Chroniques & Opinions
Le code général de la propriété des personnes publiques a substitué l’exigence d’un aménagement indispensable à celle d’un aménagement spécial comme critère du domaine public immobilier artificiel. Une incertitude porte sur le point de savoir si des biens aménagés avant leur acquisition intègrent automatiquement le domaine public.
On a déjà tant disserté en doctrine sur les qualités requises de l’aménagement pour qu’un immeuble fasse partie du domaine public (du « spécial » à l’« indispensable », en supposant que ce soit différent) qu’il faut éprouver de gros scrupules à y revenir une nouvelle fois. Et pourtant…
Observons d’abord que certaines décisions exigent bien davantage que le texte de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, pour n’admettre la domanialité publique qu’en cas d’aménagement directement1, voire spécifiquement2 lié à l’exploitation du service. Ceci a pour effet de placer dans le domaine privé un certain nombre de biens aménagés de manière incontestablement adéquate en vue de l’exécution de missions de service public.
Un second élément d’incertitude, qui n’est pas sans lien étroit avec le précédent, porte sur le fait de savoir si, quand une personne publique acquiert un bien déjà aménagé, pareille qualité entraîne une incorporation automatique au domaine public ou s’il faut en plus un « sur-aménagement » effectué par le propriétaire public (s’ajoutant donc à celui précédant le transfert de propriété). On notera l’ombre de contradictions prétoriennes sur ce point, important puisque se trouve en jeu un indice d’érection en activité de service public de la mission à laquelle le bien va être affecté.
Dans certains cas, l’absence de réalisation de nouveaux aménagements s’ajoutant à ceux qui existent avant l’acquisition publique est mobilisée pour dénier l’affectation à un service public ; dans d’autres, un bien pré-aménagé est ipso facto happé par le domaine public. Et cette divergence se manifeste parfois devant les mêmes juridictions, dans des arrêts que la chronologie rapproche dangereusement, comme le montre l’actualité jurisprudentielle des derniers mois. Ainsi, un hôtel ne fait pas partie du domaine public faute d’affectation au service public du tourisme, dès lors qu’il n’a fait l’objet d’aucun aménagement particulier après son acquisition par la ville de Biarritz3. Mais si l’on remonte de la côte basque vers la Charente, des parcelles qui supportent des équipements pour la pratique du tir sont automatiquement incorporées au domaine public à compter de leur acquisition par la commune d’Angoulême, leur maintien valant aménagement pour l’exécution d’une mission de service public de « l’éducation sportive, notamment pour les enfants des écoles » [sic]4.
Il y a là un flottement ennuyeux. La seule consolation pour les collectivités et leurs conseils – elle est maigre – tient à ce que sur le sujet, le juge administratif ne paraît pas avoir les idées plus claires qu’eux.
1 CE, 17 juin 2015, n 382692, B. c./ Cne Ploërmel : AJCT 2015, p. 601, obs. Josselin et Logéat ; Contrats-marchés publ. 2016, chron. 2, n 9, obs. Llorens et Soler-Couteaux.
2 T. confl., 22 oct. 2007, n C3625 : Lebon, p. 607 ; AJDA 2008, p. 1145, tude Canedo-Paris ; BJCL 2008, p. 276, concl. Duplat ; GADE 2017, comm.
3, obs. Naim-Gesbert ; GDDAB, 3e d., 2018, comm. 75, obs. Chamard-Heim – CE, 28 avr. 2017, n 400054, Région Centre-Val de Loire : Contrats-marchés publ. 2017, comm. 198, obs. Pietri. 3 CAA Bordeaux, 2 nov. 2021, n 19BX03590, A. et D. c./ Cne Biarritz et St Socomix : AJDA 2022, p. 84, note Le Bris ; Contrats-march s publ. 2022, comm. 21, note Eckert ; Dr. Voirie 2022, p. 25, obs. Roux ; JCP A 2022, n 2014, obs. Roux.
4 CAA Bordeaux, 17 févr. 2022, n 20BX00232, Assoc. Stand angoumoisin.

Philippe Yolka
Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes (CRJ)