Synthèse – Août 2020 – Juillet 2021
Particulièrement riche l’année dernière au gré de quelques décisions décisives, la période sous revue en matière de travaux et d’ouvrages publics s’avère, en comparaison, plus modeste d’intérêts, même si de nombreuses décisions commentées ici permettent précisément de mieux mesurer la portée des évolutions jurisprudentielles récentes. Il en va ainsi, entre autres, s’agissant de la faculté de régularisation affectant l’ouvrage public mal planté ou, encore, au sujet des nouveaux pouvoirs attribués au juge (de plein contentieux) de la réparation des dommages de travaux publics. Méritent encore l’intérêt certaines décisions portant sur les notions respectives – et leurs critères constitutifs – de travaux et d’ouvrages publics.
I. NOTION DE TRAVAUX ET OUVRAGES PUBLICS
A. Travaux publics
Définitions classiques.
Dans une formule synthétisée – et quelque peu atrophiée – des jurisprudences Commune de Monségur 1 et Effimieff 2, il est désormais retenu « qu’ont le caractère de travaux publics, les travaux immobiliers répondant à une finalité d’intérêt général réalisés pour le compte d’une personne publique ou pour l’exécution d’une mission de service public ». Partant, dans la seconde branche de l’alternative, les travaux réalisés dans le cadre du service de l’archéologie préventive revêtent un tel caractère (CAA Douai, 4 févr. 2021, n° 19DA02154, Sté Quai Sud), un contrat – passé entre l’INRA et une SPLA – emportant un caractère administratif dès lors que, précisément, il a pour objet la réalisation de travaux publics de fouilles préventives (T. confl., 2 nov. 2020, n° C4196, Sté Eveha : Lebon ; AJDA 2021, p. 296, note V. Lamy ; AJDA 2021, p. 734, chron. C. Beaufils et C. Malverti ; BJCP 2021, n° 134, p. 3, concl. A Berriat ; JCP A 2020, n° 2336, note Y. Simonnet). Il en va différemment des travaux réalisés par une personne privée (création d’une voie de desserte d’un lotissement), dès lors qu’ils ne prennent pas cadre dans l’exécution d’une mission de service public, les voies créées n’étant pas, au surplus, transférées dans le patrimoine des personnes publiques (CAA Marseille, 15 févr. 2021, n° 19MA02408, SCI Gasper 2).
En se raccrochant à la définition originelle du travail public, il a été jugé que des travaux portant sur des voies privées ouvertes à la circulation publique constituaient des travaux publics, ces derniers étant réalisés dans l’intérêt général et pour le compte de la personne publique, la circonstance qu’ils soient effectués sous maîtrise d’œuvre privée étant jugée indifférente, là où, autrefois, l’absence de direction et de contrôle de la personne publique dans ce genre d’opérations avait tendance à chasser la qualification 3 (CAA Marseille, 26 avr. 2021, n° 19MA01116, Cts F : Contrats-marchés publ. 2021, comm. 201, obs. É. Muller).
Travail public et ouvrage public.
Mentionnons une illustration de l’autonomie de la notion d’ouvrage public par rapport à celle de travail public (et vice versa, du reste). De fait si la réalisation « dynamique » de travaux publics (stricto sensu) mène souvent à l’édification « statique » d’un ouvrage public, il peut exister des travaux publics sans ouvrage public (le travail public pouvant porter sur un ouvrage « privé » ou qui le deviendra), mais également des ouvrages publics sans travaux publics (un ouvrage public peut être issu de travaux privés ; les travaux sur un ouvrage public peuvent avoir pour finalité la seule satisfaction d’un intérêt privé). C’est ce que vient illustrer l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes jugeant que des travaux exécutés sur des réseaux d’assainissement collectifs (ouvrages publics) n’emportaient aucun caractère « public », ces derniers étant réalisés seulement dans l’intérêt commercial – privé – du requérant, propriétaire d’un entrepôt de stockage de matériel de pêche (CAA Nantes, 16 oct. 2020, n° 19NT03542, M. D. et Cne de La Turballe).
Travail public et domaine public.
Même si elles sont régulièrement liées, les deux notions ne se confondent pas davantage. Ainsi, des travaux réalisés sur le domaine public aéroportuaire (Toulouse-Blagnac) géré par une personne privée ne constitue pas des travaux publics, lors même qu’ils ont été entrepris dans l’intérêt du concessionnaire, lequel n’agissait pas en tant que mandataire d’une personne publique (CAA Bordeaux, 17 déc. 2020, n° 18BX02944, Sté Allianz).
B. Ouvrages publics
Longtemps indéfinie, la notion d’ouvrage public est, depuis l’avis Béligaud 4, circonscrite ainsi : d’une part, « la qualification d’ouvrage public peut être déterminée par la loi » ; en l’absence d’une telle détermination légale, d’autre part, « présentent aussi le caractère d’ouvrage public notamment les biens im- meubles résultant d’un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s’ils appartiennent à une personne privée chargée de l’exécution de ce service public ». Chacun des éléments de cette définition a fait l’objet d’illustrations dans la période sous revue.
Ouvrage public par détermination de la loi.
Il résulte d’abord de l’avis Béligaud que la qualification d’ouvrage public peut ressortir de la loi, comme il en va de l’article 2 de la loi n° 2005- 357 du 20 avril 2005 disposant que « (…) les ouvrages appartenant à la société Aéroports de Paris et affectés au service public aéro- portuaire sont des ouvrages publics ». Partant, les pistes d’atterrissage et de décollage (de Roissy – Charles-de-Gaulle) constituent des ouvrages publics, leur défaut d’entretien étant susceptible d’engager la responsabilité du maître d’ouvrage (CAA Versailles, 17 sept. 2020, n° 19VE01257, Sté Air Méditerranée).
Ouvrage public et aménagement.
Marqueur de l’ascendance matérielle – et immobilière – du droit administratif des biens, l’ouvrage public ne sera caractérisé comme tel que s’il a fait l’objet d’un aménagement matériel de la main de l’homme. La condition s’oppose dès lors à ce que des éléments naturels – à l’origine d’un dommage – soient qualifiés ainsi, comme une falaise 5, ou un ruisseau, même si son débordement (de plus en plus fréquent) résulte de l’urbanisation des terrains environnants et du dérèglement climatique, au sujet duquel l’action humaine n’est pourtant pas étrangère (CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 19LY01788, M. G. c/ Cne de Pont-Salomon).
Théories extensives de l’ouvrage public.
Si, parfois, en usant des largesses catégorielles du droit civil (immeubles par incorporation, par destination…), le juge parvient à étendre la notion d’ouvrage public à certains biens mobiliers, le principe reste que seuls les biens immobiliers peuvent revêtir une telle qualification. Il en résulte qu’une barrière mobile non fixée au sol – à l’origine d’un dommage – ne constitue pas un ouvrage public, ceci quand bien même elle serait lovée dans le château de Versailles (CAA Versailles, 10 déc. 2020, n° 18VE01920, M. C. c/ EP du château, du musée et du domaine national de Versailles). Dans le sillage de jurisprudences récentes 6, la solution marque la volonté de restreindre le jeu des théories de « l’ouvrage public global » 7 ou de « l’ouvrage public par accessoire » ; la seconde avait pourtant conduit, l’année dernière, la cour administrative de Douai à juger qu’une barrière de sécurité (protégeant un chantier en cours) ayant chuté sur la chaussée et à l’origine d’un accident, devait être considérée « comme un accessoire de l’ouvrage public constitué par la voie publique » 8.
La théorie de l’accessoire reste toutefois encore fréquemment mobilisée. Ainsi, un mur destiné à soutenir une voie publique doit être considéré comme son accessoire indispensable et présente, dès lors, le caractère d’un ouvrage public, la circons- tance qu’il soit bâti sur une propriété privée étant indifférente (CAA Douai, 11 mai 2021, n° 19DA01334, Cne Nogent L’Artaud – CAA Lyon, 19 nov. 2020, n° 18LY03340, M. G. c/ Cne de Royat). Il en va de même d’un arbre dont les branches furent percutées par un automobiliste, celui-ci constituant une « dépendance » de la voie (CAA Marseille, 26 janv. 2021, n° 19MA01934, Cne Digne-les-Bains) ; c’est dans le même sens que s’est prononcée la cour administrative d’appel de Douai à propos d’arbres bordant un canal domanial, leurs racines étant parvenues à fissurer les murs de pas moins de 132 garages environnants (CAA Douai, 28 janv. 2021, n° 18DA00683, Min. de la transition écologique et solidaire : Dr. Voirie 2021, p. 77, obs. Ph. Yolka). Idem enfin d’un fossé destiné à recueillir des eaux pluviales, ce dernier constituant l’accessoire matériel et fonctionnel du réseau de collecte des eaux pluviales (CAA Lyon, 19 nov. 2020, n° 18LY04441, Mme D. c/ Cne Lantriac).
Ouvrage public, propriété publique et domaine public.
Aux termes d’une jurisprudence aussi contestable que constante 9, la cour administrative d’appel de Versailles a rappelé que les règles (essentielles) du régime de la copropriété sont incompatibles, d’une part, avec la domanialité publique et, d’autre part, avec les caractères des ouvrages publics (CAA Versailles, 9 juin 2021, n° 18VE03249, Synd. des copropriétaires de l’immeuble dit « Résidence Le Garibaldien » : Dr. Voirie 2021, p. 177, obs. Ph. Yolka ; JCP A 2021, act. 422 et JCP N 2021, act. 674, obs. L. Ernstein). La solution peine toujours à convaincre puisqu’un ouvrage public peut être (aussi) une propriété privée, façon d’admettre que le régime juridique afférent – autant que celui de la propriété publique – s’accommode parfaitement des protections propres à l’ouvrage public. La cour est toutefois parvenue à retenir qu’un marché couvert à Saint-Ouen, pourtant soumis aux règles de la copropriété, était un ouvrage public. Pour ce faire, elle a considéré qu’à la date de son édification (en 1974), la collectivité publique avait eu l’intention certaine d’affecter la parcelle concernée au service public des halles et marchés en vue d’y édifier l’ouvrage. Elle estime dès lors que la dépendance en cause a – toujours – fait partie du domaine public et qu’elle n’en est jamais sortie, le fait que ces halles soient ensuite cédées et soumises aux règles de la copropriété étant neutralisé. Reprenant une solution bien établie 10, elle juge donc que l’antinomie entre copropriété et domanialité publique n’emporte qu’un caractère chronologique : si la copropriété vient exclure la domanialité publique lorsque la première préexiste, en sens inverse, un régime de copropriété ne peut soustraire un bien à la domanialité publique. De cette appartenance au domaine public, elle vient ensuite en déduire que les halles constituent (aussi) un ouvrage public, la liaison étant opérée par trop automatiquement, les dépendances du domaine public n’étant pas ipso facto des ouvrages publics (à raison de leur caractère mobilier par exemple ; ou lorsqu’elles ont cessé d’être affectées mais non déclassées…).
À raison précisément de leur affectation à une utilité publique, certaines dépendances intégrées dans le domaine privé des personnes publiques peuvent avoir le caractère d’ouvrages publics. Il en va ainsi, entre autres, des chemins ruraux (CAA Nancy, 22 déc. 2020, n° 19NC00422, M. A. c/ Cne de Sault- les-Rethel) ou de ceux destinés à desservir des propriétés privées mais ouverts à la circulation publique (CAA Lyon, 25 août 2020, n° 18LY03271, Sté Biboupadoue).
Ouvrage public et propriété privée.
L’avis Béligaud (préc.) a maintenu l’indifférence organique qui caractérise la notion d’ouvrage public, ce dernier pouvant être un bien public comme privé. Toutefois, dans la seconde hypothèse, ce maintien s’est opéré au prix d’une approche plus restrictive : là où un bien public devra être affecté à l’intérêt général pour constituer un ouvrage public, seuls les biens privés affectés à un service public 11 ou à l’usage direct du public 12 revêtiront cette qualification. C’est ce que vient pédagogiquement reprendre la cour administrative d’appel de Bordeaux laquelle, toutefois, a ici écarté cette qualification, considérant que les bassins de rétention d’eaux litigieux ne répondaient qu’aux seuls besoins des lotissements (privés) concernés (CAA Bordeaux, 29 déc. 2020, n° 18BX04030, Mme K. c/ Cne de Créon). En sens contraire, il a été jugé que des locaux privés loués par une collectivité publique et abritant des services municipaux constituaient des ouvrages publics, à raison de leur affectation à l’exécution d’un service public (CAA Versailles, 26 nov. 2020, n° 17VE00748, Cne Montreuil). L’hypothèse est d’autant plus intéressante qu’elle vient marquer la disjonction entre les critères de l’ouvrage public et ceux du domaine public, les immeubles de bureaux – malgré leur affectation lato sensu à l’utilité publique – étant légalement intégrés au sein du domaine privé lorsqu’ils appartiennent à des personnes publiques 13.
II. DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS
A. Distinction dommages accidentels / permanents
Décisive pour assurer la détermination des régimes de responsabilité applicables, la distinction entre dommages accidentels et dommages « permanents » (ou « non-accidentels ») de travaux publics a fait l’objet, voilà deux ans, d’une clarification décisive de la part du Conseil d’État. Depuis l’arrêt Compagnie nationale du Rhône 14, un dommage présente un caractère accidentel dès lors qu’il n’est pas totalement imputable à l’existence et au fonctionnement de l’ouvrage (sous entendant qu’un défaut d’entretien est « également » présent) ; de l’autre côté, le dommage sera « non-accidentel » (ou « permanent ») lorsqu’il a trait au fonctionnement normal ou, dit autrement, « prévisible » de l’ouvrage. Il en résulte globalement une vision extensive du dommage accidentel, laquelle s’avère a priori favorable aux victimes, celles-ci n’ayant pas (par-delà la variation des régimes de responsabilité applicables : faute simple, faute présumée, responsabilité sans faute) à démontrer l’existence d’un préjudice anormal et spécial (celui-ci restant délicat à démontrer : v. par ex. CAA Lyon, 28 janv. 2021, n° 19LY00616, Mme B. c/ Cne de Saint-Just-la-Pendue).
Faisant application de cette trame distinctive, la cour administrative d’appel de Versailles a ainsi estimé que les dommages nés du débordement d’un réseau d’égout – consécutif à de forts épisodes pluvieux – présentent un caractère accidentel, ces derniers n’étant pas (« exclusivement ») liés à l’existence des ouvrages, ni à leur fonctionnement ou leur entretien normal. Les tiers-victimes peuvent alors se prévaloir d’un régime de responsabilité sans faute (CAA Versailles, 18 juin 2021, n° 19VE02756, Mme D. et MAIF c/ SMAVND). Preuve d’une distinction qui reste malaisée, c’est en sens contraire que s’est prononcée la cour administrative d’appel de Lyon, toujours au sujet de la défaillance d’un réseau d’eaux pluviales ayant conduit à des inondations importantes. Elle vient se ranger ici en faveur de la qualification de dommages permanents, jugeant que les réseaux défectueux n’ont pas été conçus pour absorber de tels niveaux de précipitation ; autrement dit c’est de leur « fonctionnement normal » (mais déficient) que découle le dommage (CAA Lyon, 25 août 2020, n° 18LY02850, M. G. c/ Cté d’agglomération de Beaune Côte et Sud). Enfin, selon la nature des dommages, le juge administratif sera amené à instrumentaliser dans une même affaire des causes d’engagement distinctes. Ainsi, au sujet des dommages générés par les halles de Saint- Ouen (CAA Versailles, 9 juin 2021, n° 18VE03249, préc.), le juge administratif a alternativement mobilisé la responsabilité sans faute en présence de dommages permanents (perte d’ensoleillement, nuisances olfactives…) et accidentels (constitution de marres d’eau stagnantes du fait de la défectuosité du système d’écoulement des eaux pluviales partant du toit).
B. Entretien normal
Notion d’entretien normal – défaut de signalisations.
Comme on le sait, le dommage de travaux publics peut-être lié à la présence d’un ouvrage ou d’un travail public, mais aussi à son absence. Plus encore, c’est l’absence ou l’insuffisance de signalisations faisant état du danger qui constituera régulièrement le fait générateur de la responsabilité administrative : « l’entretien normal d’un ouvrage public inclut la signalisation des caractéristiques de cet ouvrage ainsi que celle de sa dangerosité » (CAA Lyon, 10 juin 2021, n° 19LY02487, M. F. c/ Cté d’agglomération du lac du Bourget). Ainsi en va-t-il au sujet de la chute d’une victime, trébuchant dans une bouche d’égout dont la grille a été retirée, sans que le danger n’ait été signalisé (CAA Marseille, 10 déc. 2020, n° 19MA00171, Mme B. c/ Cne Saint-Maximin-la-Sainte- Baume). Idem, au sujet de l’absence ou l’insuffisance des panneaux de circulation annonçant la proximité d’un ralentisseur (CAA Lyon, 28 janv. 2021, n° 19LY01026, Mme G. c/ Lyon Métropole habitat) ou la hauteur maximale des véhicules pour emprunter un pont (CAA Douai, 16 févr. 2021, n° 20DA00826, M. E. c/ Cne Cambrai). C’est en sens contraire que plusieurs juridictions du fond se sont positionnées, au terme d’une analyse par essence extrêmement casuistique, au gré de la suffisance des dispositifs de sécurité et autres panneaux avertisseurs (CAA Marseille, 24 juin 2021, n° 20MA01077, Mme H. c/ Dpt Alpes-Maritimes – CAA Douai, 22 juin 2021, n° 20DA01734, M. A. c/ Cne de Saint- Romain-de-Colbosc – CAA Versailles, 17 juin 2021, n° 18VE01449, Mme B. c/ Cne Courbevoie – CAA Lyon, 10 juin 2021, n° 19LY02487, préc. – CAA Nantes, 23 avr. 2021, n° 19NT02130, Mme B. c/ Cne de Casson – CAA Nantes, 19 févr. 2021, n° 19NT01983, Mme G. c/ Dpt Morbihan – CAA Lyon, 28 janv. 2021, n° 19LY01026, préc.).
Intensité de l’entretien « normal ».
Le juge administratif démontre depuis toujours son souci de ne pas faire peser une charge inconséquente aux maîtres d’ouvrages. Partant, seul un entretien « normal » est exigible, c’est-à-dire celui qui, dans une visée finaliste « assure au public un usage de l’ouvrage conforme à sa destination » 15. À l’impossible nul n’étant tenu, le défaut d’entretien ne sera pas relevé dès lors que le danger présenté est, en quelque sorte, inhérent à la nature de l’ouvrage. Ainsi, une requérante ayant chuté dans les escaliers des gradins du stade Matmut Atlantique de Bordeaux ne saurait invoquer l’absence de signalisation adéquate prévenant du danger, un stade en gradins « impliquant nécessairement la présence d’escaliers », ces derniers n’étant par ailleurs ni défectueux ni glissants (CAA Bordeaux, 15 juin 2021, n° 19BX03270, Mme E. c/ Sté Stade Bordeaux Atlantique). De même, on ne saurait confondre un îlot bétonné formant une avancée sur le lac du Bourget avec un plongeoir, « un usager normalement attentif » ne pouvant se méprendre sur la fonction de cette avancée (CAA Lyon, 10 juin 2021, n° 19LY02487, préc.). La même solution sera de mise lorsque le danger est mineur et que, en tout état de cause, il n’excède pas celui auquel un usager normalement attentif peut s’attendre. Ainsi, des feuilles mortes jonchant le trottoir en fin d’été (CAA Lyon, 21 juin 2021, n° 19LY04823, Mme B. c/ Cne de Lempdes ; v. toutefois, contra CAA Marseille, 4 mars 2021, n° 19MA04149, Mme F. c/ Cne Sanary- sur-Mer), des excavations mineures sur la chaussée (CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 19LY01826, Mme C. c/ Métropole de Lyon – CAA Douai, 9 mars 2021, n° 19DA02332, Mme D. c/ Métropole Rouen- Normandie) ou des pavés très légèrement surélevés (CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 19LY03425, Mme D. c/ VNF) à l’origine de chutes ne révèlent pas un défaut d’entretien normal de l’ouvrage. La circonstance – postérieure au dommage accidentel – que des travaux de réfection de la chaussée ait été ensuite diligentée n’est par ailleurs pas de nature, à elle seule, à démontrer l’anormalité de l’entretien (CAA Marseille, 26 nov. 2020, n° 19MA03389, M. G. c/ Métropole Aix-Marseille-Provence), la jurisprudence étant constante sur ce point 16. De manière plus contestable, il a été retenu que la collectivité chargée de l’entretien de la voirie ne peut être tenue pour responsable du dommage causé par une plaque de verglas, dès lors que celle-ci n’a pas été informée en temps utile du danger, l’accident ayant eu lieu tôt le matin, suite « à une nuit d’un froid particulièrement vif » (CAA Marseille, 1er avr. 2021, n° 19MA05512, M. B. et MAIF).
En sens inverse, un nid de poule, du moment que les déformations de la chaussée sont supérieures au seuil – jurisprudentiel ? – de 5 cm, témoigne d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage (CAA Lyon, 25 août 2020, n° 18LY04343, M. E. c/ Dpt Savoie). Il en va de même au sujet de la glissance avérée de certains pavés poitevins – corroborée par des études faisant état de leur adhérence inférieure aux seuils admis –, laquelle témoigne d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage (CAA Bordeaux, 4 mai 2021, n° 19BX01721, Mme F. c/ Cne Poitiers).
C. Lien de causalité – causes exonératoires
Faute de la victime.
Sans originalité, la faute de de la victime – totalement exonératoire de responsabilité ici – a été retenue lorsque la victime fait un usage impropre (par rapport à sa destination) de l’ouvrage à l’origine du dommage. Ainsi d’un collégien enjambant le muret d’enceinte de son établissement scolaire puis se blessant, le défaut de surveillance de l’élève n’étant pas même retenu (CAA Marseille, 15 févr. 2021, n° 19MA01496, M. A. c/ Dpt Var). Beaucoup, plus fréquemment, c’est l’imprudence ou l’inattention de la victime qui ont pu être retenues comme causes – totalement ou partiellement – exonératoires de responsabilité, celles-ci étant souvent caractérisées subjectivement, au regard de la connaissance des lieux (ou non : CAA Marseille, 22 juill. 2020, n° 19MA02588, Mme C. c/ Cne Cannes) et de l’ouvrage par la victime (CAA Marseille, 4 mars 2021, n° 19MA04149, préc. – CAA Douai, 2 févr. 2021, n° 19DA02533, Mme A. c/ Cne de Montigny-en-Ostrevent), même si cette circonstance ne suffit pas toujours à tempérer le lien de causalité en présence d’un entretien (trop) anormal (CAA Bordeaux, 4 mai 2021, n° 19BX01721, préc. – CAA Bordeaux, 18 déc. 2020, n° 18BX03060, Mme F. c/ Cne de Lège-Cap Ferret). Régulièrement, les cours administratives ont instrumentalisé le standard du piéton, du cycliste ou du conducteur « normalement attentif et prudent » comme juge de paix (v. par ex. CAA Paris, 29 avr. 2021, n° 20PA03548, M. G. c/ EP du parc et de la grande halle de la Villette – CAA Douai, 9 mars 2021, n° 19DA02332, préc. – CAA Lyon, 7 janv. 2021, n° 19LY01585, M. D. c/ Cne Saint-Étienne – CAA Versailles, 30 déc. 2020, n° 20VE01054, Mme A. c/ Cne Savigny-sur-Orge – CAA Marseille, 26 nov. 2020, n° 19MA03389, préc.). La vulnérabilité de la victime est égale- ment prise en compte (v. CAA Lyon, 7 janv. 2021, n° 19LY00021, Cts K. c/ Dpt Isère) même si, par exemple, l’état de grossesse d’une victime ne suffit pas à elle-seule à atténuer l’imprudence fautive (CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 19LY01826, préc.) ; un cycliste expérimenté disposera quant à lui d’une moindre mansuétude en cas de chute, surtout lorsque les conditions météorologiques sont en vent contraire (CAA Douai, 22 juin 2021, n° 20DA01734, préc.).
Fait du tiers et force majeure.
La cour administrative d’appel de Lyon a rappelé que le fait du tiers ne constitue pas une cause exonératoire dans le cadre de la responsabilité sans faute en matière de dommages de travaux publics (CAA Lyon, 19 nov. 2011, n° 18LY04441, préc.) 17 ; l’on ajoutera qu’elle ne l’est pas davantage dans le cadre de la responsabilité pour faute présumée 18, ce qui constitue une originalité de ce régime. N’a pas davantage prospéré le fondement tiré de la force majeure dans une affaire où la société Véolia, concessionnaire du service public de distribution d’eau potable, tentait de s’abriter derrière, suite à la rupture d’une canalisation ayant engendré des mouvements de terrains. Compte tenu de l’érosion de la canalisation en cause mais également de la survenance par le passé de mouvements de terrains semblables, la même cour a rejeté le caractère imprévisible de l’évènement (CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 18LY04216, Conservatoire national supérieur de musique et de danse). La survenance de pluies torrentielles n’a pas été jugée plus digne de revêtir une telle qualification pour la cour phocéenne (CAA Marseille, 9 févr. 2021, n° 19MA02777, M. B. c/ Cne du Rayol-Canadel-sur-Mer).
D. Régimes de responsabilité
Ouvrages exceptionnellement dangereux.
Né dans l’entre-deux guerre et pérenne jusque dans les années 1970 19, le régime de responsabilité sans faute bénéficiant aux usagers d’ouvrages publics « exceptionnellement dangereux » ne fait plus guère recette, à tel point qu’on pouvait juger la solution abandonnée 20. In abstracto, il n’en est rien, la cour phocéenne ayant visé l’hypothèse au sujet d’un sentier pédestre situé dans le parc national du Mercantour ; in concreto, elle écarte toutefois ce régime en estimant que la chute inopinée d’un rocher surplombant le chemin – et à l’origine du dommage – ne suffit pas à qualifier comme tel l’ouvrage, les risques d’éboulement ou de chutes de pierre étant faibles et peu fréquents (CAA Marseille, 24 juin 2021, n° 20MA01077, préc.). C’est dire que, si la solution perdure, ses applications positives restent tout aussi exceptionnelles.
E. Préjudices
Travaux publics et modification de la circulation.
Si par principe, les modifications apportées à la circulation générale (qu’il s’agisse de modifier l’assiette, la direction ou l’aménagement des voies publiques) ne sont pas de nature à être indemnisées 21, la gravité du préjudice étant alors présumée absente 22, il en va différemment dans l’hypothèse où les riverains (et seulement eux) subiraient une entrave anormale à leur droit d’accès 23. Ce trouble anormal a été – pour une fois, cela reste rare – retenu par la cour administrative d’appel de Bordeaux, à la suite de la mise en place de restrictions de circulation et de stationnement sur une voie départementale desservant un garage automobile. Constatant que l’entreprise avait, depuis lors, perdu plus de 35 % de son chiffre d’affaires par rapport aux années antérieures, elle a admis que la charge excédait les sujétions normales qui peuvent être imposées sans indemnité aux riverains dans l’intérêt des voies publiques, le préjudice emportant ici un caractère grave et spécial (CAA Bordeaux, 29 sept. 2020, n° 18BX02980, Cne de La Réole et Dpt de la Gironde).
III. INTANGIBILITÉ DE L’OUVRAGE PUBLIC
Depuis l’arrêt Commune de Clans 24 entérinant le passage au principe de « tangibilité mesurée » de l’ouvrage public irrégulièrement implanté, la destruction de celui-ci est envisageable. Son maintien reste toutefois le principe dès lors que, en premier lieu, le juge se doit de rechercher si l’ouvrage peut faire l’objet d’une régularisation. En second lieu, si et seulement si le premier filet de sauvetage ne filtre pas le problème, il appartiendra au juge d’opérer un bilan des intérêts en cause, en déterminant si les avantages présentés par le maintien de l’ouvrage (notamment eu égard à son affectation à l’intérêt général, mais aussi au regard du coût de la démolition / remise en état) l’emportent sur ses inconvénients, la destruction ne devant pas, en tout état de cause, porter une atteinte excessive à l’intérêt général.
A. Condition de régularisation
La destruction de l’ouvrage public peut être, en premier lieu, écartée par une régularisation appropriée (de l’irrégularité originelle), celle-ci pouvant tenir, entre autres, à l’établissement de servitudes, à la délivrance d’un permis modificatif ou à la faculté d’exproprier les parcelles ayant fait l’objet d’une emprise irrégulière.
Régularisation et expropriation.
Cependant, depuis l’important arrêt Hamdi 25 rendu fin 2019, il est exigé que la régularisation soit suffisamment plausible dans sa réalisation, le juge ne pouvant se contenter d’un contrôle in abstracto. Aussi, plus particulièrement lorsque le maître de l’ouvrage entend se retrancher derrière la possibilité de recourir à une procédure d’expropriation, le juge se doit d’apprécier si celle-ci a réellement ou non des chances d’aboutir (CE, 22 juill. 2020, n° 433938, M. B. c/ Cne de l’Île-Rousse), ce qui doit le conduire à exercer lui-même un (premier) contrôle du « bilan coûts-avantages » que présenterait le projet d’utilité publique. En somme, le juge de la tangibilité de l’ouvrage public se doit dans cette hypothèse de réaliser deux bilans successifs : le premier, propre à l’utilité publique de l’expropriation envisagée ; le second, sans doute irrigué par le résultat du premier, relatif aux avantages et inconvénients que génère- raient le maintien ou la destruction de l’ouvrage en cause. La période sous revue illustre bien l’évolution restrictive entamée voilà plusieurs mois.
Comme l’on pouvait s’y attendre, le juge administratif a régulièrement écarté cette faculté de régularisation dès lors qu’aucune procédure d’expropriation n’a été engagée (CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 20NC00531, Mme C. c/ Sté ERDF – CAA Douai, 2 mars 2021, n° 19DA01861, Synd. des copropriétaires de la résidence Carré Cézanne ; CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 17VE03741, M. E. c/ Sté ERDF – CAA Marseille, 3 nov. 2020, n° 20MA01852, Mme D. c/ Cne Montpezat). Autrement, dit, un « commencement d’exécution » constitue un indice probant de la plausibilité de cette voie de contournement. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque la procédure d’expropriation a été au moins « évoquée » (CAA Lyon, 25 août 2020, n° 18LY03271, préc.), ou lorsqu’il a déjà été acté d’y recourir (CAA Marseille, 12 mai 2021, n° 20MA02968, M. B. c/ Cne de l’Île-Rousse), le juge a accepté de se livrer à ce primo contrôle du bilan, lequel s’est révélé – comme on pouvait le craindre – assez expéditif (v. aussi, de manière singulière, la cour lyonnaise établissant un bilan positif de l’utilité publique… écartant ensuite la possibilité de régularisation faute d’engagement de la procédure d’expropriation : CAA Lyon, 10 déc. 2020, n° 19LY00288, M. et Mme A. c/ Cne Thurins). Dans la première hypothèse (n° 18LY03271), c’est à un bilan positif que la cour s’est rangée, au sujet de l’élargissement d’une voie de circulation – empiétant sur une propriété riveraine –, celle-ci permettant de desservir de nouvelles habitations, d’assurer des conditions de déneigement optimales et de favoriser la sécurité publique en renforçant la visibilité des usagers. Dans la seconde (n° 20MA02968), en revanche, la cour phocéenne a penché vers la négative, s’agissant de la construction d’une route qui, à ses yeux, ne pouvait se présenter ni comme une alternative viable à l’encombrement du centre-ville, ni comme une voie de délestage appropriée pour accéder aux propriétés riveraines. Partant – et c’est notable à ce stade de la procédure –, alors même que le commissaire enquêteur avait conclu en l’utilité publique du projet, la cour administrative d’appel de Marseille a considéré que l’opération ne présentait pas un intérêt général suffisant eu égard aux atteintes portées à la propriété privée.
Autres voies de régularisation.
Preuve sans doute d’une sévérité accrue du juge dans l’examen de la condition de régularisation, les autres alternatives invoquées n’ont pas davantage fructifiées. L’impossibilité de recourir à des servitudes conventionnelles, faute parfois d’avoir engagé déjà ces procédures, a souvent été visée (CAA Lyon, 21 juin 2021, n° 19LY01957, M. G. c/ Métropole de Lyon – CAA Douai, 2 mars 2021, n° 19DA01861, préc. – CAA Marseille, 1er déc. 2020, n° 19MA03122, M. C. c/ Cne Villemagne L’Argentière). De même, le juge administratif a régulièrement entériné le refus des propriétaires privés de recourir à un accord amiable pour écarter toute perspective de régularisation (CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 20NC00531, préc. – CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 17VE03741, préc. – CAA Marseille, 3 nov. 2020, n° 20MA01852, préc.).
B. Bilan des intérêts
Lorsque la soupape de régularisation grince, le juge doit au final s’en remettre au classique « bilan des intérêts » (énoncés comme tels par l’arrêt CAA Douai, 2 mars 2021, n° 19DA01861, préc.) pour juger du maintien ou de la démolition de l’ouvrage. Il s’opère au regard des inconvénients que présente le maintien de l’ouvrage irrégulier pour les intérêts publics et privés en cause (notamment pour les propriétaires des terrains d’assiette), ces derniers mis en perspective avec ceux qui résulteraient de sa démolition, eu égard à l’intérêt général qu’entend satisfaire cet ouvrage, l’intérêt financier lié à la déconstruction / reconstruction étant également partie prenante de l’équation. La période sous revue, d’une manière générale, a confirmé les lignes forces de la jurisprudence antérieure, aucune démolition « spectaculaire » n’étant venue jalonner un « bilan du bilan » 26 qui, d’années en années et comme en matière d’expropriation, s’avère assez décevant.
La démolition a ainsi pu être écartée lorsque les ouvrages en cause emportaient une faible emprise sur les propriétés privées, ou lorsque la gêne occasionnée n’apparaissait pas – eu égard à la destination d’intérêt général de l’ouvrage – suffisamment probante (CAA Nantes, 15 janv. 2021, n° 19NT02630, SCI Beata Domus) ou saisissante (CAA Lyon, 21 juin 2021, n° 19LY01957, préc.). En tenant compte des moyens financiers très limités dont disposait une commune rurale, la démolition a également été écartée, preuve d’un contrôle à géographie variable et hautement pragmatique (CAA Marseille, 1er déc. 2020, n° 19MA03122, préc.). De même, le coût engendré par l’enfouissement d’une ligne électrique (seule alternative à la destruction de poteaux aériens), combiné à la destruction d’espaces boisés classés que la solution aurait engendré, a conduit la cour administrative de Marseille à estimer que la démolition entraînerait une atteinte excessive à l’intérêt général ; elle a en revanche enjoint dans cette même affaire la destruction d’un branchement électrique surplombant la parcelle d’un propriétaire au regard des inconvénients esthétiques engendrés et de la perte de valeur vénale corrélative du bien, le coût de ce déplacement étant modique (CAA Marseille, 22 juill. 2020, n° 19MA01327, M. B. c/ Cne de Mimet).
En sens inverse, lorsque le coût de la démolition (et de la reconstruction via des procédés alternatifs) n’apparait pas dirimant, que l’opération palliative n’est pas d’une grande complexité et qu’aucune justification tiré de la continuité du service public ne semble suffisamment étayée, la destruction a pu être entérinée, la circonstance qu’elle pèse sur un maître d’ouvrage privé (Enedis) – certes à actionnariat indirectement public – n’étant peut-être pas étrangère à cette sévérité (CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 20NC00531, préc. – CAA Douai, 2 mars 2021, n° 19DA01861, préc. – CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 17VE03741, préc.). Dans d’autres hypothèses, c’est l’utilité relative de l’ouvrage irrégulièrement édifié qui a emporté la conviction des juges quant à sa démolition : ainsi en a-t-il été au sujet de la création de deux emplacements de stationnement irrégulièrement édifiés, leur destruction se justifiant par le fait que la commune ne faisait face à aucune difficulté particulière de circulation et de stationnement (CAA Marseille, 3 nov. 2020, n° 20MA01852, préc.).
IV. ASPECTS CONTENTIEUX
A. Compétence juridictionnelle
SPIC et dommages de travaux publics.
Attractive pour le juge administratif, la « double notion de travail public » 27 cède toutefois face au bloc de compétence judiciaire en présence de relations entre un Spic et un usager, la circonstance qu’un ouvrage ou des travaux publics soient à l’origine du dommage étant alors neutralisée, le régime de l’activité de service public l’emportant 28. C’est ainsi à bon droit que le tribunal administratif de Pau a pu se déclarer incompétent pour connaître du contentieux porté par l’assureur Axa, subrogé aux droits d’une dizaine de passagers blessés après qu’un camion ait percuté, à un passage à niveau, le train qu’ils empruntaient. Ces derniers étant considérés « indirectement mais nécessairement » comme des usagers du service public (industriel et commercial) de mise à disposition de l’infrastructure ferroviaire, l’action ne pouvait être formée que devant le juge judiciaire (CAA Bordeaux, 17 nov. 2020, n° 18BX00076, Sté Colas Sud et Sté Axa Corporate Solutions Assurance). En revanche, dès lors que le dommage n’a pas trait à la fourniture de la prestation de distribution d’électricité (où seuls des rapports de droit privé sont noués), mais trouve sa source dans des travaux (publics) portant sur le réseau public, seul le juge administratif est compétent pour en connaître (CAA Nantes, 15 janv. 2021, n° 19NT03452, Assoc. Le Clos Saint-Joseph).
Dommages de travaux publics causés par un véhicule.
Mérite enfin d’être signalée cette décision par laquelle la Cour de cas- sation a fait application de l’article 1er de loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 réservant la compétence au juge judiciaire pour connaître de toute action en responsabilité tendant à la réparation d’un dommage causé par un véhicule, ceci alors même qu’il participerait lui-même à une opération de travaux publics. En l’espèce, il s’agissait de dommages causés par un véhicule de chantier lors de travaux d’excavation, un réseau de communication électronique appartenant à la société Orange ayant été endommagé. La Haute Juridiction judiciaire vient rappeler sa compétence en la matière en s’armant toutefois d’une formule prudente, sa compétence n’étant de mise que lorsque le dommage trouve « sa cause déterminante dans l’action d’un véhicule » (Cass. 1re civ., 8 avr. 2021, n° 19-22.517, Sté Sade : Dr. Voirie 2021, p. 136, obs. Ph. Yolka ; Responsabilité civile et assurances 2021, comm. 121).
B. Pouvoirs du juge / Réparation
Décision-phare de la précédente livraison, l’arrêt Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill 29 (pour les suites de l’affaire, v. CAA Marseille, 20 oct. 2020, n° 19MA05694, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill) est venu préciser l’office du juge de la responsabilité extracontractuelle lorsqu’il entend user de sa faculté de réparer un dommage en prononçant une injonction (ad hoc, détachée du pouvoir relevant des articles L. 911-1 et L. 911-2 CJA) à l’encontre de l’Administration, afin qu’elle fasse cesser le fait générateur du préjudice. D’une part, et conformément à l’arrêt Pinault 30 rendu quelques jours plus tôt (au sujet de la réparation consécutive à l’édification irrégulière d’un ouvrage public), il a d’abord été retenu que, lorsque le recours est assorti à la fois de conclusions tendant à l’annulation d’une décision (refusant de démolir un ouvrage irrégulier, de mettre fin aux désordres occasionnés…), le cas échéant assorties d’injonctions et/ou de conclusions indemnitaires, l’ensemble relève du plein contentieux. D’autre part, et surtout, l’arrêt est venu ouvrir une alternative en matière de réparation : celle-ci peut résider soit (classiquement) dans le versement de dommages et intérêts, soit dans la réalisation de mesures visant à mettre fin au préjudice (destruction des travaux et ouvrages réalisés ou, au contraire, injonction visant à réaliser de travaux supplémentaires pour faire cesser le préjudice…). C’est de ces préceptes que de nombreuses cours ont fait application, le juge devant apprécier successivement si, premièrement, le dommage persiste à la date où il statue (dans le cas contraire, la demande de réparation est logiquement rejetée : v. CAA Nantes, 23 avr. 2021, n° 19NT03468, M. A. c/ Cté de communes de Seulles Terre et Mer – CAA Douai, 9 mars 2021, n° 19DA02101, M. B. c/ Lille Métropole Habitat – CAA Nancy, 22 déc. 2020, n° 19NC00422, préc. – CAA Lyon, 17 déc. 2020, n° 19LY01788, préc.) ;
deuxièmement, s’il trouve sa cause dans l’exécution défectueuse de travaux ; troisièmement et enfin, si aucun motif tiré de l’intérêt général (lequel – très financièrement coloré – « peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi ») ou des droits des tiers ne justifie l’abstention de la personne publique. La cour lyonnaise a par exemple enjoint une collectivité à procéder à des travaux de réfection, le mur endommagé pré- sentant des signes de dangerosité important tandis que le coût de ces travaux n’était pas prohibitif (CAA Lyon, 19 nov. 2020, n° 18LY03340, préc.). C’est dans le même sens qu’a statué la cour administrative de Versailles, enjoignant l’Epci local à entre- prendre les études et travaux nécessaires sur le réseau d’assainissement, sa défectuosité étant à l’origine de nombreuses inondations (CAA Versailles, 18 juin 2021, n° 19VE02756, préc.). Le coût (environ 120 000 €) n’a pas été jugé plus prohibitif par la même cour, s’agissant des travaux nécessaires à la réfection de la toiture des halles de Saint-Ouen (CAA Versailles, 9 juin 2021, n° 18VE03249, préc). Aux termes d’une motivation elliptique – se contentant de faire état de l’absence de motif d’intérêt général s’y opposant – la cour douaisienne en a fait de même, enjoignant le maître de l’ouvrage à entreprendre des travaux de consolidation de la voie publique (CAA Douai, 9 mars 2021, n° 19DA00344, M. B. c/ Cne de Senlis et Sté Véolia). C’est donc, on l’aura compris, la réparation « en nature » – via la cessation des dommages occasionnés – qui a été ici privilégiée dans toutes ces hypothèses ; l’on continuera de trouver l’alternative opportune : si l’effectivité des droits en ressort grandie, le préjudice futur étant comblé, il n’en va pas de même s’agissant de celui antérieurement subi.
Dans d’autres cas enfin, les juridictions ont en revanche censuré des mesures d’injonction, notamment lorsque le coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres apparaissait disproportionné par rapport au préjudice subi : ainsi pour des travaux de stabilisation des sols chiffrés au million d’euros (CAA Bordeaux, 4 mai 2021, n° 19BX01415, Féd. départementale des chasseurs de l’Ariège) ou pour ceux tendant à la réfection d’un réseau d’eaux pluviales (CAA Lyon, 25 août 2020, n° 18LY02850, préc.).
1 CE, 10 juin 1921 : RD pub. 1921, p. 361, note G. Jèze ; S. 1921, III, p. 49, concl. Corneille, note M. Hauriou ; GAJA, Dalloz, 22e éd., 2019, n° 35, p. 221.
2 T. confl., 28 mars 1955 : AJDA 1955, II, p. 332, note J. A. ; JCP G, 1055, II, n° 8786, note Ch. Blavoët ; Rev. adm. 1955, p. 295, note G. Liet-Veaux ; GAJA, préc., n° 65.
3 V. CE, 16 nov. 1957, Ville de Marseille c/ Poro : AJDA 1957, p. 458, II, note J. G. – T. confl., 16 mai 1994, n° 02912, Cts X c/ Cne Malemort-sur-Corrèze : Lebon, p. 599.
4 CE, ass., avis, 29 avr. 2010, n° 323179, Béligaud : Lebon, p. 126 ; AJDA 2010, p. 1635, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; ibid., p. 1916, note P.-A Jeanneney ; Dr. adm. 2010, comm. 132, obs. J.-L. Pissaloux ; RDI 2010, p. 390, obs. O. Févrot ; RFDA 2010, p. 557, concl. M. Guyomar et note F. Melleray ; RJEP 2010, comm. 54, concl. et note Y. Gaudemet ; GDDAB, Dalloz, 3e éd., 2019, n° 11, obs. F. Melleray.
5 CE, 14 janv. 2005, n° 233845, Soltès : Lebon, T. p. 1129 ; BJCL 2005, n° 5, p. 315, concl. I. de Silva.
6 V. not. T. confl., 4 nov. 2019, n° C4167, B. c/ Sté Aéroports de Paris : Dr. adm. 2019, alerte 171, obs. Chr. Roux ; Dr. Voirie 2020, p. 43, obs. Chr. Otero – CE, 27 mars 2015, Sté Titaua Limited Company : JCP A 2015, act. 317 et n° 2101, note Ph. Hansen ; Contrats-Marchés publ. 2017, chron. 2, chron. F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; Dr. adm. 2016, comm. 49, obs. G. Eveillard ; AJDA 2016, p. 113, note A. Camus.
7 Par analogie avec la théorie de la domanialité publique globale. Elle est parfois retenue pour appréhender sous une même qualification toutes les installations, fixes ou mobiles, comprises dans un ensemble comme les ports. V. Au sujet d’un engin de dragage, considéré comme un ouvrage public : CE, 6 mai 1957, Min. TP et Cie Southern Railways : Lebon, p. 290.
8 CAA Douai, 17 oct. 2019, n° 17DA00460, CPAM du Hainaut.
9 CE, sect., 11 févr. 1994, n° 109564, Cie d’assurances La Préservatrice foncière : AJDA 1994, p. 548, note J. Dufau ; CJEG 1994, p. 197, chron. P. Sablière, concl. L. Toutée ; D. 1994, p. 493, note J.-Fr. Davignon ; RDI 1994, p. 426, note J.-B. Auby et Chr. Maugüé ; RFDA 1994, p. 502, concl. L. Toutée ; GDDAB, préc., n° 5, note Ph. Yolka.
10 Cass. 1re civ., 25 févr. 2009, n° 07-15.772, Cne Sospel : AJDA 2009, p. 739 ; JCP G 2009, 337, chron. H. Périnet-Marquet ; JCP A 2009, n° 2080, note Ph. Yolka ; RDI 2009, p. 359, note O. Févrot.
11 V. a contrario, T. confl., 24 mai 2012, n° C3848, Sté Orange.
12 V. CAA Marseille, 26 nov. 2015, n° 14MA05090, inédit – Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 10-26.854 : JCP G 2013, p. 16, note F.-G. Trébulle.
13 CGPPP, art. L. 2211-1.
14 CE, 10 avr. 2019, n° 411961 : AJDA 2019, p. 1821, note É. Barbin ; Dr. adm. 2019, comm. 40, note G. Eveillard ; JCP A 2019, act. 280, obs. C. Friedrich ; Dr. Voirie 2019, p. 122 ; Dr. Voirie 2019, p. 176, chron. Chr. Mondou.
15 CE, sect., 21 mai 1930, Cts Lussagnet : Lebon, p. 530.
16 V. par ex. récemment CAA Paris, 22 oct. 2019, n° 17PA23871, MAIF : Dr. Voirie 2019, p. 259.
17 CE, 15 juill. 1959, EDF c/ Vve Cornu : Lebon, p. 471 ; RPDA 1960, p. 41, concl. J. Kahn.
18 CE, 19 févr. 2007, n° 274758, Clément : Lebon, p. 1045 ; AJDA 2007, p. 1766, note U. NGampio-Obélé-Bélé ; JCP A 2007, n° 2193, note J. Moreau. 19 V. CE, ass., 6 juill. 1973, Dalleau : Lebon, p. 482 ; AJDA 1973, p. 588, chron. M. Franc et M. Boyon ; D. 1973, p. 740, note F. Moderne ; JCP G 1974, 17625, note P. Tedeschi.
20 V. par ex. CE, sect., 11 avr. 1975, n° 84846, Dpt Haute-Savoie : Lebon, p. 230 ; AJDA 1975, p. 528, concl. D. Labetoulle ; JCP G 1976, II, 18244, note F. Moderne – CE, sect., 5 juin 1992, n° 115331, Époux Cala : Lebon, p. 225.
21 CE, 9 févr. 1966, Dpt Rhône : Lebon, p. 1131 ; AJDA 1966, p. 44, note A. de Laubadère.
22 V. concl. G. Braibant sur CE, 26 mai 1965, Min. Transports c/ Épx Tebaldini : Lebon, p. 737.
23 CE, 29 mai 1974, n° 90058, Reyboz : Lebon, p. 326.
24 CE, sect., 29 janv. 2003, n° 245239 : Lebon, p. 21 : AJDA 2003, p. 784, obs. P. Sablière ; CJEG 2003, p. 243, concl. Chr. Maugüé ; JCP G 2003, n° 10118, note G. Noël ; JCP A 2003, n° 1342, note J. Dufau ; LPA 21 mai 2003, note J. Bougrab ; LPA 6 juin 2003, p. 20, note J. Charret et S. Deliancourt ; RFDA 2003, p. 477, concl. et note Chr. Lavialle ; GDDAB, préc., n° 92, p. 877, note F. Melleray.
25 CE, 28 févr. 2020, n° 425743, Hamdi c/ ERDF : Dr. adm. 2020, comm. 30, obs. G. Eveillard ; JCP N 2020, act. 281, obs. J.-Fr. Giacuzzo ; Dr. Voirie 2020, p. 122 ; RDI 2020, p. 261, obs. P. Soler-Couteaux ; ibid. p. 296, obs. R. Hostiou ; Gaz. Pal. 17 mars 2020, p. 32, obs. N. Finck ; RFDA 2020, p. 1043, note N. Sudres.
26 P. Wachsmann, Un bilan du bilan en matière d’expropriation. La jurisprudence Ville Nouvelle Est, trente ans après, in Mélanges Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 733.
27 R. Capitant, La double notion de travail public : RDP 1929, p. 507.
28 V. T. confl., 24 juin 1954, Dame Galland : Lebon, p. 717 – CE, 19 févr. 2009, Beaufils : Lebon, p. 61 ; AJDA 2010, p. 430, note O. Févrot ; Dr. adm. 2009, comm. 76, note G. Mollion ; JCP A 2009, n° 2086, note G. Pellissier ; RFDA 2009, p. 777, note D. Pouyaud – Cass. 1re civ., 14 nov. 2019, n° 18-21.664 : Énergie- Envir.- Infrastr. 2019, alerte 187.
29 CE, 6 déc. 2019, n° 417167 : Dr adm. 2020, comm. 16, obs. G. Eveillard ; RFDA 2020, p. 121, concl. G. Pellissier ; AJCT 2020, p. 212, obs. M.-Chr. Rouault ; Dr. Voirie 2020, p. 40, obs. Chr. Mondou ; Gaz. Pal. 4 févr. 2020, n° 369, p. 25, obs. Th. Leleu.
30 CE, 29 nov. 2019, n° 410689 : AJDA 2020, p. 313 et BJDU 2020-2, p. 136, concl. G. Odinet ; AJDA 2019, p. 2463, obs. E. Maupin ; Dr. adm. 2020, comm. 14, obs. G. Eveillard ; JCP A 2020, n° 2086, obs. R. Reneau ; Dr. Voirie 2020, p. 47 ; RDI 2020, p. 183, obs. N. Foulquier.

Christophe Roux
Professeur de droit public – Directeur de l’EDPL (EA 666)
Université Jean-Moulin Lyon 3