Chemins d’exploitation et chemins ruraux

Synthèse – Janvier 2022 – Juin 2022

I. CHEMIN D’EXPLOITATION

Chemin d’exploitation, échange d’assiette, unanimité, association syndicale libre, principe de spécialité

Selon la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 13 avr. 2022, n° 21-14.5511), « il résulte [de l’article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime] que les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés ou déviés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir ».

Cette règle est bien connue. La suppression de telles voies ou le déplacement de leur assiette, comme le souligne ici la Cour de cassation par l’expression « ou déviés », requiert l’unanimité de ceux qui ont le droit de s’en servir. Il en est de même a fortiori de tout échange.

D’une façon générale, toute modification d’un chemin d’exploitation est de nature à porter atteinte au droit de chaque propriétaire riverain ou usager en droit de s’en servir. La jurisprudence veille au strict respect d’immutabilité, sauf accord unanime des intéressés 2. Cette unanimité souhaitée est improbable lorsque les usagers sont nombreux.

Dans cette affaire, des circonstances tout à fait particulières la caractérisaient. Des propriétaires de parcelles, bordant chacun un chemin d’exploitation de montagne, avaient, en 1922, constitué entre eux, pour son entretien, une association syndicale libre. En 2011, ladite association avait procédé, avec le syndicat des copropriétaires d’un immeuble voisin et un propriétaire riverain du chemin, à un échange de parcelles, dont il était résulté une modification du tracé d’origine dudit chemin.

À noter, pour souligner l’importance du conflit, que l’association syndicale libre avait été convertie en association syndicale autorisée par un arrêté préfectoral du 24 août 1949. Celui-ci ayant été annulé par le tribunal administratif de Marseille le 2 mai 2006, l’association syndicale autorisée, privée de son fondement légal, avait été en conséquence dissoute par arrêté préfectoral du 6 octobre 2008, ses biens et charges étant dévolus à l’association syndicale libre. Quoiqu’il en soit de ces péripéties étalées dans le temps, l’un des riverains avait engagé une procédure judiciaire pour contester l’acte notarié du 12 mai 2011 par lequel avait été réalisé l’échange de parcelles modificatif du tracé du chemin, afin de le rétablir dans son état initial.

La cour de Grenoble avait retenu que la modification de l’assiette du chemin d’exploitation, résultant de l’échange de parcelles conclu le 12 mai 2011, était opposable à ce propriétaire en droit soi de la partie du chemin dont il était riverain et dont le terrain était compris dans le périmètre syndical au motif que l’opération

avait été autorisée par délibérations de l’assemblée générale de l’ASL les 26 avril 2008 et 17 avril 2011. Le pourvoi formé devant la Cour de cassation rappelait l’article 1er de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 aux termes duquel les associations syndicales de propriétaires ont pour seul objet la construction, l’entretien ou la gestion

d’ouvrages ou la réalisation de travaux, ainsi que les actions d’intérêt commun, notamment, en matière de voirie.
La Cour de cassation adopte cette interprétation et juge « qu’en statuant ainsi, alors que la modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation n’entre pas dans l’objet de l’association syndicale regroupant les propriétaires des fonds riverains, chacun d’eux étant, en droit soi, propriétaire de ce chemin, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Effectivement, une association syndicale a une vocation spéciale définie par son objet et elle en doit respecter les limites 3. L’échange était ici hors de son objet social. Les décisions adoptées en assemblée générale ne pouvaient donc excéder celui-ci 4.

Revendication d’usage d’un chemin d’exploitation

La cour d’appel d’Aix en Provence juge que « la recevabilité d’une demande tendant à revendiquer l’usage d’un chemin d’exploitation n’est pas subordonnée à la mise en cause de l’ensemble des propriétaires riverains » (CA Aix en Provence, 5 mai 2022, n° 19/09006) 5. Elle ajoute en substance qu’à supposer qu’une partie ne soit pas riveraine du chemin litigieux, ce n’est pas une cause de recevabilité des demandes mais de leur succès, et que la partie qui se prévaut d’un chemin d’exploitation doit en rapporter la preuve. Même si elle n’est pas subordonnée à sa mention dans un titre, l’existence d’un chemin d’exploitation se prouve par tous moyens : titre, cadastre, attestation, cartes IGN, situation matérielle des lieux. Sur la recevabilité, il est logique que le demandeur assigne en justice la personne seule qui fait obstruction au passage. Le régime des chemins d’exploitation n’est pas celui de la copropriété des immeubles bâtis ou de l’indivision, encore que pour cette dernière, s’agissant d’un acte conservatoire, la présence de tous les propriétaires n’est pas obligatoire.
Sur la riveraineté du demandeur, seul l’examen au fond de l’affaire révèle l’exactitude de la situation.
En l’occurrence, le fonds du demandeur issu de divisions successives n’était pas riverain d’un chemin qualifié d’exploitation dans les actes y afférents. La difficulté procédait du fait qu’une servitude de passage avait été créée sur ledit chemin à son profit.

La première condition pour bénéficier d’un tel chemin est la riveraineté du fonds. Or, la riveraineté d’une partie du fonds peut disparaître à l’occasion d’une division ; et il n’est pas suffisant de créer au profit du fonds issu de la division une servitude de passage sur le solde du fonds divisé pour établir une véritable riveraineté. Pour y parvenir, Il faut effectuer une cession en pleine propriété d’une partie du fonds riverain pour permettre un accès en pleine propriété au fonds issu de la division. Superposition d’assiette : quelques fois se pose, comme en l’espèce, la question de la superposition de l’assiette d’une servitude de passage sur celle d’un chemin d’exploitation. Les deux régimes ne sont pas incompatibles. Cette stratification juridique est due souvent à une inquiétude des riverains sur la nature juridique exacte du chemin de desserte dont on doute parfois 6. Cela vient de la loi qui définit les chemins d’exploitation d’après leur destination 7 : Ce sont des chemins « qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation » (C. rur., art. L. 162-1).

En l’espèce, la double indication de chemin d’exploitation et de servitude de passage dans les actes n’a pas suffi à faire admettre que le chemin en cause longeait, traversait ou aboutissait à la parcelle en question.

Sur l’enclave du fonds : la propriétaire n’a eu d’autre solution que d’invoquer la situation d’enclave, classique, sans toutefois avoir pu faire admettre la prescription trentenaire de son assiette de passage, faute d’une possession trentenaire avérée sur le chemin litigieux. Cette affaire illustre les difficultés juridiques auxquelles les parties sont susceptibles de se heurter en ce domaine.

● Pouvoir de police du maire sur les chemins d’exploitation

Alors qu’un chemin d’exploitation avait été reconnu comme tel par une décision judiciaire, devenue définitive, le maire d’une commune avait pris un arrêté d’interdiction de circulation sur ledit chemin situé hors agglomération.

Rappelant, d’une part, l’article L. 2213-1 du code général des collectivités locales (CGCT), dans sa version applicable 8 – selon laquelle « le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l’intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’État dans le département sur les routes à grande circulation. À l’intérieur des agglomérations, le maire exerce également la police de la circulation sur les voies du domaine public routier communal et du domaine public routier intercommunal, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’État dans le département sur les routes à grande circulation » – et, d’autre part, l’article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime – selon lequel « les chemins et sentiers d’exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l’absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l’usage en est commun à tous les intéressés. L’usage de ses chemins peut être interdit au public » –, le tribunal administratif de Marseille fait injonction à la commune d’abroger un arrêté interdisant la circulation sur le chemin concerné (TA Marseille, 17 janv. 2022, n° 1904501 9). Il s’appuie sur un rapport d’expert produit dans des instances judiciaires antérieures ayant abouti à la qualification de chemin d’exploitation pour admettre que le chemin situé à l’extérieur de l’agglomération n’a jamais été affecté à l’usage du public, ni été entretenu par l’autorité municipale, ni encore classé dans les voies communales ou reconnu comme étant un chemin rural.

La commune se bornait à soutenir que selon le cadastre le chemin appartenait au domaine public, alors que celui-ci, comme le souligne le tribunal administratif, n’est qu’un document fiscal qui ne constitue pas un titre de propriété pour la commune. Le maire ne pouvait donc faire usage de ses pouvoirs de police visés dans l’article L. 2213-1 du CGCT.

On observera l’évolution de cet article avec la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 (art. 50, v. supra en note) qui substitue à l’expression « voies de communication à l’intérieur des agglomérations » celle de voies publiques ou privées « ouvertes à la circulation publique à l’intérieur des agglomérations », ce qui est plus précis.


II. VOIES COMMUNALES

● « Chemin communal », notion, dégradation, trouble manifestement illicite

Dans cette affaire (Cass. 3e civ., 6 avr. 2022, n° 18-14.755 : FS-D), une société avait acquis de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) une propriété comprenant des corps de bâtiments à usage d’habitation et des hangars, classée en zone NC, réservée à l’exploitation agricole selon le plan d’occupation des sols.
La commune, exposant que la société exerçait des activités de transport et de stockage de marchandises et de location de poids-lourds et autres matériels incompatibles avec les règles d’urbanisme en vigueur, avait assigné en référé, avec succès, la société pour obtenir leur cessation sous astreinte.
Devant la Cour de cassation, la société soutenait dans son pourvoi que le règlement national d’urbanisme n’avait vocation qu’à réglementer les constructions et aménagements opérés sur les territoires où il s’applique, à l’exclusion des activités susceptibles d’y être exercées ; qu’en l’espèce, en retenant qu’était établi un trouble manifestement illicite à son encontre à raison de ce que ses activités de transport de marchandises et de location de bennes méconnaissaient les prescriptions du règlement national d’urbanisme, la cour d’appel avait violé l’article 809 du code de procédure civile et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.

La cour d’appel, en donnant satisfaction à la commune, avait relevé que 28 camions étaient stationnés sur les parcelles, où étaient également entreposées de nombreuses bennes chargées de marchandises diverses, et que le trafic quotidien d’engins – dont certains dépassaient 25 tonnes – était incompatible avec la destination de chemins communaux qui reliaient les vignes à la voie publique, dont le revêtement en enrobé bitumeux s’était partiellement affaissé. Cette situation caractérisait selon la cour d’appel, dont le raisonnement a été approuvé par la Cour de cassation, le trouble manifestement illicite causé à la commune par les activités de cette société 10.

Cette affaire dépasse un peu le cadre de cette chronique, si ce n’est l’occasion de rappeler tout d’abord les difficultés terminologiques liées à l’évolution de la législation en matière de voirie locale. L’ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales, dans son article 1, distingue bien les voies communales, qui font partie du domaine public de la commune, et les chemins ruraux, qui appartiennent à son domaine privé. Toutefois, nombre de professionnels et juristes emploient encore des expressions inappropriées depuis cette ordonnance qui a réformé en profondeur ce régime.

Ainsi, dans cette espèce, la cour d’appel, reprenant les termes utilisés par les parties, vise des « chemins communaux » alors que cette expression devrait être écartée en raison de son ambiguïté et de sa disparition dans le code de la voirie routière et le code rural et de la pêche maritime.

En effet, un « chemin communal » fait partie du domaine de la commune sans que l’on puisse dire s’il relève de son domaine privé ou public. Relevant du domaine privé, il s’agit alors d’un chemin rural, alors que faisant partie de son domaine public, c’est légalement une voie communale.

La seule lecture de l’arrêt de la Cour de cassation laisse planer un doute et l’on peut penser qu’il s’agit d’un chemin rural. Mais le pourvoi fait état de « l’existence de dégradations sur la voie communale n° 21 » tel que cela ressortait d’un procès-verbal d’infraction dressé par la police municipale, ce qui était conforme à l’article L. 116-2 du code de la voirie routière 11. Le code rural et de la pêche maritime confie à l’autorité municipale la charge de la police et de la conservation des chemins ruraux (art. L. 161–5). Cette police est susceptible de s’exercer selon des modalités diverses en fonction des atteintes portées aux chemins. En l’espèce, l’action de la commune tendait à interdire par la voie civile une activité qui dépassait largement le cadre agricole et qui avait entraîné diverses dégradations d’une voie communale. Elle avait fait dresser des procès-verbaux d’infraction sur

10 Ce trouble pouvait être considéré également comme un trouble anormal de voisinage. V. sur ces questions : Fr. Bérenger, Guide des troubles de voisinage, Edilaix 4e éd., 2022, n° 258-1 et s.

2° sur les voies publiques ressortissant à leurs attributions :

Les procès-verbaux dressés en matière de voirie font foi jusqu’à preuve contraire. »

le fondement de l’article R. 411-26 du code de la route dans la mesure où l’accès était sans doute limité aux véhicules d’un certain tonnage. Il s’agit là de simples contraventions dont l’amende est d’un montant limité.

Le code rural et de la pêche maritime organise également un système de contribution spéciale 12 en cas de dégradation des voies communales (art. L. 141-9) de la voirie routière, dont les sanctions ont été étendues à l’ensemble des personnes physiques ou morales responsables de toutes dégradations par l’article 104-2° de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite 3DS 13.


III. CHEMINS RURAUX

● Bornage et action en revendication

Une SCI propriétaire d’une parcelle jouxtant un chemin rural avait été assignée en bornage judiciaire par une commune qui entendait mettre un terme à l’empiètement d’un riverain.
Un arrêt définitif de la cour d’appel avait ordonné le bornage judiciaire sollicité et condamné la SCI à procéder à la remise en état d’une portion de parcelle sur laquelle elle avait fait édifier un mur de clôture en ne respectant pas les prescriptions de ce bornage. La SCI avait alors assigné la commune en revendication de propriété de ce morceau de terrain, la commune saisissant de son côté le juge de l’exécution aux fins de condamnation à une astreinte pour obtenir la remise en état effective des lieux.
La cour d’appel avait sursis à statuer sur le prononcé de l’astreinte car l’instance en revendication n’était pas encore vidée. L’action en revendication n’ayant pas abouti favorablement pour la SCI, l’instance en fixation d’astreinte était reprise.
La cour d’appel, écartant les fins de non-recevoir et les défauts de qualité et d’intérêt à agir soulevés par la SCI, faisait droit à la demande de la commune et condamnait la SCI à lui payer des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Outre l’aspect procédural, ici hors sujet, dont s’était prévalu sans succès le demandeur au pourvoi, l’intérêt de cette décision est d’attirer l’attention des justiciables sur le régime des chemins ruraux qui font partie du domaine privé des communes(CGPPP, art. 2212-1) et qui à ce titre relèvent du régime de la propriété privée, bien qu’ils soient considérés par la jurisprudence comme des ouvrages publics affectés à l’intérêt général lorsqu’ils sont ouverts à la circulation publique 14.
Les actions qui en découlent sont en effet celles dont bénéficie tout propriétaire, à savoir l’action en bornage 15 ou en revendication. L’affectation publique des chemins ruraux entraîne malgré tout pour les communes des prérogatives particulières pour en assurer leur conservation.

C’est ainsi, par exemple, qu’elles sont habilitées à délivrer des certificats de bornage sous forme d’arrêté remis à toute personne qui en fait la demande. Mais cela suppose une situation de fait bien établie. Le plus souvent les communes ou les particuliers confrontés à des incertitudes sur des limites de propriété préfèrent utiliser la procédure classique de bornage sous sa forme amiable ou judiciaire.

En l’état d’un vif litige opposant les parties, dans cette espèce, la commune avait opté pour la procédure judiciaire.
Mais une fois les limites déterminées et prescrites par décision irrévocable, l’action en revendication reste éventuellement envisageable selon une jurisprudence bien établie. Les plaideurs ont du mal à admettre qu’après une longue instance, on puisse à nouveau revenir devant le tribunal pour trancher définitivement au fond la question de propriété qui leur semble ainsi définie par l’implantation de bornes – mais le droit s’alimente de complexité. Le bornage a seulement pour objet de définir une limite qui, le cas échéant, ne tient compte que d’une situation de fait, la possession, la présence de marques ou repaires divers cadastrés ou non. Or ces éléments peuvent contredire le droit de propriété qui, rappelons-le, se prouve par tous moyens.

Non satisfait en l’occurrence par les prescriptions de bornage entérinées par la cour d’appel, l’adversaire avait initié une procédure de revendication. Celle-ci ayant été engagée, le juge de l’exécution, sur la demande de la commune en liquidation d’astreinte assortissant une demande de démolition d’un mur de clôture, avait par prudence sursis à statuer dans l’attente du résultat final de l’action en revendication. Cette réserve était de nature plus sage et à apaiser le conflit avec la SCI voisine qui d’après les faits s’était malgré tout obstinée, ce qui avait entraîné sa condamnation à des dommages et intérêts pour résistance abusive (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n° 20-19.772 : F-D).

● Bornage, déplacement d’assiette du chemin, preuve

Un propriétaire riverain avait sollicité un géomètre-expert aux fins d’établir un plan de bornage d’une parcelle longeant un chemin rural. Le maire de la commune s’opposait au bornage amiable et par arrêté lui avait enjoint de procéder à la dépose d’une barrière qu’il avait installée, et de rétablir la libre circulation du chemin. Il avait donc saisi le tribunal pour voir ordonner un bornage judiciaire à frais communs. Celui-ci avait désigné un expert en jugeant que le bornage s’effectuerait à frais communs. À la suite de ces opérations, le tribunal d’instance s’était déclaré incompétent, sans doute en raison de la difficulté liée au problème de propriété consécutif au déplacement de l’assiette du chemin.

Sur appel, la cour s’était déclarée compétente et avait statué au fond en ordonnant le bornage sur la base du plan dressé à l’origine par le géomètre dans son projet.
Devant la Cour de cassation, la commune fait grief à l’arrêt d’ordonner à frais communs le bornage de la parcelle, conformément au plan dressé par un géomètre dans sa tentative amiable initiale. La Cour juge, d’une part, que « la cour d’appel, qui a constaté que l’assiette du chemin litigieux était différente de celle de la voie constituant le chemin rural d’origine, a pu en déduire, par une décision dûment motivée, et sans inverser la charge de la preuve, qu’il incombait à la commune de rapporter la preuve du droit de propriété qu’elle alléguait sur le tracé actuel du fonds » et, d’autre part, que « pour se déterminer sur la nécessité du bornage et sur ses modalités, la cour d’appel s’est fondée, sans dénaturation, non pas sur les énonciations du rapport d’expertise judiciaire, mais sur un plan de l’état des lieux et sur un dire annexés à ce document » (Cass. 3e civ., 26 janv. 2022, n° 20-22.125 : F-D).

Les opérations de bornage des propriétés privées sont souvent mises en œuvre aux fins de délimitation pour mettre en évidence des empiètements, même si celle-ci ne permettent pas à elles seules de constater de tels agissements 16 puisqu’elles ne fixent que les limites des fonds contigus. Elles sont expressément prévues par le code rural et de la pêche maritime pour les chemins ruraux 17, et non les voies communales 18. Elles procèdent de leur régime même puisque ces chemins font partie du domaine privé des communes. La difficulté du bornage en ce domaine vient de l’ancienneté de ces voies dont le tracé a pu évoluer au cours des temps sans que des relevés précis aient été réalisés à l’origine.

En l’espèce, le chemin avait été manifestement déplacé et empiétait (ou traversait) sur une propriété privée.
Les présomptions dont bénéficient les communes (C. rur., art L. 161-1 à L. 161-3), et dont se prévalait la commune en cause, ne pouvaient suffirent dès lors que le chemin en question avait été déplacé, ce que révélait un état des lieux, dressé par le géomètre qui avait proposé un bornage amiable, annexé ou produit comme dire dans le rapport du géomètre expert désigné judiciairement. Le bornage est une opération juridique et matérielle de délimitation des propriétés. Soit il est amiable ; il se traduit par un accord sur une fixation de limite. Soit, en cas de refus ou à défaut d’accord, il est le cas échéant judiciaire.

Le bornage judiciaire est réalisé en principe à frais communs, sauf mauvaise contestation de l’une des parties, appréciée souverainement par les tribunaux. Cette dérogation n’est pas courante en pratique. Dans la présente affaire, la cour d’appel a opté seulement pour un partage des frais. Dans l’espèce précédente, la cour s’était prononcée pour une condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Le bornage est aussi une opération matérielle qui consiste, une fois la limite fixée sur le plan juridique, à l’implantation matérielle des bornes par le géomètre désigné 19. Les parties sont convoquées sur les lieux par ce professionnel qui procède à ce travail, qui se termine par la signature d’un procès-verbal qui servira à la régularisation cadastrale 20.

● Déplacement d’assiette, désaffectation du public, preuve

Une commune avait décidé de déplacer l’assiette d’un chemin rural en procédant à l’achat de diverses parcelles et à la vente d’une autre. Un propriétaire riverain ayant demandé l’annulation de la délibération, le tribunal administratif faisait droit.

La commune ayant relevé appel du jugement, la cour administrative d’appel de Bordeaux, rappelant les dispositions du code rural et de la pêche maritime en ses articles L. 161-121, L. 162-2 22 et L. 161-10 23, estime qu’il résulte de ces dispositions qu’un seul des éléments indicatifs figurant à l’article L. 162-2 permet de retenir la présomption d’affectation à l’usage du public. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État 24. Or, la commune se bornait à affirmer que l’emprise et le tracé du chemin s’étaient déplacés dans le temps et que la portion de chemin rural objet de la vente était recouverte par la végétation, impraticable, et donc désaffectée.

Pour la cour, ces éléments produits n’étaient pas probants alors que le riverain soutenait que cette partie du chemin était utilisée par les randonneurs. Elle confirme en conséquence le jugement du tribunal administratif (CAA Bordeaux, 17 févr. 2022, n° 19BX02001 25).

Il n’est pas rare que l’assiette (le frayé) des chemins se déplace plus ou moins au cours des temps par la fréquentation des usagers, la tentation est alors grande pour les communes de régulariser une situation de fait 26.

Longtemps refusé par une stricte jurisprudence 27, l’échange de parcelles est, en ce domaine, désormais autorisé, après une longue gestation, par le nouvel article L. 161-10-2 du code rural et de la pêche maritime 28, issu de l’article 103 de la loi n° 2022- 217 du 21 février 2022 relative à la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS.

● Entretien des chemins ruraux

La cour administrative d’appel de Nancy rappelle qu’ il « résulte des dispositions combinées de l’article L. 141–8 du code de la voirie routière, de l’article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 2321–2 du code général des collectivités territoriales que les dépenses obligatoires pour les communes incluent les dépenses d’entretien des seules voies communales, dont ne font pas partie les chemins ruraux. Les communes ne peuvent être tenues à l’entretien des chemins ruraux, sauf dans le cas où, postérieurement à l‘incorporation dans la voirie rurale, elles auraient exécuté des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité et ainsi accepté d’en assumer, en fait, l’entretien » (CAA Nancy, 30 mars 2022, n° 20NC00422).

En l’occurrence, la commune avait fait procéder à la pose d’un enrobé de chaussée important sur un chemin rural constituant le prolongement d’une rue, améliorant ainsi la viabilité du chemin, sans délibération préalable du conseil municipal. Cette initiative du maire, qui prétendait que les travaux avaient été réalisés de manière gracieuse à partir de fonds de bennes, était difficile à admettre dès lors que le volume d’enrobé était de l’ordre de 80 tonnes, avait fait l’objet d’un devis, et alors qu’était subventionné par le conseil général le chantier officiel de la rue en question.
Dès lors la cour juge que « dans ces conditions, alors même que ces travaux auraient été réalisés sans délibération préalable du conseil municipal, qu’ils n’auraient donné lieu qu’à des dépenses de fonctionnement, et non d’investissement, et que la chaussée réalisée ne serait pas conforme aux normes, la commune doit être regardée comme ayant accepté d’assumer, en fait, l’entretien de la portion du chemin rural sur laquelle elle est intervenue. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que le tribunal a jugé qu’elle ne pouvait pas légalement refuser d’exécuter son obligation d’entretien de ce chemin rural, et qu’elle a engagé sa responsabilité pour faute en omettant de procéder à cet entretien ». Comme le souligne un commentateur de cet arrêt 29, « le juge administratif s’est prononcé en considération non pas tant de l’importance des travaux, mais surtout de l’existence d’un véritable projet communal de travaux de voirie résultant de l’accomplissement par le maire de démarches préalables à la réalisation des travaux » 30. Et on peut ajouter sans respect des formes légales. Il ne pouvait s’agir de travaux limités, ponctuels et urgents.
Il convient de signaler, pour l’entretien et la restauration des chemins ruraux, l’article 104 de la loi 3DS, qui complète l’article L. 161-11 du code rural et de la pêche maritime par les dispositions suivantes : « En l’absence d’association syndicale, la commune peut autoriser, par convention, une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association à restaurer et à entretenir un chemin rural. Cette convention ne vaut pas engagement de la commune à prendre en charge l’entretien du chemin rural.

1 RD. rur. 2022, comm. 107, p. 39, obs D. Louchouarn.
2 J. Debeaurain, Guide des chemins ruraux et chemins d’exploitation, Edilaix, 6e éd. 2018, n° 156, p. 107.
3 Cass. 3e civ., 3 déc. 1975 : JCP 1976, II, 18352, obs. Stemmer. V. Chr. Atias et J.-M. Roux, Le guide des associations syndicales libres de propriétaires, Edilaix, 8e éd., 2019, n° 73, et le texte de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, p. 285.
4 Cass. 3e civ., 8 avr. 2008, n° 07-11.024.
5 Décision aimablement communiquée par Maître Frédéric Bérenger, avocat au barreau d’Aix-en-Provence.
6 V. Guide, op. cit., n° 145. 7 V. Guide, op. cit., n° 109.
7 V. Guide, op. cit., n° 109.
8 Art. 2213-1 modifié par L. n° 2019-1461, 27 déc. 2019, art 50 : « Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et l’ensemble des voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique à l’intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’État dans le département sur les routes à grande circulation. À l’extérieur des agglomérations, le maire exerce également la police de la circulation sur les voies du domaine public routier communal et du domaine public routier intercommunal, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’État dans le département sur les routes à grande circulation.
« Les conditions dans lesquelles le maire exerce la police de la circulation sur les routes à grande circulation sont fixées par décret en Conseil d’État. Par dérogation aux dispositions des deux alinéas précédents et à celles des articles L. 2213-2 et L. 2213-3, des décrets peuvent transférer, dans les attributions du représentant de l’État dans le département, la police de la circulation sur certaines sections des routes à grande circulation. »
9 Décision aimablement communiquée par Maître Frédéric Bérenger, avocat au barreau d’Aix-en-Provence.
10 Ce trouble pouvait être considéré également comme un trouble anormal de voisinage. V. sur ces questions : Fr. Bérenger, Guide des troubles de voisinage, Edilaix 4e éd., 2022, n° 258-1 et s.
11 Lequel dispose : « Sans préjudice de la compétence reconnue à cet effet à d’autres fonctionnaires et agents par les lois et règlements en vigueur, peuvent constater les infractions à la police de la conservation du domaine public routier et établir les procès-verbaux concernant ces infractions :
1° sur les voies de toutes catégories, les agents de police municipale, les gardes champêtres des communes et les gardes particuliers assermentés ;
2° sur les voies publiques ressortissant à leurs attributions :
a) les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et les ingénieurs des travaux publics de l’État, assermentés ;
b) les techniciens des travaux publics de l’État, les conducteurs de travaux publics de l’État et les agents des travaux publics de l’État, quand ils sont commissionnés et assermentés à cet effet ; […]
Les procès-verbaux dressés en matière de voirie font foi jusqu’à preuve contraire. »
12 V. Guide, op. cit., n° 50 B.
13 C. rur., art. L. 161-8 : « Des contributions spéciales peuvent être imposées par la commune ou l’association syndicale mentionnée à l’article L. 161- 11 aux personnes physiques ou morales responsables des dégradations apportées aux chemins ruraux en état de viabilité qui, de manière habituelle ou temporaire, les utilisent à quelque titre que ce soit.
« La quotité des contributions est proportionnée à la dégradation causée.
« Les deux derniers alinéas de l’article L. 141-9 du code de la voirie routière sont applicables à ces contributions. »
Cet article L. 141-9 dispose : « Toutes les fois qu’une voie communale entretenue à l’état de viabilité est habituellement ou temporairement soit empruntée par des véhicules dont la circulation entraîne des détériorations anormales, soit dégradée par des exploitations de mines, de carrières, de forêts ou de toute autre entreprise, il peut être imposé aux entrepreneurs ou propriétaires des contributions spéciales, dont la quotité est proportionnée à la dégradation causée.
« Ces contributions peuvent être acquittées en argent ou en prestation en nature et faire l’objet d’un abonnement.
« À défaut d’accord amiable, elles sont fixées annuellement sur la demande des communes par les tribunaux administratifs, après expertise, et recouvrées comme en matière d’impôts directs. »
V. D. Louchouarn, Loi 3DS : L’amélioration de la protection des chemins ruraux est enfin une réalité juridique : RD rur., 2022, n° 19, § 4, p. 24.
14 V. Ph. Godfrin et M. Degoffe, Droit administratif des biens, Sirey, 13e éd., 2021 n° 340 qui citent en note : CE, 16 mars 1955, Ville de Grasse : Lebon, p. 161 ; CE, sect., 20 nov. 1964, Ville de Carcassonne : Lebon, p. 573.
15 Guide, op.cit., n° 58, p. 45.
16 Cass. 3e civ., 23 mars 2022, n° 21-12.103 : AJDI 2022, p. 379.
17 C. rur., art. D. 161-13.
18 Obs. Denis Louchouarn à propos de l’arrêt commenté : RD rur. 2022, n° 61, p. 39.
19 En ce sens : Cass. 3e civ., 23 mars 2022, n° 21-11.678 : RD rur. 2022, comm. 81, p. 26, note D. Louchouarn.
20 V. sur cette question A. Maurin, Le Cadastre, Guide pratique, Edilaix, 3e éd., n° 25 et s.
21 « Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. »
22 « L’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale. […] »
23 « Lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal […] »
24 CE, 3 déc. 2012, n° 344407 : Lebon. V. sur ces questions d’affectation, notre Guide, op. cit., n° 29 et 30, p. 27.
25 Note Denis Louchouarn, RDR, Mai 2022, n°75, p.39.
26 V. Guide, op. cit., n°46, p.38.
27 V. en dernier lieu : CAA Nancy, 21 oct. 2022, n° 19NC03523 : Dr. Voirie 2022, p. 27, obs. Chr. Roux.
28 « Lorsqu’un échange de parcelles a pour objet de modifier le tracé ou l’emprise d’un chemin rural, la parcelle sur laquelle est sis le chemin rural peut être échangée dans les conditions prévues à l’article L. 3222-2 du code général de la propriété des personnes publiques et à l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales. L’acte d’échange comporte des clauses permettant de garantir la continuité du chemin rural.
« L’échange respecte, pour le chemin créé, la largeur et la qualité environnementale, notamment au regard de la biodiversité, du chemin remplacé. La portion de terrain cédée à la commune est incorporée de plein droit dans son réseau des chemins ruraux.
« L’information du public est réalisée par la mise à disposition en mairie des plans du dossier et d’un registre avant la délibération autorisant l’échange, pendant un mois. Un avis est également affiché en mairie. Les remarques et observations du public peuvent être déposées sur un registre ».
V. Ph. Yolka, Feue l’interdiction d’échanger des chemins ruraux : Dr. Voirie 2022, p. 51 ; D. Louchouarn, La loi 3DS : L’amélioration de la protection des chemins ruraux est enfin une réalité juridique : RD rur. 2022, n° 15, p. 22.
29 D. Louchouarn : RD rur. 2022, n° 90, p. 38.
30 Ibid.

Jean Debeaurain : Chemins d'exploitation et chemins ruraux

Jean Debeaurain
Maître de conférences honoraires
Avocat honoraire au barreau d’Aix-en-Provence