Renoncer certes, mais encore faut-il savoir à quoi !

Cours & Tribunaux

CE, 13 sept. 2021, n° 439653 et n° 439675, Commune de Dourdan et SNC Dourdan Vacances : Lebon, T.

S’il est loisible à une commune cédant avant terme un terrain donné à bail emphytéotique de renoncer à l’acquisition des constructions édifiées par l’emphytéote, il appartient au conseil municipal d’apprécier si cette renonciation respecte le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé.

CONCLUSIONS

1. Parce qu’il a été créé en vue de la mise en valeur des immeubles ruraux, le bail emphytéotique est régi par les dispositions du titre V du livre IV du code rural et de la pêche maritime, même s’il s’applique aussi bien en milieu urbain. Il s’agit d’un bail à long terme, consenti pour 18 ans au moins et 99 ans au plus, qui ne se prolonge pas par tacite reconduction. La redevance annuelle stipulée au profit du bailleur, également appelée « canon », est souvent modeste car les améliorations que le preneur est généralement tenu d’apporter au fonds loué, les- quelles peuvent prendre la forme de constructions à implanter, ont vocation, sauf convention contraire des parties, à revenir sans indemnité au bailleur à l’expiration du bail 1. En contrepartie, le preneur devient titulaire d’un droit réel librement cessible et profite du droit d’accession pendant la durée de l’emphytéose.

C’est ce qui conduit le juge judiciaire à considérer qu’en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique d’un terrain don- né à bail à construction en vertu d’un contrat prévoyant la remise des constructions au bailleur en fin de bail, deux indemnités doivent être versées : l’une au preneur, au titre de la perte de la propriété des constructions édifiées par lui sur le terrain loué « pendant la durée contractuelle du bail » ; l’autre au bailleur, au titre de la perte de la propriété de ces biens lui revenant en fin de bail 2.

C’est également ce qui a conduit la Cour de cassation à juger que la valeur locative est parfaitement étrangère à l’économie du contrat de bail emphytéotique, la contrepartie de la jouissance du preneur étant, pour le bailleur, non le paiement d’un loyer, mais l’absence de droit au renouvellement combinée à l’accession sans indemnité en fin de bail de tous travaux et améliorations faits par le preneur 3.

Si l’on envisage maintenant le cas d’un bailleur cédant à son locataire l’immeuble qu’il lui loue avant l’expiration du contrat de bail emphytéotique, on observe que la vente entraîne la confusion des droits locatifs et de propriété et, par suite, l’extinction du bail, du fait de la réunion des qualités de créancier et de débiteur d’une même obligation dans la même personne, ainsi que le prévoit l’article 1349 du code civil.

L’analyse la plus conforme au droit civil est qu’en pareille situation, les constructions édifiées par le preneur ne transitent pas par le patrimoine du bailleur, fût-ce un instant de raison, au moment de la vente. Ces constructions, dont le preneur était seul propriétaire au cours de l’emphytéose, demeurent dans son patrimoine, à titre permanent désormais.

Nous rappelons qu’en matière fiscale, cette question a donné lieu à une controverse entre les deux ordres de juridiction. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans des litiges en matière de droits d’enregistrement, s’en est tenue à l’analyse civiliste 4, tandis que vous avez jugé, « au regard de loi fiscale », c’est-à-dire en vous appuyant sur l’autonomie du droit fiscal, que dans le cas de la vente, avant le terme du bail à construction, par le bailleur au profit du preneur du terrain faisant l’objet de ce bail, le contrat de cession produit, pour l’ensemble des parties, les mêmes effets qu’une résiliation amiable tacite du bail et doit être regardé comme impliquant la remise des immeubles au bailleur préalablement à la vente desdits immeubles au preneur, les constructions faisant donc un trajet aller-retour fictif du patrimoine du preneur vers le patrimoine du bailleur puis du patrimoine du bailleur vers celui du preneur 5.

La question – non fiscale – que pose le litige est différente : elle consiste à déterminer le juste prix ou l’exacte contrepartie de la vente d’une dépendance du domaine privé d’une personne publique qui fait l’objet d’un bail emphytéotique, lorsque l’emphytéote s’en porte acquéreur avant la fin du bail et que le bailleur renonce ainsi au droit d’accession sur les constructions édifiées par le preneur, dont il aurait normalement bénéficié à la fin du bail.

Le bailleur n’étant pas propriétaire des constructions édifiées par l’emphytéote, la vente ne peut porter que sur le terrain d’assiette qui avait été donné à bail, toute vente de la chose d’autrui étant nulle en vertu de l’article 1599 du code civil.

Le bailleur ne peut davantage être regardé comme cédant à l’emphytéote le droit d’accession qu’il aurait exercé au terme du bail.

Il nous semble plus exact de dire que la vente dénoue le bail, par l’effet de la confusion dans la personne de l’emphytéote de la double qualité de propriétaire et de locataire, de sorte que la renonciation à l’accession par le bailleur, qui était cantonnée à la durée du bail et n’était donc que temporaire, devient alors définitive.

Nous pensons que cette renonciation définitive, consubstantielle à la vente, ouvre normalement droit à indemnité au profit du bailleur car, nous l’avons dit, la remise gratuite des constructions en fin de bail constitue l’élément essentiel de la rémunération due par l’emphytéote, lequel se voit au demeurant interdire de détruire les constructions qui améliorent le fonds 6 et se trouve tenu d’effectuer les réparations de toute nature, y compris les grosses réparations, sur les constructions qu’il a édifiées 7.

Bref, la valeur vénale du terrain d’assiette ne saurait constituer la seule mesure des sommes que le bailleur doit recevoir lors de la vente.

Aussi, lorsque le bailleur est une personne publique et que le projet de vente est soumis au service des Domaines, nous pen- sons que cet avis devrait également éclairer la personne publique sur ce à quoi elle renonce, ce qui implique, concrètement, de connaître la valeur des constructions édifiées, eu égard à leur superficie, leur destination, leur situation, la qualité de la construc- tion et leur état d’entretien, et de tenir compte de la plus ou moins grande proximité de la date de fin du bail.

De même, si la décision de vendre est contestée par un tiers, nous pensons qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier la légalité de l’acte administratif autorisant la vente, de vérifier que le prix stipulé tient compte de la renonciation par la personne publique à exercer le droit d’accession qu’elle tire du contrat et que la décision d’éteindre le bail sans accession a été prise en toute connaissance de cause par l’autorité compétente, à la lumière de l’avis des Domaines et en tenant compte de la durée restant à courir du bail. L’affaire appelée vous donne l’occasion de poser clairement ces règles, pour la première fois.

2. Située tout à fait au sud de la région Île-de-France, dans le département de l’Essonne, la commune de Dourdan était propriétaire au lieu-dit Normont d’un ensemble de terrains en nature de prés et de bois, d’une superficie d’un peu plus de 10 hectares, qu’elle a donnés à bail emphytéotique, pour une durée de soixante ans à compter du 1er janvier 1962, à la société civile immobilière (SCI) Dourdan Vacances, filiale de la société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations, moyennant une redevance annuelle de dix francs, en vue de la construction puis de l’exploitation et de l’entretien d’un village de vacances selon le concept des « Villages Vacances Famille » développé à compter de 1959 par la Caisse des dépôts et consignations, les fédérations de tourisme populaire et la Caisse nationale des allocations familiales, dans un cadre associatif.

Le centre de vacances a été construit en 1963, étendu en 1984 et partiellement rénové en 2000. Il comprenait un pavillon central en forme de « L » composé de 50 chambres, 24 bâtiments d’hébergement indépendants composés de 7 chambres, soit 168 chambres supplémentaires, un chalet à usage de salle de réunions et de séminaires, des bâtiments annexes, une piscine, des terrains omnisports, deux terrains de tennis, un site de tir à l’arc, un terrain de pétanque, un mini-golf et des emplacements de stationnement.

Conformément au droit commun du bail emphytéotique, le contrat de bail stipulait qu’à l’expiration du bail, soit au 1er janvier 2022, la commune deviendrait de plein droit propriétaire des constructions édifiées par le preneur, sans indemnité pour celui-ci.

Au cours de l’exécution du contrat, la SCI preneuse est devenue, au début des années 2000, filiale de la société anonyme VVF- Vacances, lors de la scission du groupe associatif en deux pôles marchand et non-marchand. La SA VVF-Vacances a pris le nom Belambra Clubs en 2008. C’est à cette période que la SCI, trans- formée en société en nom collectif (SNC) en 2006, et son actionnaire ont conçu le projet d’une rénovation complète du site, afin d’en renforcer l’attractivité. Ces sociétés ont toutefois conditionné la réalisation des investissements à la cession par la commune de l’ensemble immobilier pris à bail. Elles ont par conséquent soumis à la commune de Dourdan une offre d’achat et, après négociation entre les parties et au vu de l’avis du service des Domaines, le conseil municipal de Dourdan a, par une délibération du 30 septembre 2010, approuvé la vente à la société Dourdan-Vacances ou à la société qui s’y substituerait des par- celles formant l’assiette du club de vacances 8, au prix d’un million d’euros. Une promesse de vente a été signée le 25 novembre 2010 et la vente a été réitérée par acte authentique du 15 décembre 2010.

Cette cession n’a pas été du goût de M. B. Cet habitant de Dourdan, président et fondateur de l’Association des contribuables du dourdannais en Hurepoix, constituée pour les besoins de la cause en février 2011 et élu conseiller municipal d’opposition en 2014, a demandé l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération autorisant la vente au tribunal administratif de Versailles, qui a rejeté sa demande par un jugement du 29 septembre 2015, confirmé par un arrêt du 29 décembre 2016 de la cour administrative d’appel de Versailles.

Vous avez toutefois accueilli le pourvoi de M. B. contre cet arrêt par une décision de votre 8e chambre du 28 février 2018. Alors que les juges d’appel avaient estimé que le service des Domaines, dans les deux avis qu’il a émis le 4 décembre 2009, avait « bien pris en compte, dans son estimation, la valeur des constructions existantes », vous avez relevé que ces avis ne comportaient aucune description des installations et constructions édifiées sur les parcelles en cause et se bornaient à estimer la valeur du seul terrain d’assiette, ce qui vous a conduit à annuler l’arrêt pour dénaturation.

L’affaire a été renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles qui s’est prononcée par un arrêt, coté C+, du 21 janvier 2020, par lequel elle a annulé le jugement du tribunal administratif de Versailles, ensemble la délibération du conseil municipal de Dourdan du 30 septembre 2010 contestée par M. B.

3. La cour a commencé par citer les termes du troisième alinéa de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, selon lequel toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune qui, comme Dourdan, compte plus de 2 000 habitants, donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles, au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’État.

Elle a ensuite rappelé les termes de votre arrêt de section Commune de Fougerolles 9, selon lequel la cession par une commune d’un terrain à une personne privée pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé, lorsque la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

Elle a complété ce motif par les indications fournies par votre décision Commune de Châtillon-sur-Seine 10 quant à la méthode à suivre par le juge, qui se déroule en trois étapes :
– celui-ci doit, tout d’abord, rechercher si la vente à un prix inférieur à la valeur du bien cédé est justifiée par des motifs d’intérêt général ;
– si tel est le cas, il lui appartient ensuite d’identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c’est-à-dire les avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, cette cession est susceptible de lui procurer, et de s’assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ;
– enfin, par une appréciation souveraine, le juge doit estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé.

Ceci étant rappelé, la cour a observé que les avis des Domaines évaluant les parcelles à 994 000 € ne comportaient aucune estimation de la valeur des installations et des constructions édifiées par le preneur sur les terrains donnés à bail ni aucune estimation de la renonciation de la commune à devenir propriétaire des constructions et installations. Elle a alors jugé :
– d’une part, qu’en approuvant la vente pour un million d’euros, « soit sensiblement l’estimation retenue par le service des Domaines des seuls terrains sans les constructions existantes », la commune n’avait pas pris en compte la valeur de ces constructions devant devenir sa propriété à l’issue du bail emphytéotique et devait par conséquent être regardée comme ayant cédé à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur ;
– d’autre part, que la cession à un prix inférieur à la valeur vénale était illégale faute d’être justifiée par aucun motif d’intérêt général, ce qui a dispensé la cour de se prononcer sur l’existence, l’effectivité et la suffisance des contreparties.

C’est contre cet arrêt que la commune de Dourdan et la SNC Dourdan-Vacances se sont respectivement pourvues en cassation sous les deux numéros appelés.

4. Nous pensons que vous devrez accueillir leurs pourvois car l’arrêt est hélas entaché d’une double erreur de raisonnement – nous disons hélas car nous partageons pour l’essentiel la solution qu’il retient.

● La cour a inféré l’existence d’une vente consentie à un prix inférieur à la valeur vénale du seul constat que les constructions n’étaient pas valorisées dans les avis des Domaines et dans la délibération attaquée. Or il nous semble qu’en toute rigueur, elle ne pouvait partir de l’idée que les constructions devant être remises à la commune le 1er janvier 2022 auraient nécessairement eu, à cette date, une valeur positive pour la commune.

L’article 6 du bail emphytéotique conclu en 1966 stipule qu’à l’expiration du bail, la commune reprendra le terrain « dans l’état où il se trouvera après les changements nécessités par l’implantation des constructions et aménagements » et que « cette reprise sera faite sans avoir à verser d’indemnité à la société preneuse (…) ni pouvoir lui en réclamer à raison des dommages ou trans- formations subis par le terrain pour les nouvelles implantations ».

S’il est vrai que le preneur est tenu à une obligation d’entretien des constructions édifiées, la cour ne pouvait, en l’absence de tout élément à son dossier, présupposer que la valeur, à l’expiration du bail, de l’ensemble formé par le terrain d’assiette et les constructions, était nécessairement supérieure à la valeur du seul terrain d’assiette, alors que les constructions à remettre « en l’état » pouvaient appeler des travaux importants.

● Surtout, la cour s’est livrée à une curieuse opération mathématique car elle a, en quelque sorte, placé un signe égal entre 994 000 € et 1 000 000 €, c’est-à-dire entre la valeur retenue par les Domaines et le prix stipulé, en retenant que ce prix était « sensiblement l’estimation retenue par le service des Domaines ». Or, après avoir identifié un écart, certes faiblement positif, entre le prix stipulé et l’estimation administrative, il lui appartenait de rechercher si la commune intention des parties n’était pas d’évaluer à ce montant-là – 6 000 € – la renonciation par la commune de Dourdan à accéder aux constructions devant lui revenir gratuitement à la fin de l’emphytéose.

5. Après cassation, il vous reviendra de régler l’affaire au fond, s’agissant d’un second pourvoi dans la même affaire. Vous vous retrouvez saisis de l’appel de M. B. contre le jugement du tribunal de Versailles du 29 septembre 2015 ayant rejeté sa demande d’annulation.

L’un des moyens de procédure soulevés par l’intéressé justifie, à la lumière des considérations que nous avons exposées en introduction, l’annulation de la délibération du 30 septembre 2010 du conseil municipal de Dourdan autorisant la vente et, par suite, l’annulation du jugement dont il est relevé appel.

Ce moyen est tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales qui prescrivent que, dans les communes de 3 500 habitants et plus (Dourdan en comptait en 2010 un peu moins de 10 000), une note explicative sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal.

Vous jugez que le défaut d’envoi de cette note comme son insuffisance entachent d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Vous avez précisé que cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux conseillers municipaux d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions 11.

Cette irrégularité toutefois est « danthonysable » : votre décision SFR et autres du 17 juillet 2013 12 invite ainsi le juge, pour appré- cier si la méconnaissance de l’obligation prévue par l’article L. 2121-12 a été de nature à entacher d’illégalité la décision prise, à rechercher si le manquement a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie.

En l’espèce, si la note explicative de synthèse adressée aux conseillers municipaux mentionnait que le bail emphytéotique conclu avec la SNC Dourdan-Vacances était d’une durée de soixante ans à compter du 1er janvier 1962 et signalait qu’à l’expiration du contrat, le bâti devait revenir en pleine propriété à la commune, elle ne comportait aucun élément per- mettant aux conseillers intéressés d’apprécier la valeur de la renonciation de la commune à devenir propriétaire des constructions, alors que les avis émis le 4 décembre 2009 par le service des Domaines se bornaient à évaluer le terrain d’assiette du club de vacances et ne comportaient aucun élément permettant d’apprécier la portée financière de cette renonciation à partir, notamment, de la valeur des bâtiments construits par la SNC Dourdan-Vacances. Il était dans ces conditions impossible pour les membres de l’assemblée délibérante de savoir si l’écart de 6 000 € entre le prix stipulé et l’évaluation administrative constituait la juste indemnisation de la renonciation par la commune au droit d’accession qu’elle tenait du contrat de bail.

Ce motif justifie l’annulation de la délibération, sans qu’il soit besoin de poursuivre le raisonnement jusqu’à la question aval, qui se rattache à la légalité interne, de savoir si la cession par une commune d’un terrain à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un prix inférieur à sa valeur était justifiée par des motifs d’intérêt général et comportait des contreparties suffisantes et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement.

Nous observons enfin que l’irrégularité dont la délibération attaquée était entachée est théoriquement susceptible de régularisation sur le fondement de votre jurisprudence Commune de Divonne-les-Bains 13, la commune de Dourdan pouvant ainsi, eu égard au motif d’annulation, adopter un nouvel acte d’approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l’acte annulé, mais à la condition toutefois que l’analyse menée sur la valeur de sa renonciation à exercer son droit d’accession confirme que celle-ci n’excédait pas l’écart entre le prix stipulé et l’évaluation du terrain d’assiette telle qu’elle avait été fixée par le service des Domaines. Mais à la différence du cas qui était celui de l’affaire Commune de Levallois-Perret de 2015 14, il nous semble qu’un nouvel avis du service des Domaines est dans notre cas nécessaire.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation de l’arrêt attaqué, à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles, à l’annulation de la délibération du conseil municipal de Dourdan du 30 septembre 2010 ainsi que de la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. B., à ce que la commune et la SNC Dourdan-Vacances versent une somme globale de 3 000 € à M. B. au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et au rejet des prétentions de la commune et de la société à ce titre.


EXTRAITS

3. La cession par une commune d’un bien immobilier à des personnes privées pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

4. La cour a relevé que le prix de cession retenu pour les « terrains » en cause était de « 1 000 000 euros », soit « sensiblement l’estimation retenue par le service des domaines pour les seuls terrains sans les constructions existantes ». Elle en a déduit que la délibération attaquée n’avait pas pris en compte la valeur de ces constructions devant devenir la propriété de la commune à l’issue du bail emphytéotique, et qu’elle avait par conséquent conduit la commune à céder à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur, sans que cet écart de prix ne soit justifié par un motif d’intérêt général. En statuant ainsi, alors que l’estimation du service des domaines retenait pour les terrains nus une valeur de 994 000 euros, inférieure au prix de 1 000 000 euros approuvé par le conseil municipal, sans rechercher si ce dernier pouvait être regardé, eu égard aux termes de la délibération attaquée et aux coûts de rénovation et de remise aux normes des constructions inhérents à la poursuite de leur exploitation, comme ayant implicitement entendu valoriser à hauteur de 6 000 euros la renonciation de la commune à en devenir propriétaire, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

5. La commune de Dourdan et la société Dourdan Vacances sont, par suite, fondées à demander l’annulation, pour ce motif, de l’arrêt qu’elles attaquent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leurs pourvois.

[…] 9. L’article 6 du contrat de bail emphytéotique conclu le 30 avril 1966 entre la commune de Dourdan et la SNC Dourdan vacances stipulait qu’à l’expiration de ce bail, la commune acquerrait la propriété des constructions édifiées par l’emphytéote sans avoir à lui verser d’indemnité. S’il était loisible à la commune de renoncer à ce droit, le conseil municipal, auquel il incombait de vérifier si le projet de vente respectait le principe, rappelé au point 3, selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé, ne pouvait délibérer sans prendre en compte la valeur d’une telle renonciation.

10. Il résulte de l’instruction que si la note explicative de synthèse adressée aux membres du conseil municipal indiquait que le bail emphytéotique conclu avec la société Dourdan- Vacances était d’une durée de soixante ans à compter du 1er janvier 1962 et précisait qu’à l’expiration du contrat, le bâti devait revenir en pleine propriété à la commune, elle ne comportait aucun élément permettant d’apprécier la valeur de la renonciation à ce droit, les avis émis par le service des domaines ne comportant par ailleurs aucun élément à cet égard et se bornant à évaluer les terrains d’assiette. Dans ces conditions, les membres du conseil municipal n’ont pas été mis à même d’apprécier si la différence entre le prix envisagé et l’évaluation fournie par le service des domaines pouvait être regardée comme représentative de l’indemnité due à la commune pour sa renonciation au droit d’accession et, par suite, si la commune pouvait être regardée comme n’ayant pas cédé un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… est fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, et contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Versailles, à demander l’annulation de la délibération du conseil municipal de la commune de Dourdan du 30 septembre 2010 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux. […]

1 Cf. Cass. 3e civ., 12 oct. 1994, n° 92-15.274, Sté du Pont Long c/ Syndicat du Haut Ossau : Bull. civ. III, n° 175 ; 5 déc. 2001, n° 99-20.871 : Bull. civ III, n° 142.
2 Cass., 3e civ., 31 mars 2004, n° 02-15.754, SCI Lemoine c/ Sté Inter Coop. : Bull. civ. III, n° 66.
3 Cass., 3e civ., 8 sept. 2016, n° 15-21.381, 15-22.374, X. et a. c/ Sté Cannes Balnéaire : Bull. civ. III, n° 101 ; RJDA 2016, n° 772.
4 Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-18.978, DGFiP c/ X : RJF 2012, n° 958 ; 4 déc. 2012, n° 11-25.958, Sté Fuxedis c/ DGFiP : Bull. civ. IV, n° 218 ; RJF 2013, n° 358.
5 CE, 27 févr. 2013, n° 350663, Sté armoricaine d’entretien naval : Lebon, T. pp. 563-568 : Dr. fisc. 2013, n° 20, comm. 278, note critique J.-P. Maublanc ; RJF 2013, n° 464, concl. N. Escaut ; BDCF 2013, n° 50.
6 C. rur., art. L. 451-7. 7 C. rur., art. L. 451-8.
7 C. rur., art. L. 451-8.
8 Parcelles cadastrées section AV n° 7 à 32 et AV n° 43, 57, 59, 71, 77 et 78, d’une superficie totale de 10 ha 40 a et 57 ca.
9 CE, sect., 3 nov. 2017, n° 169473 : Lebon, p. 391.
10 CE, 14 oct. 2015, n° 375577 : Lebon, p. 344.
11 CE, 14 nov. 2012, n° 342327, Cne de Mandelieu-la-Napoule : Lebon, T. pp. 602-603.
12 CE, 17 juill. 2013, n° 350380, 380381, 350397, 350403 : Lebon, T.
13 CE, 8 juin 2011, n° 327515 : Lebon, p. 278.
14 CE, 10 avr. 2015, n° 370223 : Lebon, T. pp. 545-748-822.

Romain Victor
Rapporteur public