Vert(s) domaine(s) ?

Tribune

À la suite d’études classiques 1, on s’était efforcé l’an dernier de dresser un état des lieux – pas franchement euphorique – des points de contact entre droits domanial et de l’environnement 2 ; la réflexion doctrinale s’est, parallèlement, enrichie 3.
Quid novi dans les derniers temps ? Relevons que certains textes promouvant les bonnes pratiques environnementales et la transition écologique (formule lourde d’ambiguïtés) n’ont pas été sans impact sur la gestion des propriétés publiques, accréditant l’idée d’un « verdissement » du droit domanial (à l’image de pâturages limitrophes, comme le droit de la commande publique).

On reste toutefois en vert pâle. Presque rien de spécifique, par exemple, dans la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui avait simple- ment élargi à la marge les possibilités de dons de matériels usagés par les personnes publiques à des acteurs de l’économie sociale et solidaire (dans des conditions qui laissaient perplexe) 4.
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (sic) va un peu plus loin. Relevons notamment que de nouvelles installations de production d’énergie renouvelable bénéficient d’un assouplissement des règles de mise en concurrence des titres domaniaux (art. 87-III) ; à quoi s’ajoute l’idée d’une modulation des péages poids lourds (art. 134) ou une possibilité de dispense de redevance d’occupation du domaine public pour les dispositifs de végétalisation urbains (art. 202). Mais certaines de ses dispositions domaniales n’ont aucun rapport avec l’environnement (en témoigne l’exclusion de l’hypothèque légale des associations syndicales de propriétaires sur les biens du domaine public [art. 220-III]). Et, alors qu’il est urgent de ne plus attendre, des engagements se trouvent différés : l’inter- diction des terrasses chauffées ou climatisées sur le domaine public, à la fin du mandat présidentiel (art. 181) ; la réalisation d’objectifs d’accroissement des transports ferroviaire et fluvial, à 2030 (art. 131). Pour le reste, que penser de la prohibition des engrais chimiques sur les terrains publics, sauf… agricoles (art. 269) ?

Le droit domanial n’échappe évidemment pas à l’habituel hiatus entre écologie et économie, simplement masqué lorsque les deux convergent (magie du « développement durable »). Dans les dernières années, diverses réformes officiellement justifiées par la première ne contrariaient pas, à tout le moins, la seconde (une illustra- tion : la modernisation du régime des zones de mouillage par le décret n° 2020-677 du 4 juin 2020 5). Vertueuse dans son affichage, l’actuelle politique de rénovation énergétique du parc immobilier traduit largement une volonté de réduire les dépenses et de faire travailler le secteur du BTP, au titre d’une relance qui s’appuie – parmi maints outils – sur les contrats et le domaine publics (environ 4 milliards d’euros du plan France Relance seraient affectés à la rénovation énergétique des bâtiments administratifs 6).

La vérité des intentions apparaît plus crûment dans d’autres cas de figure. Constats désabusés : quand économie et écologie ne coïncident pas, les gestionnaires domaniaux peuvent privilégier la première sans états d’âme (mention spéciale, peu après l’ouverture de la saison, aux publicités de l’ONF pour des journées de chasse – y compris à courre – dans des « domaines d’exception », emballées dans un laïus sur la protection de la biodiversité). Lorsque la protection de l’environnement sur le domaine public ne rapporte pas, mais coûte, elle peut passer à l’as (songeons à certains littoraux atlantiques souillés où le ramassage des déchets n’est plus pris en charge ni par l’État ni par les communes, associations et particuliers étant cordialement invités à s’y coller) 7. Et puis sur les propriétés publiques comme ailleurs, c’est aussi la méthode qui pèche, la « mise sous cloche » de rares secteurs (sur le papier du moins, puisque les moyens de protection ne suivent jamais…) s’accompagnant du fait que l’on laisse faire n’importe quoi en dehors. Il est par exemple sympathique d’annoncer de nouveaux objectifs chiffrés pour des zones de protection forte en Méditerranée, qui ne devraient certes pas nuire au domaine public maritime (E. Macron au Congrès mondial de la nature, début septembre à Marseille). Mais si l’on commençait par quelques mesures de bon sens, comme l’interdiction des jet-skis et des vedettes à moteur les plus polluantes qui infestent (et infectent) nos littoraux ? Incontestablement, cela contrarierait des intérêts économiques puissants (et la jurisprudence administrative n’y aide malheureusement guère, en l’état), mais on ne peut pas tout vouloir « en même temps ». Sauf bien sûr à ce que les mots verts demeurent des mots creux, pas vraiment « ceux qui rendent les gens heureux ».

1 En particulier, V. Inserguet-Brisset, Propriété publique et environnement, LGDJ, 1994.
2 Brèves remarques sur l’environnementalisation du droit domanial (in Études S. Caudal [C. Roux, dir.], IFJD/ Lextenso, 2020, p. 263).
3 Par ex., O. de David-Beauregard, Concessions de cultures marines : quelles garanties pour la préservation de l’environnement ?, in Mélanges C. Lavialle, PU Toulouse, 2020, p. 191.
4 L. n° 2020-105, art. 38, 52 et 53 : JCP A 2020, 2109, obs. crit. C. Chamard-Heim.
5 V. comm. au JCP A 2020, n° 27, p. 38.
6 V. not. instr. 18 nov. 2020 relative au soutien à la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités territo- riales – L. n° 2021-1104, art. 148 s. (spéc. art. 180, pour ces collectivités).
7 L’ « externalisation » de la protection de l’environnement, en mode Ponce Pilate, mériterait au demeurant une étude à part entière.

Philippe Yolka
Professeur de droit public – Université Grenoble Alpes