Tribune
Comme la résilience, l’agilité nouvelle « tarte à la crème » managériale est de ces mots creux qui résonnent jusque dans les pages du Journal officiel 1. Et d’agilité, il devait être question quand fut créée l’Agence de gestion de l’immobilier de l’État (Agile), ultime avatar d’une réforme des structures domaniales qui se cherche 2. Sonnant le glas des formes de délégation d’Ancien Régime (en particulier, de la Ferme générale), l’État révolutionnaire avait « réinternalisé » la gestion de l’enregistrement et du Domaine 3, créant en 1791 une régie aux origines lointaines du service des Domaines, devenu dernièrement (2016) la direction de l’immobilier de l’État 4. L’externalisation de la fonction immobilière est toutefois demeurée une tentation d’autant plus forte que maints États étrangers la pratiquent, confiant la gestion de leur patrimoine à des sociétés spécialisées. Fin 2003, le rapport Debains avait proposé sur ce modèle – sans suite immédiate – la création d’une Agence du patrimoine immobilier de l’État 5. Des structures ad hoc se sont aussi multipliées à côté du service des Domaines proprement dit, qu’elles en soient plus (DNID) ou moins (MRAI, au ministère de la défense ; établissements publics dédiés, pour l’immobilier judiciaire…) proches.
En 2006, un pas fut franchi avec le recours au droit privé et la création de la Sovafim (Société de valorisation foncière et immobilière), dont la compétence devait être étendue à tous les actifs immobiliers de l’État et de ses établissements publics. Elle était essentiellement chargée des cessions complexes (biens occupés, immeubles à réhabiliter), les bâtiments pouvant revenir à la puissance publique au terme de montages locatifs. Vertement critiquée par les magistrats de la rue Cambon 6, cette structure semblait devoir s’effacer au profit de la Foncière publique solidaire, créée en 2017 ; celle-ci fut cependant absorbée dès 2018 – comprenne qui peut – par la Caisse des dépôts et consignations. Alors que l’on ne donnait plus cher de sa peau, la Sovafim l’a d’une certaine manière sauvée, mais au prix d’une mue. Au titre du Programme d’action publique 2022, le 2e comité interministériel de la transformation publique (29 oct. 2018) avait décidé de lancer trois missions chargées de faire des propositions sur la gestion du parc résidentiel de l’État, celle des sites multi-occupants et la valorisation locative des biens inutiles. Leurs conclusions ont souligné la nécessité d’un outil opérationnel d’offre de services immobiliers. À cet effet, le gouvernement a décidé de créer expérimentalement l’Agile, succédant à la Sovafim. Son capital reste détenu (comme son tour de table, verrouillé) par l’État et son environnement réglementaire commence timidement à se dessiner 7. Conçue comme une agence de prestations immobilières pour les services de l’État, cette microstructure (qui a recruté quelques salariés en 2021) a vocation à intervenir moyennant rémunération, d’abord pour favoriser — à l’instar de sa devancière (via la filiale Sovasun) — le développement de fermes solaires, notamment sur les terrains pollués (conjuguant valorisation domaniale et transition énergétique, sans les tracas inhérents à la vente d’emprises dégradées). Elle réalise ensuite des prestations liées à la mutualisation des espaces de travail ainsi qu’à la réduction des coûts, tendances clefs de « L’immobilier public de demain » (pour reprendre le titre d’un rapport de la DIE d’octobre 2020). Il n’est pas impossible — voire assez probable — que l’expérimentation (prévue pour 18 mois) soit prolongée et que le périmètre d’intervention de l’Agence se trouve étendu 8.
Bien sûr le maintien d’une société immobilière d’État relookée, si typique du « ni ni » à la française, suscite des interrogations. D’un côté, cette semi-externalisation peut apparaître comme un moyen d’éviter le recours aux cabinets de conseil privés, qui commence (enfin) à faire des vagues 9. D’un autre côté, il est permis de se demander si un tel démembrement a vraiment du sens et si finalement la DIE n’aurait pas pu « faire le job ». Seul l’avenir dira si l’Agile sait déjouer les critiques adressées à la défunte Sovafim ou si elle risque de succomber aux mêmes traits que ceux naguère décochés par la Cour des comptes, tel Achille (héros aux pieds agiles, mais au talon fragile) sous la flèche de Pâris.
1 V. en dernier lieu, L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 210 s.
2 Rappelons que l’Agence du patrimoine immatériel de l’État avait été supprimée fin 2019 au nom de la simplification administrative
3 J.-P. Massaloux, La régie de l’enregistrement et des domaines aux XVIIIe et XIXe siècles, Droz, 1989
4 V., Immobilier de l’État : la « longue marche ». Du service des Domaines à la DIE : JCP A 24 oct. 2016, p. 2.
5 Mission « Immobilier public », rapp. au Premier ministre, déc. 2003.
6 C. comptes, rapp. publ. 2011, part. I, p. 635 et 2014, part. I, p. 349.
7 Pour un modèle de convention d’attribution [CGPPP, art. R. 2313-1], A. 23 févr. 2022.
8 En ce sens, avis CIE n° 2021-11, 27 mai 2021 – Sénat, rapp. n° 743, 7 juill. 2021, t. II, p. 15.
9 E.Assassi, un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques, rapport Sénat n°578, mars 2022 – M. Aron, C Michel-Aguirre, Les Infiltrés, Allary, 2022.

Philippe Yolka
Professeur de droit public – Université Grenoble Alpes