Chroniques & Opinions
Attendu, le décret relatif à la protection du domaine public ferroviaire, marchant dans les pas de la réglementation héritée de la Monarchie de Juillet, oscille pour l’essentiel entre imitation, dépoussiérage et restauration. Ainsi de la nouvelle procédure d’alignement, fondée sur le modèle de l’alignement routier – le texte confirmant opportunément l’existence de la servitude de reculement. Petite révolution toutefois, la procédure de délimitation amiable du domaine public, surprenante innovation de l’ordonnance du 14 avril 2021 qu’il vient éclairer. Le texte livre enfin les repères techniques nécessaires à la fixation des diverses servitudes qui grèvent les propriétés riveraines du chemin de fer et assurent la sécurité du transport ferroviaire.
La transformation récente du système ferroviaire français, toute orientée vers l’ouverture à la concurrence 1 , commandait de dépoussiérer la protection juridique du domaine public ferroviaire. C’est ainsi que l’article 169 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités 2, dite LOM, engageait le gouvernement à « compléter et moderniser les dispositions relatives à la conservation du domaine public ferroviaire » et à « redéfinir les servitudes actuellement applicables, […] autoriser le gestionnaire d’infrastructures à imposer des prescriptions pour préserver la sécurité des installations ferroviaires et des propriétés riveraines, […] renforcer certaines interdictions et […] per- mettre au gestionnaire d’infrastructures d’intervenir en cas de défaillance des riverains ». En vertu de cette habilitation, l’ordonnance n° 2021-444 du 14 avril 2021 3 a réécrit le chapitre 1er du titre 3 du livre II de la deuxième partie du code des transports intitulé « Mesures relatives à la conservation ». Le décret n° 2021- 1772 du 22 décembre 2021 ici commenté vient à son tour préciser ces dispositions.
Il faut dire qu’avant l’intervention du législateur délégué, la protection du domaine public ferroviaire reposait sur la réécriture elliptique de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer 4 qu’avait livrée l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports 5. Ces dispositions lacunaires renvoyaient à des notions obsolètes, vestiges de textes abrogés 6. L’absence de support textuel explicite fragilisait d’autant plus la protection juridique du domaine public ferroviaire que la violation des règles en causes donnait lieu à contraventions de grande voirie 7, auxquelles s’applique le principe de légalité des délits et des peines.
Mais l’ordonnance n’a pas achevé ce nécessaire travail de restauration juridique puisque, d’une part, elle prévoit que la plupart des nouveaux articles (tous, sauf l’article L. 2231-1 du code des transports) n’entrent en vigueur qu’au 1er janvier 2022 et, surtout, parce qu’elle renvoie au pouvoir réglementaire le soin d’apporter les précisions techniques qui conditionnent l’application des dispositifs adoptés.
Le décret tant attendu est intervenu à temps ; adopté le 22 décembre 2021, le texte est entré en vigueur le 1er janvier dernier, à l’exception des dispositions relatives à la délimitation du domaine ferroviaire qui sont immédiatement mises en œuvre (D. n° 2021-1772, art. 2). Sans surprise, il apporte les précisions qu’exigeait le législateur délégué. Tout d’abord, la délimitation du domaine public ferroviaire fait l’objet d’une double série de dispositions : le pouvoir réglementaire fixe les conditions dans lesquelles pourra être mise en œuvre la nouvelle procédure d’alignement, sur le modèle de l’alignement routier, et élabore la procédure de délimitation amiable du domaine public, surprenante innovation de l’ordonnance du 14 avril 2021. D’autre part, le texte livre les repères techniques nécessaires à la fixation des diverses servitudes qui grèvent les propriétés riveraines du chemin de fer et assurent la sécurité du transport ferroviaire.
Continuité, réforme ou révolution ? Dans la plupart des cas, il est possible de retracer la généalogie des règles fixées par le décret, qui exprime un conservatisme technique de bon aloi. Bon nombre de ces dispositions sont la version modernisée de normes anciennes. À cet égard, la loi du 15 juillet 1845 sert encore de modèle aux servitudes d’utilité publique ferroviaires, cette pérennité confirmant la remarquable qua- lité du travail législatif effectué sous la Monarchie de Juillet. Il est vrai qu’en dépit du progrès de la technique ferroviaire, les enjeux fondamentaux n’ont pas radicalement changé : il s’agit toujours de préserver la sécurité et la qualité du trans- port sans provoquer d’atteinte excessive au droit de propriété des riverains 8. Toutefois, rien n’est figé et les pouvoirs publics font évoluer d’autres aspects de la protection juridique du domaine public ferroviaire, soit en innovant radicalement, comme c’est le cas en matière de délimitation amiable, soit en s’inspirant des normes applicables à d’autres dépendances domaniales. À cet égard, l’impression qu’avait pu donner l’ordonnance du 14 avril 2021 d’une convergence entre le régime juridique propre au domaine public ferroviaire et les règles pesant sur le domaine public routier se confirme, singulièrement en matière d’alignement. Ainsi le commentaire du contenu du décret doit-il être l’occasion d’identifier la nouveauté qu’apporte la procédure amiable de délimitation du domaine ferroviaire (I), les éléments inspirés d’autres régimes juridiques, telle la procédure d’alignement, calquée sur l’alignement routier (II) et les dispositions reprenant, en les aménageant plus ou moins marginalement, des normes tech- niques anciennes, datant parfois de 1845, telles les servitudes d’utilité publique ferroviaire (III).
I. UNE INNOVATION : LA PROCÉDURE AMIABLE DE DÉLIMITATION DU DOMAINE PUBLIC FERROVIAIRE
Les premiers alinéas du décret commenté déterminent la procédure de fixation amiable des limites du domaine public ferroviaire au droit des propriétés riveraines qu’avait annoncée l’ordonnance du 14 avril dernier (cod. C. transp., art. L. 2231-1-II,). Codifiée au nouvel article R. 2231-1-I du code des transports, cette procédure est déclenchée soit par les propriétaires riverains soit par le gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau sur le réseau ferré national). Un procès-verbal de délimitation auquel est annexé un plan de délimitation est établi par un géomètre- expert aux frais de la personne demanderesse et doit être signé par les deux parties. Cette pluralité des signatures, innovation bien hardie dans le droit du domaine public, matérialise l’accord du gestionnaire et du propriétaire, et implique qu’aucun recours ultérieur n’est possible.
L’ordonnance du 14 avril 2021, fort peu diserte sur cette « procédure amiable définie par décret en Conseil d’État » (C. transp., art. L. 2231-1-I), avait suscité chez les spécialistes une impatience teintée d’appréhension. Ces dispositions rompent assez radicalement avec le principe de la délimitation unilatérale du domaine public, qui jusqu’ici ne connaissait pas d’exception. Auparavant, si les bons services d’un géomètre-expert pouvaient être requis pour établir un procès-verbal fixant les droits respectifs du propriétaire riverain et du maître du domaine public ferroviaire, ce document concourant à la délimitation de la propriété de la personne publique (PV3P) n’était jamais signé par les deux parties et ne constituait que l’acte préparatoire à l’arrêté de délimitation préfectoral, ou alignement individuel. Rappelons à cet égard que, jusqu’à l’ordonnance récente, comme l’aligne- ment ferroviaire ne présentait qu’un intérêt conservatoire mais jamais un caractère translatif de propriété – contrairement à l’alignement routier (v. infra) – on préférait le plus souvent parler de « délimitation » bien que le terme d’alignement figurât clairement dans les textes 9.
“Ces dispositions rompent assez radicalement avec le principe de la délimitation unilatérale du domaine public, qui jusqu’ici ne connaissait pas d’exception“
L’interdiction de toute délimitation amiable, consacrée par la jurisprudence et théorisée par la doctrine 10 en tant que véritable élément d’identité du domaine public, fondait l’interdiction absolue de recourir au bornage de l’article 646 du code civil pour délimiter le domaine public 11. Pour être exact, cette notion n’était certes pas totalement inconnue du domaine public ferroviaire, puisque, jusqu’en 1983, les compagnies ferroviaires d’intérêt général ou local devaient recourir à cette procédure afin de déterminer les biens de retour, propriété ab initio de l’État 12. Mais comme le démontre S. Kluczynski, le bornage n’établissait qu’une présomption d’appartenance au domaine public, utile pour tracer le périmètre des biens de retour de la concession, mais tout-à-fait impuissante à délimiter le domaine public.
Le présent décret rompt définitivement avec un principe fermement établi ayant pris la forme d’une véritable tradition juridique. Certes, le pouvoir réglementaire ne s’est pas résolu à employer le terme « bornage », pas plus qu’il ne fait référence au code civil. Du reste, le juge judiciaire ne pourra pas être saisi en cas de désaccord, comme ce qui prévaut en matière de bornage, puisque le juge administratif détient encore le mono- pole pour statuer sur les conflits qui s’élèvent en matière de délimitation du domaine public 13. En tout état de cause, la personne publique propriétaire sera naturellement conduite à recourir à l’alignement individuel si un différend s’élève au cours de la procédure amiable (v. infra). Néanmoins, les points communs entre le nouveau dispositif et le bornage ne peuvent manquer de surprendre : même initiative de l’un ou de l’autre propriétaire, même recours à un géomètre-expert et, surtout, même signature par toutes les parties, marquant leur accord définitif sur la délimitation. Une différence toutefois : le coût du bornage est partagé entre les propriétaires alors que le décret commenté précise que c’est l’initiateur de la procédure amiable qui doit s’en acquitter. Il n’est pas impossible qu’à l’avenir, cette procédure hybride s’étende à d’autres dépendances domaniales.
II. UNE IMITATION : LA PROCÉDURE D’ALIGNEMENT FERROVIAIRE
Parallèlement à la nouvelle procédure amiable, l’article 1er du décret commenté consacre quelques dispositions à la procédure d’alignement, codifiées à l’article R. 2231-1-II du code des trans- ports. Pour en comprendre la portée, et réaliser dans quelle mesure le texte s’inspire ici du code de la voirie routière, il faut replacer ce dispositif dans son contexte.
L’alignement est la procédure normale de délimitation du domaine public ferroviaire comme routier 14. Néanmoins, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 14 avril dernier, l’alignement fer- roviaire était régi par des dispositions inabouties. L’article L. 2231- 3 du code des transports, issu de l’article 3 de la loi du 15 juillet 1845 précitée, se bornait à mentionner cette procédure exorbitante sans en décrire le régime juridique. Soucieux de préserver les droits des riverains en l’absence d’un dispositif précis, le juge affirmait que l’alignement ferroviaire n’avait de vertu que recognitive ou conservatoire mais était impuissant à provoquer un transfert de propriété. La servitude de reculement – qui interdit aux propriétaires riverains du domaine public routier de réaliser tout travail confortatif sur un immeuble destiné, après destruction, à intégrer le domaine public routier (v. C. voirie routière, art. L. 112- 6) – n’était donc pas invocable par le maître du domaine public ferroviaire 15. Pour toutes ces raisons, on préférait parler d’arrêté de délimitation plutôt que d’alignement individuel 16.
L’ordonnance précitée a changé la donne en calquant l’aligne- ment ferroviaire sur ce qui prévaut en matière routière et en en assumant le caractère translatif de propriété. Désormais, que l’on soit sur la route ou sur le rail, la délimitation du domaine public peut être fixée soit par un plan d’alignement, soit par un alignement individuel. Le plan d’alignement détermine après enquête publique la limite entre le domaine et les propriétés riveraines. Point capital : sur le modèle du code de la voirie routière, la publication du plan d’alignement ferroviaire attribue de plein droit au propriétaire du domaine public ferroviaire le sol des propriétés non-bâties dans les limites qu’il détermine. Le sol des propriétés bâties à la date de publication du plan d’alignement est quant à lui attribué à la collectivité propriétaire dès la destruction du bâtiment, conséquence logique de cette fameuse servitude de reculement qui interdit aux riverains de réaliser les travaux confortatifs sur la partie de leur immeuble contenue dans le plan. Le transfert de propriété, immédiat pour la propriété non-bâtie, différé pour la propriété bâtie, donne lieu à une indemnité calculée, fixée et payée comme en matière d’expropriation. Certes, le transfert ne peut être que minime et l’alignement est cantonné aux « rectifications mineures » 17. L’alignement individuel est quant à lui délivré au propriétaire conformément au plan d’alignement s’il en existe un. En l’absence d’un tel plan, il constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine (C. transp., art. L. 2231-1-III; comp. C. voirie routière, art. L. 112-1 à L. 112-6).
“Désormais, que l’on soit sur la route ou sur le rail, la délimitation du domaine public peut être fixée soit par un plan d’alignement, soit par un alignement individuel“
Dans l’ordonnance codifiée à l’article L. 2231-1 du code des transports, l’existence la servitude de reculement n’est qu’implicite (contrairement à l’article L. 112-6 du code de la voirie routière), au point que l’intention du législateur délégué à cet égard a pu poser question 18. Le décret commenté met un terme à toute ambiguïté. Il confirme l’existence de cette servitude, ce qui est particulièrement bienvenu en un domaine où la protection constitutionnelle et conventionnelle du droit de propriété implique l’édiction de règles claires 19, et poursuit l’assimilation de son régime juridique à celle qui frappe les riverains des routes. Trois dispositions, directement tirées du code de la voirie routière, sont ainsi transposées au chemin de fer.
Premièrement, le transfert de propriété des propriétés bâties comme non-bâties doit donner lieu aux formalités de publicité foncière, règle d’évidence au vu du libellé de l’article 635, 3° du code général des impôts (comp. C. voirie routière, art. R. 112-2). C’est là une condition de l’opposabilité aux tiers du transfert de propriété. Précisons, dans la même veine, que la servitude de reculement, comme toutes les servitudes ferroviaires, doit être annexée au plan local d’urbanisme ou être publiée sur le portail national de l’urbanisme pour être opposable aux demandes d’autorisation d’occupation du sol (C. urb., art. R. 151-51 et annexe), sauf si elle a été notifiée directement au pétitionnaire 20, ce qui serait le cas en présence d’un alignement individuel. Deuxièmement, lorsqu’un plan d’alignement frappe d’une servitude de reculement un immeuble inscrit au titre des monuments historiques, il ne peut être adopté qu’après accord du préfet de région.
“Le décret commenté met un terme à toute ambiguïté. Il confirme l’existence de la servitude de reculement, ce qui est particulièrement bienvenu […]“
Troisièmement et enfin, lorsqu’un plan d’alignement a pour effet de frapper d’une telle servitude un immeuble situé dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, dans les abords des monuments historiques ou dans un site classé, inscrit ou en instance de classement, il ne peut être adopté qu’après avis de l’architecte des Bâtiments de France, qui est réputé être favorable en l’absence de réponse dans un délai de quatre mois. Ces deux dernières dispositions reprennent exactement l’article L. 112-1 du code de la voirie routière.
Pour l’instant, l’articulation entre la procédure amiable et l’alignement ferroviaire n’est pas précisée. Il ne faut donc pas conclure au caractère subsidiaire de la procédure d’alignement qui ne figure pas dans le texte, même s’il est légitime, en matière patrimoniale, de privilégier l’amiable à l’unilatéral, qui ne peut être qu’une solution par défaut. En outre, seul le plan d’alignement, le cas échéant décliné par un alignement individuel, a la faculté d’être translatif de propriété.
III. UNE CONTINUATION : LES SERVITUDES FERROVIAIRES
On nommera les autres servitudes, dont le régime juridique et le périmètre sont précisés par le décret, « servitudes ferroviaires » en raison de leur spécificité (à l’inverse, la servitude de recule- ment, étant aussi applicable aux propriétés riveraines de la voirie routière, n’est pas une servitude spécifiquement « ferroviaire »). Elles ont principalement pour visée d’assurer la sécurité de l’exploitation des chemins de fer et donnent à voir une remarquable continuité par rapport à des règles dont certaines prévalent depuis le milieu du XIXe siècle.
A. Au préalable, déterminer l’emprise de la voie ferrée
Pour mieux déterminer le périmètre des servitudes ferroviaires, il faut définir l’emprise de la voie ferrée, à partir de laquelle il pourra être tracé. C’est ce à quoi s’attachent une première série de dispositions figurant à l’article 1er du décret commenté et codifiées à l’article R. 2231-2 du code des transports. Deux précisions liminaires s‘imposent. D’abord, l’emprise ferroviaire ne recoupe pas toujours les limites du domaine public ferroviaire et ces deux notions n’ont pas la même utilité, la première constituant le point de repère permettant de déterminer le champ des servitudes, le second constituant le champ d’application du régime exorbitant de la domanialité publique. En outre, l’atteinte que toute servitude d’utilité publique porte au droit de propriété implique que la procédure qui préside à leur établissement, tout comme les principales modalités de leur détermination, soient fixées avec précision, si possible par la loi 21. L’intervention du pouvoir réglementaire pour fixer les limites de l’emprise ferroviaire, sans être inconstitutionnelle, est politiquement regret- table et historiquement nouvelle. En effet, c’est l’article 5 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer qui établis- sait les modalités de définition de l’emprise ferroviaire.
“L’intervention du pouvoir réglementaire pour fixer les limites de l’emprise ferroviaire, sans être inconstitutionnelle, est politiquement regrettable et historiquement nouvelle“
Le décret commenté s’inspire largement des repères contenus dans le vénérable texte du 15 juillet 1845. Il indique que la limite de l’emprise ferroviaire est tracée par rapport à l’arête supérieure du talus de déblai, de l’arête inférieure du talus du remblai, ou du bord extérieur des fossés, règles entrées dans les mœurs depuis fort longtemps et que le gouvernement, à juste titre, n’a pas jugé bon de modifier. Quelques différences existent néanmoins entre le décret de 2021 et la loi de 1845. Le progrès des techniques ferroviaires et la prise en compte de la pratique impliquaient d’ajouter de nouveaux points de repères pour établir la limite de l’emprise ferroviaire tels que la clôture des sous-stations électriques, le mur des postes d’aiguillage ou la clôture des installations radio. Enfin le décret élargit l’emprise de la voie ferrée en l’absence d’une ligne tracée : du mètre cinquante à partir des rails, distance prévue par la loi de 1845, on passe aujourd’hui à 2,20 mètres pour les lignes ou sections de ligne où les convois circulent en deçà de 160 km/h, ou 3 mètres pour les lignes ou section de lignes où il est circulé à plus de 160 km/h, à partir du bord extérieur du rail de la voie ferrée. Cet élargissement est évidemment commandé par l’augmentation de la vitesse des trains.
B. Quatre servitudes ferroviaires d’utilité publique
Ainsi définie, la limite de l’emprise ferroviaire sert de repère à l’établissement de quatre servitudes ferroviaires d’utilité publique. L’ordonnance du 14 avril 2021, en codifiant aux articles L. 2231- 4, L. 2231-5, L. 2231-6 et L. 2231-7 trois régimes pénaux (interdiction) et un régime déclaratif portant sur les propriétés rive- raines – et sanctionnés par les contraventions de grande voirie en vertu de l’article L. 2232-1 du code des transports –, avait habilité le pouvoir réglementaire à préciser la largeur des zones d’application de ces servitudes.
● Dans un premier périmètre, toute construction autre qu’un mur de clôture est interdite. Cette règle traditionnelle figurant à l’article L. 2231-4 du code des transports reprend l’article 5 de la loi du 15 juillet 1845. Le décret fixe la largeur de la zone concernée : la servitude non aedificandi s’applique sur deux mètres à partir de la limite de l’emprise (C. transp., art. R. 2231- 4, nouveau), ce qui correspond à la distance contenue dans la loi de 1845. Il fait toutefois subir à celle-ci une adaptation marginale en précisant qu’il faudra compter trois mètres pour les ouvrages d’arts souterrains et six mètres pour les ouvrages d’art aériens (dispositions nouvelles). Cette servitude se crée automatiquement en cas d’établissement d’une nouvelle voie ferrée ; dans ce cas, les constructions existantes dans le périmètre évoqué peuvent être expropriées et détruites par le gestionnaire d’infrastructure (C. transp., art. L. 2231-8) 22. Le décret précise quant à lui la procédure à suivre lorsque de telles constructions ne présentent aucun risque pour la sécurité du transport ferroviaire : dans ce cas, un procès-verbal peut constater leur état d’entretien afin de permettre à leur propriétaire de les entretenir dans l’état où ils se trouvent (C. transp., art. R. 2231-8 nouveau).
● La deuxième servitude prévue par l’ordonnance et codifiée à l’article L. 2231-5 du code des transports, visant à éviter de fragiliser les voies ferrées, interdit tout terrassement, excavation ou fondation, dont la distance par rapport à l’emprise de la voie ferrée ou, le cas échéant, par rapport à l’ouvrage d’art, l’ouvrage en terre ou la sous-station électrique, est inférieure à un certain seuil. Le décret commenté livre la méthode de calcul de ce dernier : lorsque la voie se trouve en remblai de plus de trois mètres au-dessus du terrain naturel, la distance mentionnée est égale à la hauteur verticale du remblai, mesurée à partir du pied du talus – au moins trois mètres, donc (C. transp., art. R. 2231-5 nouveau). Le décret reprend ici encore les règles issues de l’article 6 de la loi du 15 juillet 1845, mais innove en interdisant de réaliser, à une distance inférieure à 50 mètres de l’emprise de la voie ferrée, tout terrassement, excavation ou fondation dont un point se trouverait à une profondeur égale ou supérieure aux deux tiers de la longueur de la projection horizontale du segment le plus court le reliant à l’emprise de la voie ferrée, sauf à mettre en œuvre un système de blindage (système permettant de soutenir les parois d’un ouvrage afin de les consolider).
● La troisième servitude prévue à l’article L. 2231-6 du code des transports interdit tout dépôt et toute installation de rétention d’eau à une certaine distance de l’emprise de la voie ferrée. Le décret fixe cette distance à cinq mètres (C. transp., art. R. 2231- 6 nouveau), exactement comme l’avait fait avant lui l’article 8 de la loi du 15 juillet 1845.
● En dernier lieu, l’article L. 2231-7 du code des transports, toujours issu de l’ordonnance précitée, fixe un régime déclaratif imposant d’informer le gestionnaire d’infrastructure voire le gestionnaire de voirie routière de tout projet de construction, d’opération d’aménagement ou d’installation pérenne ou temporaire, y compris les installations de travaux routiers, envisagés à une certaine distance par rapport à l’emprise de la voie ferrée. Le décret commenté fixe une distance de droit commun de 50 mètres par rapport à l’emprise. Pour les passages à niveau, elle est portée à une distance de 300 à 3 000 mètres, selon l’importance des projets et celle de leur impact sur les infrastructures ferroviaires et les flux de circulation avoisinants. Un arrêté du ministre des transports devrait préciser les catégories de travaux concernés par ces dispositions. Ce régime n’est pas exclusivement déclaratif car, sur proposition du gestionnaire d’infrastructure, le représentant de l’État dans le département peut, dans un délai de deux mois à compter de l’avis du gestionnaire, imposer un certain nombre de prescriptions telles que : la réalisation d’une étude préalable de sécurité, le respect de prescriptions techniques visant à préserver la stabilité et l’intégrité de l’infrastructure ferroviaire ou encore la réalisation d’une étude des flux de circulation générés par le projet (C. transp., art. R. 2231-7 et R. 2231-7-1 nouveaux).
Enfin, le décret précise la procédure aux termes de laquelle le gestionnaire d’infrastructure pourra effectuer d’office les opérations d’élagage, de taille ou d’abattage des arbres, branches, haies ou racines empiétant sur le domaine public ferroviaire, après une mise en demeure restée sans réponse dans le délai raisonnable fixé. Le texte précise que la mise en demeure n’est pas requise lorsque le propriétaire des éléments naturels encombrant le domaine est inconnu (C. transp., art. R. 2231-3).
En définitive, si l’on excepte la procédure de délimitation amiable, qui est une petite révolution, le texte livre une réforme de la protection du domaine public ferroviaire plutôt convenue, entre imitation, dépoussiérage et restauration. On ne s’en plaindra pas. Le conservatisme dont le texte fait preuve dans la perpétuation de techniques juridiques éprouvées est probablement un gage d’efficacité.
1 L. n° 2018-515, 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire : JO 28 juin 2018 – Ord. n° 2019-552, 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF : JO 4 juin 2019 ; Dr. Voirie 2019, p. 141, comm. H. Devillers – D. n° 2020-1820, 29 déc. 2020 relatif au transfert de gestion des lignes ferroviaires d’intérêt local ou régional à faible trafic et au transfert de missions de gestion de l’infrastructure sur de telles lignes, et portant diverses autres dispositions : JO 31 déc. 2020 ; Dr. Voirie 2021, p. 55, comm. H. Devillers.2 JO 26 déc. 2019.
3 JO 15 avr. 2021 ; Dr. voirie, 2021, p. 98, comm. H. Devillers.
4 Bull. lois, 9e S., B 1221, n° 12095.
5 JO 3 nov. 2010.
6 Par exemple, l’ancienne version de l’article L. 2231-3 du code des transports se référait aux « servitudes imposées par les lois et règlements sur la grande voirie » issues de la loi du 29 floréal an X relative aux contraventions en matière de grande voirie, abrogée par le décret n° 73-682 du 13 juillet 1973, et par la loi n° 76-521 du 16 juin 1976 modifiant certaines dispositions du code des tribunaux administratifs et donnant force de loi à la partie législative de ce code (JO 17 juin 1976).
7 CGPPP, art. L. 2132-12.
8 L’article 2 est mobilisé, et non l’article 17, de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, en l’état d’une jurisprudence considérant, à juste titre, qu’une servitude au profit du domaine public ne constitue pas une privation de propriété mais une limitation sans dépossession (H. de Gaudemar et Ph. Yolka, Domaine public et servitudes : JCl Administratif, fasc. 406-11, 3 mai 2021, n° 23).
9 S. Kluszynsky, Les propriétés ferroviaires, th. dactyl., Univ. Avignon, 2021, p. 387.
10 M. Le Roux, Délimitation du domaine public : JCl Propriétés publiques, fasc. 54, 1er juill. 2019, n° 9.
11 Cass. civ., 13 juill. 1854, Préfet du Cher : S. 1856, 1, p. 431 – CE, 10 juin 1975, Leverrier : Lebon, p. 382 – CE, 10 juin 1975, Peiller : RDP 1975, p. 1490 – CE, sect., 6 févr. 1976, Sec. État transports c/ SCI Villa Miramar : Lebon, p. 89 ; AJDA 1976, I, p. 201 ; AJDA 1976, II, p. 217 – CAA Marseille, 30 mai 2000 : Dr. adm. 2001, comm. 9 – CAA Lyon, 18 déc. 2003, n° 99LY00452, GFA Combys et a. : Lebon, T. p. 774 ; JCP A 2004, act. 1308, note Ph. Billet.
12 V. l’article 31 du cahier des charges de la SNCF du 31 décembre 1937 puis l’article 26 du cahier des charges de la SNCF du 23 décembre 1971 abrogeant le décret n° 83-817 du 13 septembre 1983 portant approbation du cahier des charges de la Société nationale des chemins de fer français : JO 14 sept. 1983, p. 2789.
13 T. confl., 28 avr. 1980, n° 02160, SCIF Résidence des Perriers : Lebon, p. 506.
14 J.-M. Auby, P. Bon, Ph. Terneyre et J.-B. Auby, Droit administratif des biens, Dalloz, 2020, Précis, p. 94.
15 N. Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 4e éd., 2018, p. 230 ; S. Kluczynski, op. cit., p. 387 ; H. Devillers, préc. – CE, 30 déc. 1996, n° 148174 : Lebon.
16 S. Kluczynski, ibid.
17 Cons. const., 2 déc. 2011, n° 2011-201 QPC : AJDA 2011, p. 2382 ; AJDA 2012, p. 489, comm. N. Foulquier ; JCP A 2012, 2038, H. Pauliat ; JCP A 2011, act. 761 ; AJDI 2012, p. 93, chron. S. Gilbert ; RD imm. 2012, p. 170, obs. N. Foulquier ; Dr. adm. 2012, comm. 28, S. Deliancourt ; BJCL 2012, p. 418, obs. S. Traoré. Cette jurisprudence portant sur le domaine public routier est désormais applicable au domaine public ferroviaire.
18 H. Devillers, préc.
19 Cons. const., n° 2011-201 QPC, préc. – X. Braud, Droit administratif des biens, 2e éd., p. 155.
20 CE, 23 sept. 2021, n° 432650, Ville de Bordeaux : Lebon, T. Plus globalement, sur les liens entre alignement et PLU, v. Rép. min. à QE n° 02510 : JO Sénat 28 févr. 2008, p. 389.
21 Par analog. V. Cons. const., 14 oct. 2011, n° 2011-182 QPC : AJDA 2011, p. 1982 ; AJDA 2012, p. 1285, note Fort ; RFDA 2011, p. 1209, chron. Roblot- Troizier et Tusseau ; RFDC 2012, n° 90, p. 412, obs. Dussart.
22 Comp., en matière de servitude militaire, l’article L. 5111-4 du code de la défense – H. Devillers, La protection du domaine public militaire, in C. Chamard-Heim et Ph. Yolka (dir.), Patrimoine(s) et équipements militaires. Aspects juridiques, Varenne, 2018, coll. Colloques et essais, p. 149.

Hugo Devillers
Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord