Des biens de retour sans service public ?

Chroniques & Opinions

La présence de « biens de retour » dans certaines concessions où l’objet de service public apparaît secondaire, voire qui n’ont pas de rapport direct avec le service public, conduit à réinterroger la liaison séculaire entre cette catégorie singulière et la notion cardinale de service public.

Gravant dans le marbre législatif le résultat d’une évolution jurisprudentielle dont l’arrêt Commune de Douai1 marqua incontestablement le point d’orgue, l’article L. 3132-4 du code de la commande publique dispose – on le sait – que : « Lorsqu’une autorité concédante de droit public a conclu un contrat de concession de travaux ou a concédé la gestion d’un service public meubles ou immeubles, qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public sont les biens de retour. Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition […] ». De la sorte s’est trouvée confirmée l’existence d’un hiatus (que les dispositions suivantes du CCP attestent également) remontant en vérité aux origines de la construction prétorienne. Car s’il devrait y avoir un lien consubstantiel entre biens de retour et service public – le principe de continuité en sortie de concession justifiant l’appropriation publique ab initio ainsi que la domanialité publique des biens indispensables au fonctionnement du service –, une ambiguïté fondamentale demeure néanmoins : le périmètre où se déploient les biens de retour est double (concessions de travaux, concessions de service public), mais leur justification existentielle est unique – le caractère indispensable pour l’exécution du service public. Aussi pareil critère ne saurait-il systématiquement « fonctionner », puisque l’exécution de travaux ne suppose pas à tout coup celle d’un service. De là, un angle mort qui conduit à se pencher brièvement sur cette liaison supposément insécable entre biens de retour et service public.

Car il existe de tels biens dans des concessions mixtes, dont l’objet principal est de travaux tandis que le service public n’apparaît qu’au second plan (à telle enseigne que le Conseil d’État a pu arbitrer en faveur de la qualification de concession de travaux publics 2) : ainsi, s’agissant des concessions autoroutières 3 ou des concessions d’aménagement 4. Et l’on en croise encore dans certaines catégories de concession qui peuvent suivant les circonstances « être ou ne pas être » des concessions de service public : c’est le cas des concessions d’énergie hydraulique, dont le modèle de cahier des charges annexé au décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 se réfère à la catégorie de biens de retour, y compris dans l’hypothèse où l’objet de la concession ne serait pas la gestion d’un service public 5. Ajoutons que même dans les concessions de service public, le lien avec le service public est susceptible de se rompre, la Haute Assemblée acceptant de qualifier de biens de retour des éléments qui ne sont pas – ou plus – affectés au service public, pourvu que le contrat l’ait prévu 6.

Le ménage service public / biens de retour n’est dès lors pas aussi uni qu’il y paraît, ce propos devant être tenu pour un constat dépourvu de connotation (qu’elle soit négative ou positive) 7. Mais l’officialisation d’un découplage est plus qu’improbable, car ce serait ouvrir la boîte de Pandore. Nourris par la pratique, les discours doctrinaux convergent largement pour contenir voire faire reculer une qualification patrimoniale dont les effets anti-économiques sont dénoncés à l’envi. Plus théoriquement, une remise en cause du critère du service public risquerait d’affaiblir le modèle concessif « à la française ». Il faut donc conclure en latin : Quieta non movere

1 CE, ass., 21 déc. 2012, n° 342788 : Lebon ; Grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 4e éd., 2022, comm. 63, note Melleray.
2 V., pour les concessions d’autoroutes, CE, avis, 16 mars 2010, n° 383668 : Contrats Marchés publ. 2011, comm. 332, note Zimmer ; Dr. adm. 2011, comm. 83, note Proot ; avis, 21 juin 2011, n° 385183 : Lebon, p. 302 ; Contrats Marchés publ. oct. 2012, étude 7, note Hoepffner.
3 V. par ex. D. n° 2010-410, 28 avr. 2010 et D. n° 2011-85, 21 janv. 2011, annexes.
4 Par ex., CAA Paris, 19 janv. 2015, n° 13PA04344, Sté Demathieu Bard Construction SAS – CAA Bordeaux, 9 mars 2006, n° 02BX02121, Cne de Toulouse. V. de plus Union sociale pour l’habitat, Guide de l’aménagement opérationnel, 2010, p. 50.
5 V., avec toutes références utiles, X. Matharan, Le cahier des charges des nouvelles concessions d’énergie hydraulique : Contrats publics sept. 2016, n° 168, p. 23.
6 CE, 13 avr. 1985, n° 45966, GDF : CJEG 1986, p. 7, note Bizeau ; point confirmé par l’arrêt Commune de Douai.
7 V. par comparaison, sur la surinterprétation d’une jurisprudence fiscale ayant conduit à déplorer l’exportation de la logique des biens de retour en matière d’occupation du domaine public, les observations critiques de C. Chamard-Heim sous CE, 21 avr. 1997, n° 147602, Min. Budget c/ Sté Sagifa : Grandes décisions, comm. 70, spéc. n° 11 s. Ou, ayant suggéré l’extension de cette catégorie hors des concessions de service public, A. L. Trimua, La concession : éléments de renouveau d’une catégorie contractuelle, Th. Poitiers 2018, p. 417 s.

Philippe Yolka : Des biens de retour sans service public ?

Philippe Yolka
Professeur de droit public
Université Grenoble Alpes