Recul du trait de côté : du varech au Braec

Tribune

Le Braec n’est pas une grosse voiture ni un biscuit breton, mais le « bail réel d’adaptation à l’érosion côtière », créé par l’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte (art. 5 et 6. – C. env., art. L. 321-18 s.) 1. Ce nouveau venu dans la « boîte à outils contractuels » apparaît original sous l’angle domanial, comme le montrent quelques notations livrées en mode impressionniste.

Le statut du foncier sur lequel ce bail est susceptible de porter n’est pas précisé par le législateur délégué, mais la réforme est clairement orientée vers la maîtrise administrative des sols (usage de l’expropriation et du droit de préemption, recours aux réserves foncières…). Si la propriété privée n’est pas exclue du dispositif, l’appropriation publique sera donc en pratique fréquente ; et faute de précisions, il faut admettre que le Braec pourra intéresser le domaine tant privé que public. On a là un trait commun avec un autre contrat transversal, le bail emphytéotique administratif (BEA – V. principalement CGCT, art. L. 1311-2 s.) ; mais le Braec apparaît encore moins « genré », puisque faute de précision textuelle sa nature n’est pas définie. Il y a fort à parier qu’elle variera (et la compétence juridictionnelle avec elle) suivant que le bail portera in concreto sur l’un ou l’autre type de domaine.

S’agissant de l’attribution du bail, une publicité est prévue. L’on reste au milieu du gué, faute que la mise en concurrence soit visée. À défaut cependant d’être explicitement requise, elle s’imposera dès que le Braec se trouve conclu en vue d’une opération économique (ce qui devrait être en général le cas) sur le domaine public, par application des articles L. 2122-1-1 s. du CGPPP ; ceci sauf à considérer que l’on serait dans un cas de dispense envisagé par le codificateur, par exemple car les caractéristiques des biens le justifient. Sur le domaine privé, nul doute que se manifesteront des incertitudes affectant actuellement d’autres baux 2.

Et le Braec sur le domaine privé s’éloigne du schéma civiliste, étant frappé d’une forme de précarité puisque, quoique conclu théoriquement pour une longue durée (12 à 99 ans, limite haute qu’il partage avec le BEA), il pourra faire l’objet d’une résiliation anticipée (indexée sur l’érosion). La possibilité pour le preneur de consentir des servitudes devra quant à elle s’entendre, en cas d’occupation du domaine public, sous réserve de compatibilité avec l’affectation (CGPPP, art. L. 2122-4) ; exigence toutefois platonique pour des dépendances naturelles dont la domanialité publique procède davantage d’un caractère irremplaçable que d’une véritable affectation. Quant aux sûretés que le preneur pourra constituer sur ses droits et biens, leur encadrement a minima contraste avec celui applicable aux titulaires de droits réels administratifs sur le domaine public (fléchage des emprunts garantis, agrément administratif du cessionnaire en cas de réalisation…).

En résumé, voici un bail très administratif quand il porte sur le foncier privé ou le domaine privé (encadrement pointilleux de la cession, obligation de remise en état par dépollution et renaturation), mais qui ne l’est sans doute pas encore assez lorsqu’il intéresse le domaine public (dont les spécificités juridiques, qui n’ont pas été intégrées à ce stade, risquent de créer quelques perturbations). C’est pourquoi il faut espérer que des ajustements interviennent, réglementaires d’abord (ils sont prévus par l’article L. 321-33 du code de l’environnement, au-delà de la liste de communes dressée par le décret n° 2022-750 du 29 avril 2022), prétoriens ensuite. À ces deux titres, le Conseil d’État sera aux premières loges pour surveiller la montée des eaux.

1 V. JCP A 2022, 2286, comm. V. Farrugia ; JCP N 2022, act. 467, comm. V. Zalewski-Sicard ; H. Périnet-Marquet, Bienvenue au Braec : Constr.-urb. mai 2022, p. 1 ; N. Foulquier, Le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière : le Braec : RDI 2022, p. 396. Pour une mise en perspective, RFDA 2022, p. 441 s., dossier La gestion du recul du trait de côte après la loi Climat et résilience.
2 P.-M. Murgue-Varoclier, Les baux renouvelables sur le domaine privé : des incertitudes : RFDA 2021, p. 9.

Philippe Yolka : Recul du trait de côté : du varech au Braec

Philippe Yolka
Professeur de droit public
Université Grenoble Alpes