Cours & Tribunaux
CE, 11 mai 2021, n° 447948, Ministre de l’Intérieur c/ Synd. des copropriétaires du parking TIR Plateforme douanière Borne 9 : Lebon, T.
L’enlèvement et la mise en fourrière de véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier sont relatifs à des opérations de police judiciaire et ressortissent à la compétence du juge judiciaire.
Par suite, le juge des référés d’un tribunal administratif méconnait sa compétence en enjoignant au préfet de
faire procéder – en exerçant le pouvoir de substitution qu’il tient des dispositions de l’article L. 2215-1 du CGCT en cas de carence des autorités municipales – au retrait des véhicules stationnant de manière irrégulière.
CONCLUSIONS
1. Le lieu du litige est un parking de transport international routier (TIR), situé à Saint-Louis (Haut-Rhin), en bordure de l’autoroute A 35, à proximité de la frontière franco-suisse. Cette aire de stationnement a été concédée en 1988 à un syndicat des copropriétaires, par une convention d’occupation du domaine public routier national signée avec l’État, aux fins de permettre que soient effectuées les opérations de dédouanement lors du passage de véhicules de fret entre la France et la Suisse. Le syndicat des copropriétaires a cherché à obtenir l’enlèvement de ce parking d’une trentaine de véhicules automobiles, la plupart dépourvus de plaques d’immatriculation, qui y stationnaient de manière continue depuis plusieurs mois. Il s’est adressé vainement aux services des douanes français et suisses, au maire de la commune de Saint-Louis et enfin, par un courrier du 20 octobre 2020, au préfet du Haut-Rhin. Le 6 novembre 2020, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, à ce qu’il soit enjoint au préfet de prendre les mesures nécessaires pour faire évacuer les véhicules stationnant illégalement sur le parking. Par une ordonnance du 7 décembre 2020, le juge des référés a fait droit à cette demande.
2. Le ministre de l’Intérieur se pourvoit en cassation en soulevant un unique moyen d’erreur de droit, qui nous paraît fondé. Le juge des référés a cité l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui prévoit que la police municipale est assurée par le maire, mais que le représentant de l’État dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Puis il a jugé qu’il y avait une carence manifeste de l’autorité municipale de police et a, en conséquence, enjoint au préfet de prendre les mesures nécessaires à l’enlèvement des véhicules occupant abusivement le parking.
Or, l’article L. 2215-1 du CGCT n’est pas applicable aux communes des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, en vertu des dispositions de l’article L. 2542-1 du CGCT. Vous avez certes jugé que le représentant de l’État dans l’un de ces départements est compétent pour prendre, en vertu des pouvoirs de police générale dont il dispose sur le fondement du I de l’article 34 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et de l’article 11 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, les mesures qu’il estime nécessaires pour faire respecter l’ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques et qui, eu égard à leur nature et à leur objet, doivent être prises à une échelle qui excède le territoire d’une seule commune 1. Mais il n’est pas sérieusement contesté qu’ici, le parking est situé sur le territoire d’une seule commune, de sorte que la loi de 1982 et le décret de 2004 ne peuvent pas non plus servir de fondement légal.
3. Le moyen du ministre est donc fondé mais vous avez communiqué aux parties un moyen d’ordre public qui soulève une question en amont, celle de la compétence de la juridiction administrative.
Il faut d’abord clarifier la nature de la demande adressée par le syndicat des copropriétaires au juge des référés.
Le juge des référés, qui a dû interpréter les écritures du syndicat, a balancé entre divers terrains.
Il a commencé par se placer dans le cadre d’une demande d’expulsion d’occupants sans titre du domaine public. Mais ce terrain ne nous paraît pas adapté. Il supposerait qu’il soit possible d’identifier le ou les occupants sans titre, afin notamment de leur permettre d’assurer leur défense devant le juge, ce qui n’est pas le cas ici puisque la plupart des véhicules n’ont même pas de plaque d’immatriculation. Au demeurant, les dépendances du domaine public en cause nous paraissent se rattacher au domaine public routier, qui comprend l’ensemble des éléments affectés aux besoins de la circulation, dont les aires de stationnement 2. Le litige relèverait donc de la compétence du juge judiciaire 3, en vertu des dispositions de l’article L. 116-1 du code de la voirie routière, issues de l’ordonnance du 27 décembre 1958 relative à la conservation du domaine public routier. Il y aurait, en revanche, compétence du juge administratif si étaient contestées des mesures de portée générale de gestion du domaine public routier 4 ou une décision administrative refusant de saisir le juge judiciaire d’une demande d’expulsion 5.
Le juge des référés a, en réalité, progressivement bifurqué vers le terrain de la police administrative, sur lequel est fondée, comme nous l’avons dit, la mesure qu’il a ordonnée. Mais il nous paraît, ce faisant, avoir méconnu le champ de la police administrative, ainsi que l’étendue de la compétence du juge administratif. Ce que souhaite le syndicat des copropriétaires, c’est l’enlèvement des véhicules et cette mesure ne nous paraît pas relever de la police administrative. Les dispositions pouvant fonder une telle mesure sont celles du code de la route : l’article L. 325-1 6 prévoit que les véhicules dont la circulation ou le stationnement en infraction aux dispositions du code compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l’hygiène publique, la conservation ou l’utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances, peuvent, à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l’officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l’accord du propriétaire du véhicule, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction ; l’article L. 417-1 7 du même code permet, quant à lui, de mettre en fourrière les véhicules laissés en stationnement en un même point de la voie publique ou de ses dépendances pendant une durée excédant sept jours consécutifs.
Une décision de mise en fourrière fondée sur l’article L. 25, devenu l’article L. 325-1 du code de la route, a le caractère d’une opération de police judiciaire et relève de la compétence de la juridiction judiciaire 8. L’autorité compétente pour prendre une telle décision ne saurait être le préfet, qui n’a pas la qualité d’officier de police judiciaire (cf. article 16 du code de procédure pénale). Et un refus opposé par le maire à une demande de mise en fourrière, qui émanerait alors d’une autorité agissant comme officier de police judiciaire, ne relèverait pas non plus de la compétence des juridictions administratives 9.
La demande adressée au juge des référés n’entrait donc pas dans le champ de la compétence du juge administratif et vous annulerez l’ordonnance, pour ce motif. Vous rejetterez ensuite la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Par ces motifs, nous concluons :
● à l’annulation de l’ordonnance du 7 décembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;
● au rejet de la demande présentée au juge des référés par le syndicat des copropriétaires du parking TIR ;
● au rejet des conclusions du syndicat présentées sur le fonde- ment des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
EXTRAITS
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que le syndicat des copropriétaires du parking TIR de Saint-Louis, à qui la gestion de cette plateforme destinée à permettre les opérations de dédouanement lors du passage des véhicules de fret entre la France et la Suisse a été confiée dans le cadre d’une convention d’occupation du domaine public routier national signée avec l’État en 1988, a fait constater par huissier de justice le 6 octobre 2020 la présence sur ce parking d’une trentaine de véhicules automobiles, alors que le stationnement de longue durée y est prohibé. Par une lettre du 20 décembre 2019, ce syndicat a saisi le maire de la commune de Saint-Louis, sur le fondement des dispositions de l’article L. 417-1 du code de la route, d’une demande tendant à l’enlèvement et à la mise en fourrière des véhicules abandonnés ou en stationnement abusif sur le parking. En l’absence de réponse à cette demande, le syndicat des copropriétaires du parking TIR a saisi le préfet du Haut-Rhin par courrier du 20 octobre 2020 d’une demande tendant à ce qu’il fasse usage, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, de son pouvoir de substitution pour prendre les mesures nécessaires à l’enlèvement des véhicules. Cette demande étant également demeurée sans suite, le syndicat des copropriétaires a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures nécessaires à l’enlèvement des véhicules stationnés irrégulièrement sur ce parking, sous astreinte de 250 euros par jour de retard. Par une ordonnance du 7 décembre 2020, ce juge des référés a fait droit à sa demande et enjoint au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures appropriées dans un délai de 15 jours à compter de la notification de son ordonnance.
2. Aux termes de l’article L. 521-3 du code de justice administrative : « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ». Les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.
3. Aux termes de l’article L. 325-1 du code de la route : « Les véhicules dont la circulation ou le stationnement en infraction aux dispositions du présent code ou aux règlements de police (…) compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l’hygiène publique, l’esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l’utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances, notamment par les véhicules de transport en commun peuvent à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l’officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l’accord du propriétaire du véhicule, dans les cas et conditions précisés par le décret prévu aux articles L. 325-3 et L. 325-11, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction ». En vertu de l’article L. 417- 1 du même code : « Les véhicules laissés en stationnement en un même point de la voie publique ou de ses dépendances pendant une durée excédant sept jours consécutifs peuvent être mis en fourrière ».
4. Il résulte de ces dispositions qu’une demande tendant à ce que des véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier soient enlevés et mis en fourrière, qui vise à la mise en œuvre de pouvoirs de police judiciaire, est manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a méconnu sa compétence en enjoignant au préfet de faire procéder, en exerçant le pouvoir de substitution qu’il tient des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales en cas de carence des autorités municipales, au retrait des véhicules stationnant de manière irrégulière sur le parking TIR de Saint-Louis. Il en résulte que l’ordonnance attaquée doit être annulée, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen du pourvoi.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en appli- cation de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Ainsi qu’il a été dit au point 4, les litiges relatifs à l’enlèvement et à la mise en fourrière de véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier sont relatifs à des opérations de police judiciaire et ressortissent à la compétence du juge judiciaire. Il s’ensuit que la demande présentée par le syndicat des copropriétaires du parking TIR de Saint-Louis devant le juge des référés du tribunal administra- tif de Strasbourg doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : L’ordonnance du 7 décembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : La demande présentée par le syndicat des copropriétaires du parking TIR devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par le syndicat des copropriétaires du parking TIR au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
1 CE, 21 févr. 2018, n° 390601, Min. Intérieur : Lebon, T.
2 CE, 18 oct. 1995, n° 116316, Cne de Brive-la-Gaillarde : Lebon, p. 356.
3 T. confl., 17 oct. 1988, n° 02544, Cne de Sainte-Geneviève-des-Bois : Lebon, p. 492 – T. confl., 8 déc. 2014, n° C3971, Cne de Falicon : Lebon, T. 4 CE, 23 oct. 1998, n° 172017 : Lebon, T.
5 CE, 21 nov. 2011, n° 311941, Cne de Ploneour-Lanvern : Lebon – CE, 1er déc. 1976, n° 01617, Assoc. des concubins et concubines de France et a. : Lebon, p. 520 – CE, sect., 30 sept. 1955, Union nationale des syndicats d’opticiens de France : Lebon, p. 453.
6 Ancien article L. 25.
7 Anciennement dernier alinéa de l’article L. 25.
8 CE, 18 mars 1981, n° 17502, Cts X : Lebon, p. 148 – CE, 11 déc. 1987, n° 77962 – CE, 13 janv. 1992, n° 116218 : Lebon, p. 16 – CE, 12 avr. 1995, n° 125153 : Lebon, p. 161 – Cass. 1re civ., 15 oct. 1996, n° 94-21.225 : Bull. civ. I, n° 352, p. 247.9 CE, 18 janv. 1924, Dame Veuve X : Lebon, p. 61 – CE, 29 janv. 1954, Dame X : Lebon, p. 61.

Karin Ciavaldini
Rapporteure publique