délégation de service public s’agissant d’un contrat par lequel le gestionnaire du domaine a autorisé une association à occuper une dépendance domaniale et à y exploiter des infrastructures sportives 5.

En résumé, par les contrats de la commande publique, la personne publique obtient une prestation dont elle a besoin pour assurer ses propres missions, alors que les autres contrats (occupation domaniale principalement) permettent à la personne publique de faire bénéficier un cocontractant, pour ses propres besoins, de l’usage d’un bien public ou du domaine public.

En l’espèce, nous avons, à vrai dire, peu de doute : il est indispensable, pour la collectivité publique, de faire en sorte que l’enlève- ment des véhicules stockés soit réalisé. Ces véhicules ne peuvent demeurer indéfiniment sur place et s’entasser, mais doivent nécessairement être déplacés. D’ailleurs, s’il fallait s’en convaincre, le cahier des charges du contrat fixe au titulaire des obligations chiffrées et contrôlées quant aux quantités et à la fréquence de l’enlèvement des véhicules et, ainsi que vous l’avez retenu avec la décision Grand port maritime de Bordeaux 6, ce type de clauses révèle que le contrat répond à des besoins de la personne publique.

Une particularité, mise en exergue par l’un des moyens des pourvois, tient à ce que la conclusion de contrats pour procéder à l’enlèvement des véhicules est encadrée par les textes.

L’article L. 352-7 du code de la route prévoit, en effet, que les véhicules abandonnés – c’est-à-dire ceux qui n’ont pas été réclamés au terme d’un délai de 15 jours après la mise en demeure faite au propriétaire de les récupérer – sont soit remis aux Domaines en vue de leur aliénation s’ils peuvent être vendus, soit remis à une entreprise agréée qui se charge de leur destruction lorsqu’ils sont endommagés.

Dans la seconde hypothèse, il appartient à l’autorité qui gère la fourrière –ici, la ville de Paris – de faire procéder à l’enlèvement des véhicules et elle peut, pour ce faire, conclure un contrat avec une entreprise qui se chargera de la destruction des véhicules.

L’article L. 325-3 renvoie à un décret le soin de définir « les clauses devant obligatoirement figurer dans le contrat type susceptible d’être passé entre les collectivités publiques intéressées et les entreprises aptes à effectuer la démolition des véhicules à moteur ». C’est l’objet de l’article R. 325-45, qui détermine un certain nombre de clauses de ce contrat.

Contrairement à ce qui est soutenu, les textes ne font pas ressortir une obligation de conclure un contrat (le contrat est « susceptible » d’être passé ; « les autorités dont relèvent les fourrières (…) peuvent passer contrat »), mais plutôt une obligation, si un tel contrat est passé, qu’il contienne alors un certain nombre de clauses.

En tout état de cause, l’encadrement de cette activité par les textes ne lui ôte pas, par lui-même, la nature de contrat de la commande publique.

Vous avez, en ce sens, expressément jugé qu’une convention par laquelle un établissement public portuaire confiait l’exploitation d’un terminal portuaire avait pour objet de répondre à ses besoins, alors même qu’il ne pouvait légalement les satisfaire lui-même et que cette impossibilité n’était pas non plus un obstacle à la qualification de concession de service 7.

La CJUE retient aussi qu’un contrat passé par une personne publique qui n’est pas responsable d’un service ou qui n’est pas propriétaire d’un ouvrage peut répondre à ses besoins dès lors qu’« il lui permet de réaliser des économies et de remplir d’une manière plus efficace sa mission légale » 8.

Vous avez enfin implicitement admis l’application du code des marchés publics pour un service similaire d’enlèvement de véhicules abandonnés 9, ce qui va dans le sens de la qualification de contrat de la commande publique, même si nous reviendrons ensuite sur la qualification de marché public (avec une approche différente de ce précédent implicite non fiché, compte tenu des différences tenant au contrat litigieux dans les deux cas, notamment du fait de l’existence d’un prix).

Au total, le critère tenant à l’existence d’un besoin de la personne publique peut être regardé comme rempli lorsque le contrat lui permet d’exercer ses missions, que cela lui soit indispensable ou le lui permette dans de meilleures conditions, et ce y compris si la prestation confiée est par ailleurs encadrée par les textes.

Cette seconde condition tenant à la réponse à un besoin de la personne publique nous paraît donc remplie en l’espèce.

C. Caractère onéreux du contrat

Troisième condition : le contrat est-il conclu à titre onéreux ?

Nous reviendrons ensuite sur la forme de cette onérosité, en l’absence de prix, afin de déterminer la nature du contrat litigieux. Ce qui nous importe à ce stade, c’est le caractère onéreux ou non.

La CJUE a été amenée à se prononcer sur cette question dans le cas d’un contrat qui ne comportait aucune contrepartie financière 10. Elle précise dans cet arrêt Tax-Fin-Lex (pt 25) que selon sa jurisprudence, les termes « à titre onéreux » désignent un contrat par lequel chacune des parties s’engage à réaliser une prestation en contrepartie d’une autre. Cette forme d’assimilation entre contrat synallagmatique et contrat conclu à titre onéreux a été confirmée par une affaire récente de la CJUE 11.

Cette conception large de la notion d’onérosité ressort aussi de votre jurisprudence.

Vous avez ainsi retenu un caractère onéreux s’agissant d’un contrat par lequel le titulaire se rémunérait en exploitant les matériaux excavés dans le cadre de travaux de résection d’un méandre d’une rivière 12, ou encore d’un contrat par lequel le titulaire bénéficiait du droit d’exploiter un gisement de granulats en contrepartie de l’acquisition et de la dépollution d’un terrain 13.

Certes, vous avez jugé, avec la décision CHU de Rouen 14 qu’un contrat passé entre un établissement hospitalier et un opérateur de services de télévision, téléphonie et accès internet pour les patients hospitalisés ne pouvait être regardé comme conclu à titre onéreux dès lors que la personne publique ne versait aucune rémunération à son cocontractant et percevait, en contrepartie de l’occupation de son domaine, une redevance dont le montant résultait de la mise en concurrence. Mais dans cette jurisprudence, antérieure aux ordonnances de 2015 et 2016, ce caractère non onéreux était apprécié au sens de l’article 1er du code des marchés publics, soit au sens du critère du prix. D’ailleurs, vous avez ensuite qualifié ce contrat de délégation de service public.

En l’espèce, le contrat litigieux comporte de telles obligations réciproques, avec une contrepartie qui a une valeur économique.

L’entreprise s’engage à enlever les véhicules, avec des conditions de délai (maximum 15 jours à compter de la demande : R. 325-45) ainsi que de nombre de véhicules enlevés par semaine (en appli- cation du contrat), ces engagements étant assortis de pénalités.

La ville s’engage, quant à elle, à réserver à l’entreprise titulaire du contrat l’exclusivité de l’enlèvement des véhicules abandon- nés (art. R. 325-45 et art. 4 du cahier des charges). Ce droit exclusif d’exploiter les véhicules a une valeur économique indéniable : le montant de recettes prévisionnel pour le lot n° 1 serait de plus d’1,4 million d’euros.

Il s’agit donc bien d’un contrat conclu à titre onéreux, et au total d’un contrat de la commande publique, ce qui conduit à écarter les moyens soulevés sur ce point et à valider la compétence du juge du référé précontractuel pour en connaître.


II. QUEL TYPE DE CONTRAT DE LA COMMANDE PUBLIQUE ?

Dès lors que nous sommes dans le champ des contrats de la commande publique, deux qualifications seulement sont pos- sibles, celle de marché ou celle de concession, conformément au second alinéa de l’article L. 2 du code de la commande publique.

Les deux parties s’accordent, avec des raisonnements très différents, pour estimer que le contrat litigieux n’est pas une concession : pour la ville de Paris car il ne s’agirait même pas d’un contrat de la commande publique, pour les sociétés requérantes car ce serait un marché public.

L’absence de tout prix versé par la ville de Paris conduit à écarter la qualification de marché public, au regard de la définition donnée par l’article L. 1111-1. Celui-ci n’exclut certes pas l’idée de « tout équivalent » à un prix. L’abandon de recettes d’exploitation pouvait auparavant être regardé comme un prix lorsqu’il n’existait pas de catégorie contractuelle de concession de service pour des services qui n’étaient pas des services publics.

La seule alternative est donc nécessairement celle de la concession, ce qui ne résulte pas seulement de ce raisonnement par défaut écartant la qualification de marché public, mais aussi, plus directement, des critères mêmes définissant la concession.

L’article L. 1121-1 du code de la commande publique 15 définit la concession, autour de deux notions clé liées au mode de rémunération et à l’existence d’un risque.

D’une part, l’exécution de la prestation a pour contrepartie soit le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit ce droit assorti d’un prix.

D’autre part, l’article précise que « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, qu’il a supportés ».

Le considérant 18 de la directive de 2014 précisait très clairement que « l’application de règles spécifiques régissant l’attribution de concessions ne serait pas justifiée si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice évitait à l’opérateur économique tout risque de pertes, en lui garantissant un revenu minimal supérieur ou égal aux investissements effectués et aux coûts qu’il doit supporter dans le cadre de l’exécution du contrat ».

Une activité économique présente, par essence, un risque. La question est donc de savoir, quand bien même ce risque serait faible en pratique – dès lors qu’il n’est pas nul – sur qui il repose en droit, entre la personne publique et le titulaire.

S’agissant d’abord du mode de rémunération, vous avez, il est vrai, écarté la qualification de concession de travaux en présence d’un droit d’exploitation avec votre décision précitée Commune de Saint-Germain-en-Laye, décision sur laquelle se fondent les parties. Suivant les conclusions du président Dacosta, cette décision retenait que la cession du droit d’exploiter un gisement était un prix sous la forme d’un abandon de recettes.

Toutefois, elle ne nous paraît pas pouvoir être transposée dans notre affaire.

D’une part, dans ce précédent, la prestation consistait à dépolluer et aménager un site et la rémunération provenait d’une activité distincte, à savoir la vente de granulats. Le lien entre l’objet du contrat et le mode de rémunération était très indirect. La concession de travaux, qui était la qualification alternative, supposait que la rémunération provienne de l’exploitation des travaux ou ouvrages objet du contrat, ce qui n’était pas le cas. Dans notre affaire, outre le fait qu’il s’agit de services et non de travaux, la rémunération provient directement du service réalisé puisque ce sont les voitures enlevées qui sont ensuite recyclées et vendues.

D’autre part, la solution retenue – un abandon de recettes lié à une exploitation, qualifié de prix et engendrant la qualification de marché – ne pourrait sans doute plus l’être aujourd’hui. La jurisprudence Decaux 16 qui l’avait retenue a dû évoluer 17.

Vous n’êtes donc pas lié par cette décision de 2009 et en l’espèce, la rémunération provient bien directement du service rendu et de l’exploitation en résultant.

Encore faut-il, pour achever ce raisonnement, que le transfert du droit d’exploiter corresponde à un transfert du risque 18.

Certes, aucun investissement n’est attendu et les chiffres fournis par les parties montre que l’activité est relativement stable.

Toutefois, elle comporte des coûts à supporter pour l’entreprise. Aucun mécanisme de compensation n’est prévu dans l’hypothèse où le cocontractant ne parviendrait plus à valoriser les éléments des véhicules qu’il récupère, tout en continuant à devoir assurer l’enlèvement. Le risque d’exploitation pèse donc bien sur le titulaire.

Au total, le contrat litigieux doit donc, selon nous, revêtir la qualification de concession.


III. CONSÉQUENCES SUR L’ORDONNANCE ATTAQUÉE

Il est temps de tirer les conséquences de ce travail de qualification sur l’ordonnance attaquée.

D’abord, le juge du référé a fait application, à tort, des dispositions relatives aux marchés publics (CCP, art. L. 2131-1) pour annuler la procédure sur le terrain de l’absence de publicité préalable. Ceci vous conduira, si vous nous suivez, à annuler son ordonnance, sur le fondement du moyen soulevé d’office par votre 7e chambre quant au champ d’application de la loi.

Réglant l’affaire en référé, et faisant application des dispositions pertinentes, applicables aux concessions, vous ne pourrez alors que constater que la ville a manqué à ses obligations. Elle n’a aucunement communiqué les critères de sélection, comme elle le devait le faire. Et ce manquement est évidemment susceptible d’avoir lésé les sociétés évincées, en application de votre jurisprudence Smirgeomes19.

La procédure d’attribution doit donc être annulée, et ce dès l’avis d’appel public à la concurrence.

Par ces motifs, nous concluons :
● à l’annulation des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 6 janvier 2021 ;
● à ce que la procédure d’attribution des contrats litigieux soit annulée ;
● à ce que la ville de Paris verse une somme de 2 000 euros chacune à la société Allo Casse Auto et à la société Euro Casse Auto au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
● au rejet du surplus des conclusions des parties.


EXTRAITS

[…] 4. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés que les contrats pour la conclusion desquels la ville de Paris a lancé la procédure litigieuse ont pour objet de confier à leur titulaire l’enlèvement des véhicules abandonnés dans les parcs de fourrière placés sous sa responsabilité, conformément à l’article L. 325-8 du code de la route. La fréquence et le volume des enlèvements auxquels le titulaire s’engage à procéder sont fixés par les stipulations du contrat. Le service ainsi rendu par les entreprises de démolition automobile cocontractantes ne fait l’objet d’aucune rémunération sous la forme d’un prix, les stipulations des conventions projetées, qui reprennent les clauses types définies à l’article R. 325-45 du code de la route, indiquant que ces entreprises ont le droit, en contrepartie de leurs obligations, de disposer des accessoires, pièces détachées et matières ayant une valeur marchande issus des véhicules. Aucune stipulation de ces conventions ne prévoit par ailleurs de compensation, par la ville de Paris, des éventuelles pertes financières que pourrait subir son cocontractant du fait des risques inhérents à l’exploitation commerciale des produits issus de ces enlèvements. Dans ces conditions, ces conventions, qui prévoient que la rémunération du service rendu prend la forme du droit d’exploiter les véhicules abandonnés et qui transfèrent à leurs titulaires le risque inhérent à cette exploitation, présentent le caractère de concessions de service.

5. Pour annuler la procédure de passation litigieuse, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a retenu qu’elle avait été conduite en méconnaissance des obligations de publicité prévues aux articles L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16 du code de la com- mande publique, applicables aux seuls marchés publics. En statuant de la sorte, le juge des référés a méconnu le champ d’application de la loi. Ses ordonnances doivent être annulées pour ce motif, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les moyens des pourvois.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en appli- cation de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique.. ».

8. Ainsi qu’il a été dit au point 4, les conventions faisant l’objet de la procédure litigieuse sont des concessions de service. Aux termes de l’article L. 3124-4 du code de la commande publique : « Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution ». Aux termes de l’article R. 3124-4 du même code : « Pour attribuer le contrat de concession, l’autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l’article L. 3124-5, sur une pluralité de critères non discriminatoires. Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l’innovation. / Les critères et leur description sont indiqués dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation ».

9. Il résulte de l’instruction qu’en méconnaissance des dispositions citées au point 8, aucun critère de sélection n’a été communiqué par la ville de Paris aux entreprises candidates dans le cadre de la procédure en litige. Ce manquement, qui est susceptible d’avoir lésé les sociétés requérantes, justifie l’annulation de cette procédure, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes et sans qu’il y ait lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à la ville de Paris de la reprendre.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 2 000 euros à verser à la société Allo Casse Auto et à la société Euro Casse en appli- cation des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de ces sociétés qui ne sont pas, dans les présentes instances, la partie perdante.


DÉCIDE :
Article 1er : Les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 6 janvier 2021 sont annulées.
Article 2 : La procédure d’attribution des contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés en fourrière, correspondant aux lots n° 1 et n° 2, est annulée.
Article 3 : La ville de Paris versera une somme de 2 000 euros chacune à la société Allo Casse Auto et à la société Euro Casse au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

1 CE, 3 déc. 2014, n° 384170, 384183, Établissement public Tisséo : Lebon, T.
2 CJUE, 25 mars 2010, n° C-451/08, Helmut Müller GmbH – CJUE, 14 juill. 2016, Promoimpresa Srl, § 47.
3 CE, ass., 4 nov. 2005, n° 247298, Sté Jean-Claude Decaux : Lebon.
4 CE, 15 mai 2013, n° 364593 : Lebon.
5 CE, sect., 3 déc. 2010, n° 338272, 338527, Ville de Paris et Assoc. Paris Jean-Bouin : Lebon – CE, 10 juill. 2020, n° 434582, Paris Tennis : Lebon. S’agissant de nouveau de l’exploitation de courts de tennis dans les jardins du Luxembourg, avec la décision Paris Tennis, vous avez, après avoir écarté la qualification de contrat de la commande publique, souligné, pour autant, les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables non seulement aux contrats de la commande publique, mais aussi aux conventions d’occupation domaniale en application du droit de l’Union.
6 CE, 14 févr. 2017, n° 405157, Sté de manutention portuaire d’Aquitaine, Grand Port Maritime de Bordeaux : Lebon.
7 Décision Grand Port Maritime de Bordeaux précitée.
8 CJCE, 18 janv. 2007, n° C-220/05, Jean Auroux et a. c/ Cne de Roanne – CJUE, 21 mai 2015, n° C-269/14, Kansaneläkelaitos.
9 CE, 19 avr. 2013, n° 365340, Ville de Marseille.
10 CJUE, 10 sept. 2020, n° C-367/19, Tax-Fin-Lex.
11 CJUE, 28 mai 2020, n° C- 796/18, Informatikgesellschaft für Software- Entwicklung.
12 CE, 22 févr. 1980, n° 11939, Sté des sablières modernes d’Aressy : Lebon, sur un autre point.
13 CE, 3 juin 2019, n° 311798, Cne de Saint-Germain-en-Laye.
14 CE, 7 mars 2014, n° 372897.
15 Résultant de l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, elle-même reprenant largement l’article 5 de la directive du 26 février 2014.
16 CE, ass., 4 nov. 2005, n° 247298 : Lebon.
17 CE, 15 mai 2013, n° 364593, Ville de Paris : Lebon. Voir en ce sens conclusions du président Dacosta sur CE, 14 nov. 2014, n° 373156, SMEAG de Cergy-Pontoise.
18 Voir en ce sens CE, 5 févr. 2018, n° 416581 et s., Ville de Paris et Sté de mobiliers urbains pour la publicité et l’information : Lebon, T. – CE, 25 mai 2018, n° 416825, 416947, Sté Philippe-Védiaud Publicité et Cne de Saint- Thibault-des-Vignes : Lebon.
19 CE, sect., 3 oct. 2008, n° 305420 : Lebon.

Mireille Le Corre
Rapporteure publique