Qualification domaniale des redevances d’amarrage dans les ports de plaisance

CE, 14 avr. 2023, n° 462797, Assoc. des plaisanciers
du Port-Vieux de La Ciotat et a. : Lebon T.

Des plaisanciers avaient contesté une délibération décidant une augmentation forfaitaire de la redevance perçue à raison de l’occupation de places au port de La Ciotat. Juridiquement, le cœur de l’affaire résidait dans la qualification de cette redevance, déterminante sur le terrain de la légalité (modalités de fixation et de publicité différentes). Située au voisinage de redevances pour service rendu (redevance d’équipement des ports de plaisance : C. transp., art. L. 5321-3 et art. R. 5321-1 3° ; redevance dans les zones de mouillages et d’équipements légers : CGPPP, art. R. 2124-45 dernier al.), elle-même à la jonction du SPIC et du domaine public, la redevance d’amarrage – ou celle correspondant au stationnement « à sec » – peut intégrer une prestation de services (ici, elle ouvrait droit à un service de manutention donnant lieu à rémunération forfaitaire), mais elle correspond principalement à une occupation du domaine public maritime. La question était donc de savoir si elle devait être qualifiée de redevance d’occupation du domaine public (E. Untermaier-Kerléo, Redevances domaniales : JCl. Propriétés publiques, fasc. 59-10) ou plutôt de redevance sui generis, en raison de sa nature hybride (pour partie domaniale, pour partie liée à un service).

Le tribunal administratif de Marseille avait retenu le caractère mixte de la redevance, couvrant non seulement les avantages retirés de l’occupation du domaine public, mais aussi les services rendus au titre des outillages du port maritime ; et il avait conclu à l’illégalité de la délibération. Ce jugement du 10 janvier 2020 fut annulé en appel, au motif que la redevance litigieuse devait être qualifiée de redevance d’occupation du domaine public, le service de manutention constituant un simple accessoire de l’autorisation d’occupation dont il était indissociable et se trouvant intégré dans les « avantages de toute nature » – CGPPP, art. L. 2125-3 – procurés à l’occupant (CAA Marseille, 4 févr. 2022, n° 20MA01157, SPL La Ciotat Shipyards et Dpt des Bouches-du-Rhône : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 121, note Chamard-Heim ; JCP A 2022, 2137, chron. Meurant ; Dr. Voirie 2023, p. 60, chron. Rézenthel). 

Le Conseil d’État confirme en cassation l’arrêt d’appel : même si elle ouvre droit à prestation de service accessoire, une redevance fixée de manière globale et forfaitaire en fonction des caractéristiques de l’occupation et non de l’utilisation des services présente un caractère domanial ; la prévalence du droit des propriétés publiques exclut en somme tout métissage avec la redevance pour service rendu. Notons que le moyen tiré de la violation du principe d’égalité fut subsidiairement écarté, vu la différence de situations entre catégories de bateaux et la rareté relative des emplacements rapportée à leur taille (avec ce résultat paradoxal que fut ainsi validée une augmentation de redevance pesant sur les plaisanciers les plus modestes, propriétaires de navires de 8 m au plus, au sein d’un port qui s’est reconverti dans le yachting de luxe).

Cette qualification financière comporte une dose d’artifice. La place au port donne accès à une large palette de services, en sorte que l’occupation domaniale est tout sauf exclusive. Mais consacrer la mixité des sommes perçues aurait soulevé d’incontestables difficultés (pour distinguer les deux volets au sein d’une même redevance, articuler leurs conditions de légalité) et conduit à fragmenter un peu plus le contentieux des redevances portuaires entre les deux ordres juridictionnels. On peut donc voir dans la solution retenue une expression de la raison pratique, n’excluant pas la volonté du juge administratif de tenir fermement la barre dans un contentieux assez sensible (ce qui touche les places de port constitue un enjeu de gouvernance locale important ; en sociologie administrative, il resterait à écrire sur les « anneaux de pouvoir »…). 

Philippe Yolka

Professeur en droit public – Université Grenoble Alpes