Opposabilité à VNF de la vente d’un navire fluvial

Quand une péniche fait revirer la jurisprudence

Cours & Tribunaux

CE, 13 sept. 2021, n° 443019,
Mme D… C… et M. E… B… : Lebon, T. CE, 13 sept. 2021, n° 450097,
Voies navigables de France : Lebon, T.

La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie (CGV) est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention. Dans l’hypothèse où le gestionnaire d’une dépendance du domaine public fluvial poursuit l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation sans titre de cette dépendance par un navire, il est fondé à mettre les sommes correspondantes à la charge soit de la personne qui est propriétaire de ce navire ou qui en a la garde, soit de la personne qui l’occupe, soit de l’une et de l’autre en fonction des avantages respectifs qu’elles ont retirés de l’occupation. Lorsque, par ailleurs, le navire a fait l’objet d’une cession sans que les formalités prévues par les dispositions précitées de l’article L. 4121-2 du code des transports aient été accomplies, de sorte que cette cession n’est pas opposable aux tiers, l’autorité gestionnaire du domaine est fondée à poursuivre l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation irrégulière de ce domaine auprès du cédant ou, si elle a connaissance de la cession, du cessionnaire.


EXTRAITS

1. Les deux affaires qui viennent d’être appelées illustrent les spécificités respectives des actions répressives et indemnitaires que les personnes publiques sont susceptibles d’entreprendre, le cas échéant cumulativement, en cas d’occupation irrégulière de dépendances de leur domaine public.

2. Mme D… C…, et M. E… B… étaient propriétaires d’un bateau fluvial portant devise Forez et ce n’était pas, comme dans la comptine, un « petit navire ». Ce bateau en acier riveté construit en 1957 pour le transport de carburant mesure en effet 78 mètres de long, soit le double d’une péniche Freycinet, par 7,53 mètres de large. Le navire avait navigué jadis, mais depuis quelques années, il est amarré rive gauche du Rhône, en Arles, à l’estacade du chantier naval de Barriol, au PK 284,100, et il serait désormais partiellement coulé.

Par un acte sous seing privé manuscrit portant date du 23 septembre 2015, les consorts C…-B… l’ont vendu « en l’état », sans moteur, ni hélice, ni arbre d’hélice, à Mme A… et M. F…, moyennant le prix d’un euro, après publication d’une petite annonce sur « leboncoin ». L’acte de vente, qui précise que le navire est amarré au chantier naval de Barriol, mentionne que « les acheteurs ont été avertis que le bateau doit quitter cet emplacement par ordre de VNF (…) pour cause de travaux sur le site ».

Postérieurement à la vente, des agents de VNF ont constaté, le 26 février 2016, que le Forez continuait à stationner sans autorisation à son port d’attache, en violation des dispositions de l’article L. 2132-9 du CGPPP qui punissent d’une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l’objet constituant l’obstacle et du remboursement des frais d’enlèvement d’office « les riverains, les mariniers et autres personnes » ayant manqué à l’obligation « de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial », ces dispositions, ainsi que le juge votre décision M. et Mme B. du 12 mars dernier 1, visant à maintenir le domaine public fluvial dans un état permettant qu’il en soit fait un usage conforme à sa destination et à assurer la sécurité de la navigation et s’appliquant à tout objet qui fait obstacle à un tel usage, de sorte que le simple fait de maintenir une péniche sur ce domaine sans autorisation constitue la contravention.

VNF a entendu poursuivre comme auteurs de la contravention, d’une part, Mme C… et M. B…, mais aussi, d’autre part, les acquéreurs du bateau, M. F… et Mme A…, et leur a respectivement notifié un procès-verbal de contravention, avant de les déférer tous les quatre au tribunal administratif de Marseille par deux requêtes enregistrées le 5 avril 2016. La compétence territoriale du tribunal administratif étant, dans les litiges relatifs au domaine public, en application de l’article R. 312-7 du code de justice administrative, celle du tribunal dans le ressort duquel se trouve « l’im- meuble faisant l’objet du litige », et le domaine fluvial étant l’un des éléments du domaine public « immobilier », selon la classification du CGPPP, il était logique, s’agissant d’une contravention constatée en Arles, qu’en soit saisi le tribunal administratif de Marseille, compétent sur tout le département des Bouches-du- Rhône en application de l’article R. 221-3 du même code.

Ultérieurement, VNF a établi trois constats d’occupation sans titre du domaine public fluvial réalisés les 21 juillet 2016, 3 janvier 2017 et 8 janvier 2018, qu’il a notifiés à Mme C… et M. B…, à la suite de quoi l’établissement a émis, les 20 juillet 2017 et 14 mars 2018, trois titres exécutoires en vue du paiement d’indemnités d’occupation sans droit ni titre pour des montants de 6 647,20 € au titre de la période du 1er septembre au 31 décembre 2015, 19 800,24 € au titre de la période de l’année 2016 et 19 941,38 € au titre de l’année 2017. L’indemnité a été calculée sur la base d’une superficie occupée de 589,29 m2, correspondant au produit de la longueur de la coque du bateau par sa largeur, au tarif de 1,40 ou 1,41 €/m2/mois, puis multipliée par deux en application des dispositions de l’article L. 2125-8 du CGPPP.

Mme C… et M. B… ont contesté ces titres exécutoires devant le tribunal administratif de Lyon, au bénéfice d’un raisonnement sans doute fondé sur les dispositions de droit commun de l’article R. 312-1 du CJA attribuant compétence territoriale au tribunal dans le ressort duquel a son siège l’autorité qui, en vertu de son pouvoir propre ou par délégation, a pris la décision attaquée, dans la mesure où les ordres de paiement avaient été émis par la directrice territoriale Rhône-Saône de VNF, dont le siège est à Lyon et qui agit sur délégation du directeur général de VNF, dont le siège est à Béthune.

Si l’on peut se demander si ce litige en matière d’indemnité d’occupation sans titre du domaine public ne constituait pas aussi un litige relatif au domaine public au sens de l’article R. 312-7 du CJA, relevant comme tel du tribunal de la situation de l’immeuble, donc du tribunal administratif de Marseille, les dispositions de l’article R. 312-2 de ce code font en tout état de cause obstacle à ce que vous releviez d’office l’incompétence du tribunal administratif de Lyon, ce moyen n’ayant pas été soulevé en appel 2.

Si les deux contentieux ont donc suivi leur cours devant des juridictions distinctes, ils soulevaient en revanche une question commune.

Mme C… et M. B… faisaient en effet valoir, tant pour échapper à la condamnation au titre des contraventions de grande voirie que pour obtenir l’annulation des titres exécutoires, qu’ils avaient vendu le Forez à une date antérieure aux constats de VNF et qu’ils n’étaient donc pas responsables de l’occupation irrégulière.

Dans chaque affaire, VNF objectait que la vente ne lui était pas opposable, invoquant l’article L. 4121-2 du code des transports, aux termes duquel : « Tout acte […] translatif […] de propriété […] sur un bateau mentionné à l’article L. 4111-1 est rendu public par une inscription faite à la requête de l’acquéreur […], sur un registre tenu au greffe du tribunal de commerce du lieu de l’immatriculation. Il n’a d’effet à l’égard des tiers qu’à comp

ter de cette inscription ». Or, d’une part, le Forez entre dans le champ des dispositions de l’article L. 4111-1 du code des trans- ports, qui impose l’immatriculation par leur propriétaire des bateaux de marchandises d’un certain tonnage ou de tout bateau dont le déplacement est égal ou supérieur à dix mètres cubes ; d’autre part, il est constant que les acquéreurs du Forez n’ont pas procédé aux démarches tendant à rendre publique, et par suite opposable aux tiers, la vente réalisée le 23 septembre 2015.

Face à l’inertie de leurs acquéreurs et cherchant à parer les arguments de VNF, les anciens propriétaires tentaient de faire enregistrer eux-mêmes la mutation, mais en vain, la direction départe- mentale des territoires du Rhône leur signifiant que cette démarche incombait aux seuls acquéreurs. S’agissant des bateaux fluviaux en effet, il en va différemment que pour les véhicules automobiles soumis à immatriculation, pour lesquels le code de la route prévoit qu’en cas de changement de propriétaire, d’une part, l’ancien propriétaire doit effectuer une déclaration auprès des services du ministère de l’intérieur et, d’autre part, le nouveau propriétaire doit faire établir un certificat d’immatriculation à son nom 3.

En désespoir de cause, ils saisissaient le juge judiciaire pour contraindre leurs acquéreurs à accomplir le transfert de l’immatriculation du navire et produisaient à l’instance une ordonnance du 21 novembre 2018 du président du TGI d’Amiens statuant comme juge des référés, condamnant M. F… et Mme A… à effectuer l’inscription de la vente du bateau au registre du greffe du tribunal de commerce de Lyon, ainsi qu’un jugement du 16 mai 2019 du juge de l’exécution du même tribunal assortissant cette condamnation d’une astreinte de 50 € par jour de retard.

Les décisions attaquées montrent comment les mêmes arguments des parties ont abouti, dans chaque affaire, à des solutions opposées.

S’agissant de la contravention de grande voirie, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, par jugement du 7 août 2018, a tout d’abord mis hors de cause les acquéreurs du Forez et jugé que Mme C… et M. B… devaient être regardés comme ayant conservé, à l’égard des tiers, la propriété du bateau, à la date de l’infraction, en l’absence d’accomplissement par les acquéreurs de la formalité prévue par l’article L. 4121-2 du code des transports. Il a condamné ces derniers à payer une amende unique de 1 000 € (condamnation solidaire que votre jurisprudence réprouve désormais 4) et, sur l’action domaniale, les a condamnés à verser la somme de 50 € au titre des frais d’établissement du procès-verbal 5 et leur a enjoint sous astreinte d’évacuer le Forez du domaine public fluvial. Mme C… et M. B… ont interjeté appel et, par un arrêt coté C+ du 24 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Marseille leur a finalement donné gain de cause. Elle a annulé ce jugement et relaxé les intéressés des fins de la poursuite. C’est contre cet arrêt que VNF se pourvoit sous le n° 450097.

Sur le volet financier, le tribunal administratif de Lyon, par juge- ment du 12 novembre 2019, a annulé le titre émis le 14 mars 2018 pour un motif de régularité, mais a rejeté le surplus des demandes dirigées contre les titres émis au titre de l’occupation sans titre constatée en 2015 et 2016 et les consorts C… et B… se pourvoient en cassation, sous le n° 443019, contre l’arrêt du 25 juin 2020 de la cour de Lyon en tant que, par cet arrêt, la cour a rejeté l’appel qu’ils ont formé contre les dispositions du juge- ment leur faisant grief. Par une requête distincte, ils demandent en outre le sursis à exécution de l’arrêt.

3. Nous commençons par examiner le pourvoi de VNF contre l’arrêt de la cour de Marseille en matière de contravention de grande voirie.

Le gestionnaire domanial observe que les dispositions que nous avons rappelées du code des transports sont limpides : l’opposabilité du transfert de propriété des navires fluviaux les plus importants est subordonnée à une formalité de publicité qui est à la charge de l’acquéreur et la vente n’a aucun effet à l’égard des tiers tant que cette formalité n’a pas été accomplie. Il relève que cette exigence est en outre ancienne : le code des transports ne fait, il est vrai, que reprendre les termes de l’article 16 de la loi du 5 juillet 1917 sur l’immatriculation des bateaux de rivière et l’hypothèque fluviale 6, dont les dispositions ont été codifiées en 1956 à l’article 101 du code des voies navigables et de la navigation intérieure 7, devenu en 1964 le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure 8.

L’établissement public se prévaut à cet égard d’une décision parfaitement topique par laquelle vous avez jugé que la circonstance qu’un navire ait été vendu avant le constat des faits constituant la contravention de grande voirie ne faisait pas obstacle à ce que le procès-verbal soit dressé contre l’ancien propriétaire et à la condamnation de celui-ci, sur l’action publique et sur l’action domaniale, en l’absence d’inscription de la vente portée sur le registre tenu au greffe du tribunal de commerce : il s’agit d’un arrêt de section du 22 mai 1936 9, rendu sous l’empire de la loi de 1917, à propos de l’abandon en Marne du chaland Eros. On trouve également, à une période plus récente, quelques arrêts de cours dans le même sens, notamment un arrêt de la cour de Paris du 25 avril 1995 10 et un arrêt de la cour de Marseille du 13 mars 2002 11.

Il nous semble toutefois que cette solution doit être abandonnée et que la cour administrative d’appel de Marseille a eu raison d’initier un tel revirement.

Depuis de nombreuses années maintenant, vos formations de jugement ont amorcé une forme de prise de conscience que le régime des contraventions de grande voirie, qui conduit le juge administratif à statuer comme juge répressif, ne peut s’affranchir du respect des principes gouvernant la matière pénale. Nous vous avons nous-même plusieurs fois exhorté en ce sens, en vous invitant à moduler les peines prononcées 12 ou à refuser les condamnations solidaires à des peines d’amende 13.

S’agissant de l’imputabilité, votre jurisprudence est à présent fixée en ce sens que la personne qui peut être poursuivie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention 14.

Tels sont les critères que vous appliquez désormais, pour déterminer, par exemple, si l’affréteur à temps d’un navire cargo ayant endommagé un port maritime peut être tenu pour responsable de la manœuvre hasardeuse du capitaine 15 ou si un propriétaire riverain du domaine public maritime doit être regardé comme ayant la garde d’enrochements 16 ou d’un ponton 17.

C’est le responsable effectif de la contravention qui doit être recherché. Ainsi, dans le cas où un dommage est causé au domaine public par un engin de chantier donné en location, c’est le locataire qui doit être poursuivi 18. De même, dans le cadre d’un schéma de sous-traitance, l’entreprise donneuse d’ordres, qui n’est pas personnellement responsable du dommage causé au domaine public par son sous-traitant, ne peut être tenue pour responsable de la contravention 19.

Si la contravention de grande voirie emprunte à la contravention de police son caractère d’infraction purement matérielle, ce qui dispense le juge d’avoir à constater, chez l’auteur, l’existence d’une intention, encore faut-il donc pouvoir imputer le fait punissable à la personne poursuivie, conformément au principe du droit pénal selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle 20, lorsqu’ont été soumises à son examen les dispositions du code de la route constituant le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule redevable pécuniairement de l’amende encourue en cas d’excès de vitesse ou pour certaines autres contraventions routières 21.

Ce sont d’ailleurs ces principes qui vous ont conduit à juger peu de temps après, par un arrêt de section du 5 juillet 2000 22, que le propriétaire d’un véhicule volé ne peut pas être tenu pour l’auteur de la contravention de grande voirie causée par ce véhicule dont il avait perdu la garde, abandonnant à cette occasion la jurisprudence Chotard-Chavanon 23, dont le président Arrighi avait souligné l’iniquité des effets.

Ainsi, le droit de propriété sur une chose ne saurait suffire à faire de son titulaire le responsable de la contravention commise par le fait de cette chose, s’il apparaît qu’il n’en avait pas ou plus la garde.

Notre affaire est quasiment un a fortiori, dans la mesure où les consorts C…-B… n’avaient même plus la qualité de propriétaires puisque la vente passée le 23 septembre 2015, dont la réalité n’a jamais été mise en doute par personne, notamment pas par les acquéreurs lorsque l’un d’eux a comparu en personne devant le président du TGI d’Amiens statuant en référé, avait produit un effet translatif de propriété entre les parties à l’acte, VNF ayant d’ailleurs notifié un second procès-verbal de contravention aux nouveaux propriétaires. Seule était en cause la formalité de publicité et l’opposabilité aux tiers de la vente.

Bref, la cour avait face à elle d’anciens propriétaires qui établissaient avoir cédé leur bateau et ne pouvaient être regardés comme ayant conservé la garde du navire stationnant irrégulièrement sur le domaine public fluvial, dont ils avaient perdu l’usage, la direction et le contrôle, ni comme ayant commis l’action à l’origine de l’infraction, ni enfin comme les personnes pour le compte desquelles l’action à l’origine de l’infraction avait été commise.

En décider autrement reviendrait à poser une forme de présomption irréfragable de culpabilité qui ne saurait être admise en matière répressive.

Les consorts C…-B… ne pouvaient par conséquent être condamnés au titre de l’action publique, et ils ne pouvaient l’être davantage au titre de l’action domaniale. Si l’objet de cette action, qui tend à la remise en état du domaine public, et son régime juridique, qui repose notamment sur l’imprescriptibilité de l’action, sont distincts de l’action répressive, et si un contrevenant peut très condamné sur l’action domaniale y compris en l’absence de condamnation sur l’action publique, les règles d’imputabilité du fait constitutif de la contravention sont en facteur commun aux deux actions.

Vous pourrez donc rejeter le pourvoi de VNF dans cette première affaire.

4. Reste le litige consécutif à l’émission par VNF de titres exécutoires à l’encontre des anciens propriétaires du Forez.

4.1. Les requérants soutiennent en premier lieu que la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit, d’insuffisance de motivation et de dénaturation en jugeant que les états exécutoires com- portaient toutes les mentions obligatoires, alors qu’aucune information ne leur avait été délivrée quant à la formule de calcul des indemnités mises à leur charge.

Vous contrôlez au titre de l’erreur de droit les catégories d’informations qui doivent figurer dans un titre exécutoire 24, sans préjudice d’un contrôle de dénaturation sur le caractère suffisant de la motivation.

En l’espèce, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, a rap- pelé à juste titre votre jurisprudence qui retient qu’un état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la dette et indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence à un document joint à l’état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge des redevables 25. Et elle a observé, sans dénaturer les pièces du dossier, que les deux titres restant en litige faisaient référence aux deux constats d’occupation sans titre établis le 28 avril 2017, régulièrement notifiés à Mme C… et M. B…, ces constats comportant le détail du calcul de l’indemnité d’occupation, qui n’était pas obscur.

4.2. Les requérants soutiennent en second lieu que la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit et d’insuffisance de motivation en jugeant que VNF avait légalement pu mettre à leur charge une indemnité majorée au titre d’une occupation sans droit ni titre du domaine public fluvial par un navire dont ils n’étaient plus propriétaires à la date de l’occupation en cause et dont ils n’avaient plus la garde.

Il est constant que les sommes dont le paiement a été réclamé aux intéressés comportaient deux parts, l’une correspondant à la redevance qu’ils auraient dû acquitter au titre d’une occupation régulière, l’autre à une majoration d’égal montant, prononcée en appli- cation de l’article L. 2125-8 du CGPPP, aux termes duquel : « Sans préjudice de la répression au titre des contraventions de grande voirie, le stationnement sans autorisation d’un bateau, navire, engin flottant ou établissement flottant sur le domaine public fluvial donne lieu au paiement d’une indemnité d’occupation égale à la redevance, majorée de 100 %, qui aurait été due pour un stationnement régulier à l’emplacement considéré ou à un emplacement similaire, sans application d’éventuels abattements ».

Cette majoration étant une sanction administrative ayant le caractère d’une punition, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel 26, le principe de responsabilité du fait personnel gouvernant la matière pénale, de la même façon qu’il justifie la relaxe des fins de la poursuite pour contravention de grande voirie, faisait obstacle à l’application de la majoration aux consorts C…-B…, qui avaient cédé le Forez et n’en avaient plus la garde, et ne pouvaient par conséquent être sanctionnés sur le fondement de ce texte.

La question qui subsiste porte sur la fraction proprement indemnitaire des titres exécutoires et c’est un point plus délicat.

Les requérants font valoir qu’ils ne pouvaient être astreints à un quelconque paiement dès lors que l’obligation de l’occupant irrégulier d’acquitter une indemnité s’inscrit dans une logique de réparation d’une faute qui, par construction, doit lui être personnellement imputable et ils rappellent à juste titre que votre jurisprudence en matière d’occupation irrégulière du domaine public retient que l’occupant sans droit ni titre commet une faute qu’il est tenu de réparer en versant au gestionnaire du domaine une indemnité représentative du montant de la redevance dont il aurait dû s’acquitter si l’occupation avait été autorisée 27.

Toutefois, dans le champ indemnitaire, et dès lors que disparaissent du paysage l’ensemble des principes applicables en matière répressive, nous croyons qu’il convient de s’en tenir, pour assurer le respect de l’exigence constitutionnelle de protection du domaine public, à une conception plus objective de la faute que constitue l’occupation irrégulière du domaine.

Il vous appartient tout d’abord de prendre en compte la difficulté qu’il y aurait, pour le gestionnaire domanial, à tirer les conséquences d’une occupation irrégulière par des bateaux dont il ne connaît pas le dernier propriétaire en date en l’absence de publicité donnée à l’acte translatif de leur propriété. VNF, notamment, n’est pas et n’a pas à être nécessairement informé de tous les actes sous seing privé constatant une vente de bateaux fluviaux.

Si l’accomplissement de la formalité de publicité est entre les mains de l’acquéreur du bateau, et non du vendeur, ce dernier peut facilement se prémunir contre l’éventuelle inaction de l’acquéreur en insérant dans le contrat de vente une clause stipulant que le transfert de propriété ne prendra effet qu’au jour de l’enregistrement de la mutation, à accomplir dans un délai déterminé. Il s’agit alors d’une vente à terme suspensif, des plus classiques en droit civil : les parties, tout en concluant la vente de manière définitive, conviennent de retarder le transfert de la propriété et des risques jusqu’à la survenance d’un événement futur, le terme suspensif, qui est ici un terme incertain au sens de l’article 1304 du code civil. Or on peut voir une faute d’imprudence dans le fait, pour un vendeur, de ne pas stipuler une telle clause, surtout quand ce vendeur, comme les requérants au cas présent, n’ignore pas que le navire vendu stationne irrégulièrement à son emplacement.

Nous relevons en troisième lieu que votre jurisprudence récente est orientée dans le sens d’une extension des possibilités de recouvrement des redevances ou indemnités d’occupation, plutôt que dans le sens d’une réduction de ces possibilités : voyez votre arrêt Commune de Cannes qui juge, dans l’hypothèse où l’occupation du domaine public procède de la construction sans autorisation d’un bâtiment, occupé par une personne autre que celle qui l’a édifié, que le gestionnaire du domaine public est fondé à poursuivre l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation irrégulière aussi bien auprès de la personne qui a construit le bâtiment ou qui a acquis les droits du constructeur, qu’auprès de la personne qui l’occupe, en mettant l’indemnité à la charge exclusive de l’un d’eux ou en en partageant le montant en fonction des avantages respectivement retirés de l’occupation par l’un et l’autre 28, à charge pour les intéressés d’engager toute action récursoire qu’ils jugeront opportune.

Nous observons également que le juge judiciaire semble appliquer à la lettre cette règle d’inopposabilité. Une cour d’appel a déjà jugé que les victimes d’un abordage étaient fondées à poursuivre l’ancien propriétaire du bateau fautif qui n’avait pas respecté les formalités de publicité au moment de la vente de son bateau 29. Plus récemment, et plus proche de notre affaire, la cour d’appel de Paris a jugé que l’acte de vente d’une péniche Freycinet n’était pas opposable au port autonome de Paris, gestionnaire du domaine public fluvial où stationnait la péniche, le port étant par conséquent fondé à obtenir la vente forcée de la péniche en règlement des indemnités d’occupation dues par le cédant 30.

Enfin, s’il existe un risque pour le cédant d’un navire qui n’aurait pas stipulé de condition suspensive d’être confronté à un acquéreur négligent ou malintentionné, l’intéressé n’est pas sans recours : il dispose de voies de droit, devant le juge civil, pour, d’une part, contraindre l’acquéreur, le cas échéant sous astreinte, à accomplir les formalités qui lui incombent et, d’autre part, exercer une action récursoire en responsabilité civile contre celui-ci afin qu’il le garantisse des montants acquittés auprès du gestionnaire domanial.

C’est donc à juste titre que les juges d’appel ont estimé que si la cession du Forez était parfaite entre les parties dès lors que celles- ci étaient convenues de la chose et du prix, cette cession n’était opposable à VNF qu’à compter de son inscription au registre tenu au greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation, quelles que soient les démarches y compris contentieuses, entre- prises par les consorts C…-B…. L’établissement public était donc fondé à mettre l’indemnité pour occupation sans titre à la charge de ces derniers, tout comme il aurait pu la mettre à la charge des nouveaux propriétaires, en se fondant sur le motif que ces derniers avaient la garde du navire, ou tout comme il aurait pu partager entre les premiers et les seconds la charge de l’indemnité – qu’il ne pouvait en revanche percevoir deux fois.

Vous n’annulerez donc ce second arrêt qu’en tant qu’il a statué sur la majoration, et le règlement au fond découle aisément de ce que vous aurez jugé au stade de la cassation sur ce point car c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté la de- mande de première instance contre les deux titres exécutoires du 20 juillet 2017, en tant qu’elle portait sur cette sanction, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier, notamment de l’ordonnance du juge des référés du TGI d’Amiens, que Mme C… et M. B… n’avaient plus la garde du navire, laquelle avait été transférée aux nouveaux propriétaires.

Par ces motifs, nous concluons :
– sous le n° 450097 : au rejet du pourvoi, y compris les conclusions présentées par VNF au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du CJA et à ce que l’établissement public verse une somme de 3 000 € à Mme C… et M. B… au titre de ces mêmes dispositions ; – sous le n° 443019 : à l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il a statué sur la majoration de 100 % de l’indemnité d’occupation sans titre, à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 novembre 2019 dans la même mesure et à ce que Mme C… et M. B… soient déchargés de l’obligation de payer les sommes de 3 323,60 € et 9 900,12 € correspondant au mon- tant des majorations, au rejet du surplus des conclusions du pourvoi, au rejet des conclusions des parties au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du CJA et à ce que vous disiez n’y avoir lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution.


EXTRAITS

● N° 450097
[…] 3. La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention.

[…] 5. La cour administrative d’appel de Marseille, après avoir relevé que la vente du bateau portant la devise Forez au profit de M. F… et de Mme A… était intervenue par acte du 23 septembre 2015, soit antérieurement à l’établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’alors même que les formalités prescrites par les dispositions précitées de l’article L. 4121-2 du code des transport, lesquelles incombent à l’acquéreur, n’avaient pas été accomplies, Mme C… et M. B…, qui avaient au demeurant effectué toutes démarches, y com- pris contentieuses, pour que les acquéreurs les accomplissent, ne pouvaient plus être regardés, à la date du procès-verbal, comme les personnes ayant commis l’infraction de stationnement sans autorisation, ni comme les personnes pour le compte desquelles cette infraction a été commise, ni comme les personnes ayant la garde du bateau, cause de la contravention. Par suite, Voies navigables de France n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. […]

● N° 443019
[…] 5. D’une part, dans l’hypothèse où le gestionnaire d’une dépendance du domaine public fluvial poursuit l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation sans titre de cette dépendance par un navire, il est fondé à mettre les sommes correspondantes à la charge soit de la personne qui est propriétaire de ce navire ou qui en a la garde, soit de la personne qui l’occupe, soit de l’une et de l’autre en fonction des avantages respectifs qu’elles ont retirés de l’occupation. Lorsque, par ailleurs, le navire a fait l’objet d’une cession sans que les formalités prévues par les dispositions précitées de l’article L. 4121-2 du code des transports aient été accomplies, de sorte que cette cession n’est pas opposable aux tiers, l’autorité gestionnaire du domaine est fondée à poursuivre l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation irrégulière de ce domaine auprès du cédant ou, si elle a connaissance de la cession, du cessionnaire.

[…] 12. Il résulte de l’instruction qu’ainsi qu’il a été dit, Mme C… et M. B… ont, par acte sous seing privé du 23 septembre 2015, cédé à Mme A… et M. G… le bateau portant la devise Forez, dont ils étaient propriétaires. Il en résulte qu’ils ne peuvent être regardés ni comme les personnes ayant commis l’infraction résultant du stationnement sans autorisation de ce navire sur le domaine public fluvial, ni comme les personnes pour le compte desquelles cette infraction a été commise, ni comme ayant la garde du navire, cause de l’infraction. Par suite, la majoration de 100 % prévue par l’article L. 2125-8 du code général de la propriété des personnes publiques ne pouvait légalement être mise à leur charge. […]

1 CE, 12 mars 2021, n° 448007 : Lebon, T. ; Dr. Voirie, p. 76.
2 CE, 24 juin 2021, n° 448417, Min. justice : Lebon, T. sur ce point.
3 C. route, art. R. 322-4 et R. 322-5.
4 CE, 10 mars 2020, n° 430550 et 430624, Sté Libb 2 et a. : Lebon, p. 85 ; Dr. Voirie 2020, p. 62, nos concl.
5 Cette condamnation se rattachant aux frais de remise en état du domaine : CE, 20 avr. 1984, n° 47906, Min. de la mer : Lebon, T. p. 618.
6 JO 7 juill. 1917.
7 D. n° 56-1033n 13 oct. 1956.
8 L. n° 64-1245, 16 déc.1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, art. 28.
9 CE, sect., 22 mai 1936, n° 47017 : Lebon, p. 590.
10 CAA Paris, 25 avr. 1995, n° 93PA01361.
11 CAA Marseille, 13 mars 2002, n° 10MA02091, aux concl. contraires de S. Deliancourt : JCP A 2012, comm. 2183.
12 CE, 25 oct. 2017, n° 392578 : Lebon, p. 332 ; Dr. Voirie 2018, p. 40, nos concl.
13 CE, 10 mars 2020, no430550 et 430624, préc.
14 CE, 27 févr. 1998, n° 169259, Ministre de l’équipement : Lebon, p. 66, concl. J. Arrighi de Casanova.
15 CE, 19 sept. 2018, n° 415044, Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs : Lebon, T. p. 682-812 ; Dr. Voirie 2019, p. 28, nos concl.
16 CE, 9 nov. 2011, n° 341399 : Lebon, T. p. 925, concl. N. Escaut.
17 CE, 31 déc. 2008, n° 301378, SCI du Cap : Lebon, T. p. 736 ; 29 oct. 2012, n° 341357 : Lebon, T. p. 748.
18 CE, 18 juill. 1973, n° 87887, Min. des postes c/ Entreprise Maugy : Lebon, p. 533.
19 CE, 20 janv. 1988, n° 80624, Secrétaire d’État chargé des postes et télécommunications c/ Sté Zub : Lebon, T. p.780.
20 Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, consid. 7.
21 À moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu’il n’apporte tous éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction.
22 CE, sect., 5 juill. 2000, n° 207526, Min. équipement : Lebon, p. 294, concl. J. Arrighi de Casanova.
23 CE, sect., 12 févr. 1965 : Lebon, p. 109.
24 CE, 25 sept. 2009, n° 301909 : Lebon, T. p. 680-681-739-922 ; 22 juil. 2015, n° 367567, Sté Halliburton Manufacturing and Services France : Lebon, T. sur un autre point.
25 CE, 5 nov. 2003, n° 224941, 224942, Coopérative des agriculteurs de la Mayenne et Coopérative laitière Maine Anjou : Lebon, p. 437.
26 Cons. const., 27 sept. 2013, n° 2013-341 QPC, consid. 5.
27 CE, sect., 25 mars 1960, n° 44533, SNCF c/ Dame Barbey : Lebon, p. 222 ; 15 avr. 2011, n° 308014, SNCF : Lebon, T. p. 923 ; 11 févr. 2013, n° 347475, Voies navigables de France.
28 CE, 15 mars 2017, n° 388127 : Lebon, T. p. 599 sur ce point, à nos concl.
29 CA Bordeaux, 9 nov. 1971 : DMF 1972, p. 94.
30 CA Paris, 8 avr. 2011, n° 09/28954, Sté Port autonome de Paris.

Romain Victor
Rapporteur public