Pas de biens de retour appartenant à des tiers dans les concessions de remontées mécaniques

En bref…

CAA Marseille, 17 avr. 2023, n° 23MA00452,
Cté de cnes Vallée de l’Ubaye – Serre-Ponçon

On sait que les biens du domaine public ne sauraient appartenir à des personnes privées. Si ce principe est classique (V. comm. ss CE, avis, 10 juin 2004, n° 370252, Agence France-Presse : Grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 4e éd., 2022, comm. n° 4, § 9 et s.), sa réaffirmation à propos des biens de retour des concessions mérite d’être notée. En effet, les contentieux touchant ces derniers concernent d’ordinaire la répartition des actifs entre domaine public du concédant et propriété privée du concessionnaire, mais ils envisagent moins frontalement les rapports entre domanialité publique et propriété privée (V. toutefois, excluant de la catégorie des biens de retour des quotas d’émission de CO2 excédentaires qui appartenaient à un industriel : CE, 6 oct. 2017, n° 402322, Cne de Valence : Lebon, T. ; AJDA 2018, p. 629, note Martin ; BJCL 2017, p. 665, concl. Henrard, obs. Dreyfus ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 280, note Eckert ; JCP A 2017, 2291, note Vila).

La configuration du litige à l’origine de cet arrêt expliquait un questionnement assez atypique, dans un feuilleton contentieux à rebondissements qui avait déjà donné lieu à un élargissement de la catégorie des biens de retour à ceux dont le concessionnaire était propriétaire avant la passation du contrat et qu’il aurait, en acceptant de conclure ce dernier, affectés au fonctionnement du service public dès lors qu’ils lui sont nécessaires, acquiesçant implicitement à leur incorporation domaniale (CE, 29 juin 2018, n° 402251, Min. Intérieur c/ Cté de cnes de la vallée de l’Ubaye : Lebon ; AJDA 2018, p. 1656, chron. Nicolas et Faure ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 232, note Eckert ; JCP A 2018, act. 578, obs. Touzeil-Divina ; JCP A 2019, 2046, chron. Martin et Pellissier ; JCP G 2018, p. 2398, chron. Éveillard ; RFDA 2018, p. 939, concl. Henrard – cassation partielle de CAA Marseille, 9 juin 2016, n° 15MA04083, Préfet Alpes-Maritimes c/ Cté cnes vallée de l’Ubaye et Cne d’Enchastrayes : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 212, obs. Eckert ; ibid. févr. 2017, p. 19, chron. Eckert ; ibid. 2017, chron. Llorens et Soler-Couteaux, pp. 13-14). Il faut souligner au passage la contradiction flagrante entre une telle extension de la catégorie particulière des biens de retour (déjà dilatée par une jurisprudence de principe : V. obs. F. Melleray ss CE, ass., 21 déc. 2012, n° 342788, Cne de Douai : GDDAB préc., comm. 63) et la volonté de rétraction de cette catégorie générale qu’est le domaine public, manifestée avec le code général de la propriété des personnes publiques. Comme s’il y avait une vie propre des catégories patrimoniales en régime concessif, susceptible de se déployer au rebours de tendances plus larges, à l’image des courants latéraux qui se développent dans certaines rivières contre le cours principal.

Une question ensuite posée fut de savoir si le mouvement d’extension des biens de retour allait se poursuivre pour déborder vers des biens nécessaires au fonctionnement du service, mais n’appartenant pas ab initio au concessionnaire et mis à sa disposition par des tiers (ce que la loi Montagne n° 85-30 du 9 janvier 1985 n’interdit pas). Une réponse négative devait être donnée une première fois à propos de la même station de ski (Sauze -– Super Sauze), logiquement au regard de l’atteinte au droit de propriété qu’aurait emportée l’option inverse (CAA Marseille, 16 déc. 2019, n° 18MA03183, Préfet des Alpes-de-Haute-Provence : AJCT 2020, p. 301, obs. Roulet). L’arrêt du 17 avril 2023 l’affirme de nouveau (il y a là un impact de l’effet relatif des contrats en droit des biens : une catégorie patrimoniale liée aux relations conventionnelles entre parties ne saurait attirer dans son orbite fatidique les propriétés de tiers), mais en ne reprenant pas – ce qui doit être relevé – la réserve de stipulations contraires prévue par le précédent de 2019. 

Si tous les types de mise à disposition sont visés par ces deux décisions phocéennes, une interrogation particulière concerne celles susceptibles d’aboutir à un transfert de propriété au preneur in fine. On peut raisonnablement supposer que les formules locatives à vocation d’achat ne permettent pas le basculement en biens de retour avant la levée de l’option, mais que l’obstacle tombe ensuite (songeons par exemple, dans les concessions de domaines skiables, à l’acquisition de dameuses en crédit-bail). Bien sûr, les leçons de cette jurisprudence portent au-delà des monts, pour intéresser les contrats de concession en général. 

Philippe Yolka

Professeur en droit public – Université Grenoble Alpes