Décryptage
En dépit des critiques dont ils font régulièrement l’objet, les lotissements contribuent à assouvir les besoins des Français en logement individuel. Les articles R. 442-7 et R. 442-8 du code de l’urbanisme invitent le lotisseur à déterminer, si possible dès le dépôt de la demande de permis d’aménager, le statut des voies, terrains et équipement communs qui y prennent place 1. Ceux-ci doivent être
soit appropriés par une association syndicale de propriétaires, soit être cédés aux acquéreurs de lots, soit, enfin, être transférés à la commune ou à l’Epci compétent. C’est cette dernière hypothèse, celle d’une rétrocession des voies et équipements à une collectivité publique, qui fait l’objet des lignes qui suivent.
Le statut patrimonial de ces biens alimente le débat qui oppose les partisans de la privatisation des espaces collectifs 2 aux tenants d’une plus grande « publicisation » du lotissement, justifiée par les avantages financiers et juridiques qu’offre aux lotis cette conception plus sociale. Le transfert des voies et/ou des équipements communs s’inscrit dans cette seconde tendance, sans être d’ailleurs le seul phénomène à la traduire 3.
Au plan technique, ce transfert prend des formes diverses. Les procédés non spécifiques au droit des lotissements – expropriation 4, application de la législation sur les biens vacants et sans maître aux parcelles appartenant antérieurement à une association syndicale dissoute 5–, seront ici écartés au profit exclusif des opérations spécifiques de transfert, à propos desquelles nous tenterons de répondre aux principales questions.
? Peut-on espérer au XXIe siècle une conception de ce domaine déconnectée de celle de l’époque de la monarchie ?
Absence d’obligation pour la commune. Le transfert d’équipements communs dans le patrimoine de la commune ou de l’Epci compétent est, du point de vue de ces per- sonnes publiques, affaire d’opportunité. Aucune collectivité publique ne peut être contrainte d’accueillir ces biens dans son patrimoine, à la fois parce qu’elles bénéficient d’une certaine liberté de gestion 6, mais aussi parce que s’applique le cas échéant la règle selon laquelle « l’intégration à la voirie routière est toujours une faculté » 7. Ceci n’empêche pas toute partie intéressée d’actionner la responsabilité d’une commune ayant refusé de procéder au transfert des voies d’un lotissement dans son domaine public dès lors qu’avait été conclue une convention contenant un engagement formel en ce sens 8.
Il n’existe pas davantage d’interdiction a priori d’accepter le transfert : ni le mutisme du permis d’aménager sur ce point 9, ni l’absence de conclusion de la convention à laquelle l’article R. 442-8 du code de l’urbanisme invite les parties ne sauraient empêcher la réalisation d’un transfert ultérieur. De leur côté, les colotis ou acquéreurs des lots ne peuvent s’opposer à la cession si elle a fait l’objet d’une convention spécifique ou, plus généralement, si elle est mentionnée dans le cahier des charges du lotissement 10.
Avantages du transfert. Du point de vue de la commune ou de l’Epci compétent, le transfert des espaces communs ou des seules voies de circulation présente l’avantage d’unifier la gestion. Mais c’est surtout pour les acteurs privés que le transfert est avantageux. Tout d’abord, l’engagement de transférer les espaces communs pris au moment du dépôt de dossier de l’autorisation de lotir exempte le lotisseur de prévoir la création d’une association syndicale (C. urb., art. R. 442-7 et R. 442-8). De plus, le coût lié à l’entretien de ces biens sera mis à la charge de la collectivité publique. De même, la responsabilité pour les dommages causés du fait de ces ouvrages devenus publics incombera désormais à la collectivité publique en vertu du régime dérogatoire de responsabilité que l’on connaît, et rem- placera les règles complexes qui régissent les dommages liés aux voies privées affectées à la circulation publique 11. Notons enfin que la transmission à une commune ou à un Epci de la propriété des voies ouvertes à la circulation ne durcira pas les règles de police car l’application de la police de la circulation et du stationnement est indifférente au caractère public ou privé des biens sur lesquels elle porte (v. CGCT, art. L. 2213-1 à L. 2213-6-1 et CGCT, art. L. 5211-9-2 concernant le transfert de cette compétence à l’Epci-FP). La reconnaissance par le juge administratif de l’intérêt à agir des riverains pour contester la décision préfectorale de refus de transfert d’office 12 corrobore l’idée selon laquelle ce sont les administrés qui ont le plus à y gagner ; la même analyse s’applique à la qualification d’acte créateur de droit de la délibération non-réglementaire du conseil municipal décidant d’intégrer au patrimoine communal le réseau routier et l’éclairage public d’un lotissement et répondant à l’offre de cession de ces réseaux à la commune avancée par les copropriétaires du lotissement 13.
? Quand transférer les voies et équipements communs ?
Le transfert des voies et équipements publics à la commune ou à l’Epci peut être décidé avant même que ne soit délivré le permis d’aménager ou après la réalisation des travaux.
Avant le permis d’aménager. L’obligation faite au lotisseur, au moment de la demande de permis d’aménager, de s’engager à créer une association syndicale regroupant les acquéreurs de lots et destinée à gérer les terrains et équipements communs (C. urb., art. R. 442-7) cède lorsqu’il décide de transmettre ces derniers aux propriétaires des lots (en indivision, en pleine propriété grevée de servitudes ou en copropriété) 14, ou encore – et c’est l’hypothèse qui nous intéresse – lorsqu’il justifie de la conclusion avec la commune ou l’Epci compétent d’une convention prévoyant le transfert dans leur domaine de la totalité des voies et espaces communs une fois les travaux achevés. Les lotisseurs sont invités à engager incessamment les négociations préliminaires afin d’assurer la sécurité juridique de l’opération et de permettre aux lotis de savoir à l’avance s’il leur faudra assumer la gestion des espaces et équipements communs ou si le transfert de ces derniers à la commune les en exemptera 15. La cession déclenche l’application du régime des travaux et ouvrages publics. Certes, des travaux réalisés par et pour le compte du lotisseur, personne privée, sont, en principe, de nature privée 16, quand bien même ils présentent un caractère d’intérêt général et sont prescrits par l’administration qui en contrôle l’exécution 17 ; mais, réalisés par le lotisseur privé, ils présentent une nature publique si les biens sont destinés à entrer immédiatement dans le patrimoine de la commune (et a fortiori si une collectivité publique est maître d’œuvre) 18.
Après le permis d’aménager. Le transfert conventionnel préalable est à exclure si les colotis souhaitent se réserver une partie des biens concernés – l’article R. 442-8 impliquant que la cession préalable concerne « la totalité » de ces derniers. Le transfert des équipements communs du lotissement peut alors être décidé postérieurement à la réception des travaux – parfois même des années après leur achèvement 19 –, de manière amiable ou d’office, alors même que rien n’y prédisposait dans le règlement, le cahier des charges, ou le permis d’aménager 20. C’est alors à l’association syndicale, qui aura le plus souvent été créée en application de l’article R. 442-7, qu’il revient de conclure une convention de droit privé avec la commune ou l’Epci compétent. Cette convention post-autorisation présente trois atouts :
1/ adapter le statut patrimonial des équipements communs à l’évolution des besoins et intérêts des membres de l’association syndicale, qui peuvent n’avoir pas anticipé le coût de l’entretien ;
2/ ne transférer que quelques éléments parmi ces biens ;
3/ transférer soit une partie seulement des voies ouvertes à la circulation, soit les voies en même temps que d’autres équipements, ce que ne permet pas le transfert d’office qui ne concerne que les voies.
En effet, la commune peut transférer d’office les voies privées ouvertes à la circulation publique. L’article L. 318-3 du code de l’urbanisme fonde ce procédé exorbitant – qui s’applique à toutes les voies privées ouvertes à la circulation publique situées dans des ensembles d’habitation et dans des zones d’activités ou commerciales. Le transfert, qui s’effectue après enquête publique et sans indemnité, permet de vaincre les résistances de certains propriétaires hostiles au projet, puisqu’en ce cas, un arrêté préfectoral peut passer outre leur opposition.
Exécutés par hypothèse avant la décision ou la convention de transfert, les travaux possèdent en principe une nature privée. Par exception, la construction des voies financée et réalisée par une commune constitue des travaux publics, même si le transfert sur le fondement de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme est bien postérieur à leur achèvement, lorsque l’opération constitue l’exécution d’une disposition du règlement du lotissement annexé au permis d’aménager 21.
? À qui transférer les voies et équipements communs ?
Transfert amiable. Toute convention de transfert, prévue ou non à l’article R. 442-8 du code de l’urbanisme, doit respecter les compétences publiques. Autrement dit, les biens doivent figurer immédiatement dans le « bon » patrimoine. Par exemple, si un Epci-FP est compétent pour gérer les voies communales, il n’est pas question de les faire d’abord transiter dans le patrimoine communal pour ensuite les mettre à disposition de l’établissement 22. Lorsque les réseaux sont concédés, ils constituent des biens de retour gérés par le concessionnaire durant la convention et appartenant ab initio à la collectivité publique et lui revenant gratuitement en fin de convention.
Transfert d’office. En revanche, c’est toujours le domaine public communal qui bénéficie d’un transfert d’office (C. urb., art. L. 318- 3), quelles que soient les compétences attribuées à l’Epci-FP (par ex., v. CGCT, art. L. 5214-16, II, ou encore CGCT, art. L. 5215-20, I, 2°, b et L. 5215-28), et même si le président de celui-ci peut ouvrir l’enquête publique par un arrêté ne constituant qu’un acte préparatoire 23. En tout état de cause, les biens doivent toujours transiter dans le patrimoine de la commune avant d’être, le cas échéant, transférés à l’établissement compétent 24. La question se pose avec plus d’acuité lorsque la compétence voirie demeure communale mais qu’une compétence accessoire (éclairage public par exemple) a été confiée à l’Epci.
? Comment transférer les voies et équipements communs ?
Modalités amiables. Lorsque le transfert est décidé avant l’autorisation de lotir, la commune ou l’Epci compétent est tenue de conclure une convention avec le lotisseur figurant dans le dossier de demande de permis d’aménager (C. urb., art. R. 442- 8) 25. Aucun texte n’en fixe le contenu, même si le gouvernement invite les parties à préciser : le périmètre exact des biens transférés, la nature et les caractéristiques des équipements concernés, les modalités financières, le tout assorti de plans 26. Il convient aussi d’indiquer le programme des travaux projetés 27. Un tel contrat est privé, sauf présence de clauses exorbitantes 28.
Lorsque le transfert amiable est décidé postérieurement à l’achèvement des travaux, la cession est autorisée par l’assemblée délibérante via une délibération créatrice de droit qui, le plus souvent, accepte l’offre émise par l’association syndicale de propriétaires et crée une convention29 ; la vente est ensuite obligatoirement scellée par acte authentique (C. civ., art. 1369) ou administratif (CGCT, art. L. 1311-13) 30 transmis au service de la publicité foncière pour être opposable aux tiers. L’acte de cession contiendra en annexe : la délibération autorisant le maire à conclure et authentifier l’acte administratif d’acquisition, l’extrait cadastral, le cas échéant les pièces éventuellement citées dans l’acte.
Si la délibération qui répond à une offre de cession crée des droits et ne peut être retirée que dans le délai de quatre mois (CRPA, art. L. 242-1), celle qui consacre la position générale de la commune au regard des demandes d’intégration présentées par les acquéreurs de lots possède une nature réglementaire et peut être abrogée à tout moment 31. Dans la même veine, le Tribunal des conflits indique que « la circonstance qu’une délibération du conseil municipal […] ait prévu de classer dans le domaine public communal les voies desservant les lotissements qui seront exécutés sur le territoire de la commune […] ne peut suffire, en l’absence soit d’une décision de transfert d’office […] soit de l’acquisition par la commune, suivie du classement, à incorporer ces voies dans le domaine public » 32. Cette jurisprudence incite les instances compétences à formaliser rapidement la cession après l’adoption de la délibération par l’assemblée délibérante afin d’éviter qu’un changement de circonstances ou de majorité n’entraîne l’abandon de l’opération 33.
Transfert d’office. Procédé unilatéral et fortement exorbitant du droit commun, le transfert d’office peut toujours être mis en œuvre dans l’intérêt général, même lorsque les conditions auxquelles le règlement du lotissement avait subordonné la cession gratuite des voies ne sont pas remplies 34. À l’inverse, rien n’impose à la commune de déclencher la procédure 35. L’initiative en revient aux propriétaires, à la commune ou au préfet 36. Une enquête publique est d’abord diligentée 37 dans les conditions des articles L. 134-1 et suivants du CRPA. En réalité, les dispositions directement applicables figurent à l’article R. 318-10 du code de l’urbanisme et aux articles R. 141-4, R. 141- 5 et R. 141-7 à R. 141-9 du code de la voirie routière : le maire, autorisé par son conseil, désigne le commissaire enquêteur, publie l’ouverture de l’enquête (quinze jours avant – C. voirie routière, art. R. 141-5), qui se tiendra pour une durée de quinze jours (C. voirie routière, art. R. 141-4) au cours desquels le public livrera son avis, avant que le commissaire enquêteur (désigné selon les règles de l’article R. 134-17 du CRPA) ne fournisse ses conclusions motivées dans le délai d’un mois (C. voirie routière, art. R. 141-9). Le dossier d’enquête publique, dont le dépôt est notifié à chaque propriétaire (C. voirie routière, art. R. 141-7) 38, contient : la nomenclature des voies et équipements annexes dont le transfert à la commune est envisagé ; une note indiquant les caractéristiques techniques de l’état d’entretien de chaque voie39 ; un plan de situation ; un état parcellaire (C. urb., art. R. 318-10). Le conseil municipal rend son avis sur le projet dans le délai de quatre mois (C. urb., art. R. 318-10). La décision de transfert, qui n’a pas à être motivée 40, mais doit être notifiée dans les conditions de la jurisprudence Czabaj 41, prend la forme d’une délibération de l’organe délibérant, sauf si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition ; dans ce cas, seul un arrêté du représentant de l’État dans le département peut, à la demande de la commune, endosser cette responsabilité (C. urb., art. L. 318-3, al. 3) 42. La décision de transfert d’office a valeur de classement d’office dans le domaine public communal et com- porte l’approbation d’un plan d’alignement. Elle constitue un titre de propriété et est soumise aux formalités habituelles de la publicité foncière 43.
Notons enfin que la pratique de l’offre de concours semble difficilement envisageable ici, en l’état d’une jurisprudence administrative qui tient à conserver son effet utile à l’article L. 332-6 du code de l’urbanisme44.
? À quel prix s’effectue le transfert des voies et des équipements communs ?
Caractère conventionnel des conditions financières. Les conditions financières des transferts amiables de propriété doivent être précisées dans la convention, que celle-ci soit préalable ou postérieure à la réalisation des ouvrages. Du reste, les règles fiscales applicables « à un tel contrat de droit privé sont celles du droit commun » 45. À rebours de la banalisation de ce pro- cédé, on se permet de plaider ici pour une meilleure application par les juridictions judiciaires de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, principe sensé reposer sur un critère purement organique et lié à diverses normes constitutionnelles 46. À l’inverse, la partie cédante privée ne peut se prévaloir de l’action en répétition prévue à l’article L. 332-30 du code de l’urbanisme pour tenter de récupérer une partie du coût des travaux effectués (C. urb., art. L. 332-15) 47.
Gratuité du transfert d’office. Le transfert d’office est quant à lui gratuit (C. urb., art. L. 318-3). L’invocation de l’ancien article R. 332-16 du code de l’urbanisme, dans le cas où la fraction de propriété cédée d’office excédait les 10 % de la surface du terrain, seuil maximal prévu par cet article au titre des participations en vue de l’élargissement, du redressement ou de la création des voies publiques, s’était soldée par un échec 48. Les requérants n’ont pas eu davantage de succès en mobilisant la protection constitutionnelle du droit de propriété à l’appui d’une QPC dirigée contre l’article L. 318-3 : le 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité du dispositif à la Constitution 49 en se fondant, d’une part, sur le fait que le « transfert lib[érait] les propriétaires de toute obligation et met à la charge de la collectivité publique l’intégralité de leur entretien » et que, d’autre part, « le législateur n’a[vait] pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour le propriétaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général pour- suivi », reprenant ici l’exception à la non-indemnisation des servitudes d’utilité publique issue de la jurisprudence Bitouzet 50. Enfin, s’inspirant expressément de la jurisprudence constitutionnelle, le juge administratif a validé la gratuité du transfert d’office au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales 51, tout en réservant l’hypothèse d’une charge spéciale et exorbitante dans les conditions précitées.
? Quels sont la nature et le statut des voies et équipements communs transférés ?
Lorsque le transfert prend une forme amiable, tous les équipements communs peuvent être concernés ; en cas de transfert d’office, seules les voies affectées à la circulation publique le sont.
Notion d’équipements communs. Sur le plan physique, les équipements communs sont : « la voirie, l’alimentation en eau, gaz et électricité, les réseaux de télécommunication, l’évacuation et le traitement des matières usées, l’éclairage, les aires de stationnement, les espaces collectifs, les aires de jeux et les espaces plantés » 52. Sur le plan fonctionnel, le Conseil d’État a eu l’occasion d’indiquer que les équipements communs devaient desservir une pluralité de lots et non un seul 53. Lorsque le transfert repose sur la convention préalable à l’autorisation de lotir et évoquée par l’article R. 442-8, c’est « la totalité des voies et espaces communs » qui doit être cédée. Néanmoins, lorsque la cession amiable est postérieure à la réalisation des travaux, elle peut ne concerner que certains équipements seulement – uniquement les voies, par exemple. Dans le cadre d’un tel transfert partiel, l’association syndicale peut conserver la gestion des éléments communs non transférés 54.
Dans l’hypothèse où le transfert concerne à la fois des voies et d’autres équipements communs, il peut être difficile d’en déterminer le statut patrimonial. Le classement des voies dans le domaine public routier communal ou communautaire est subordonné, non seulement à leur affectation volontaire à l’utilité publique 55, mais, plus encore, à l’adoption d’une délibération expresse (en principe dispensée d’enquête publique préalable sauf lorsque l’opération envisagée a pour conséquence de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie – v. C. voirie routière, art. L. 141-3). Le transfert amiable dans le patrimoine communal est donc, à lui seul, impuissant à intégrer les voies dans la voirie communale à défaut d’une délibération de classement, le cas échéant assise sur un cahier des charges le prévoyant 56. Pour les autres équipements telles que les promenades ou jardins publics 57, si l’affectation doit toujours présenter un caractère volontaire, l’acte de classement n’a, en revanche, de portée que recognitive 58. Ils appartiennent au domaine public à compter de leur affectation à l’utilité publique, même en l’absence de toute délibération de classement 59.
Transfert d’office. Il faut prendre garde au fait que le transfert d’office ne concerne pas l’ensemble des équipements communs mais uniquement les voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d’habitations et dans des zones d’activités ou commerciales (C. urb., art. L. 318-3).
Sur un plan matériel, il s’agit des voies et de leurs accessoires au sens de l’article L. 2111-2 du CGPPP, quel qu’en soit le propriétaire 60, tels que les réseaux d’évacuation des eaux pluviales et les dispositifs d’éclairage, mais non pas les espaces verts, les réseaux d’eau et d’assainissement et les sentes techniques 61 ni même un terre-plein séparé de la chaussée et non affecté à la circulation 62.
Sur un plan fonctionnel, les voies privées doivent être, au moment du transfert, affectées à la circulation publique – condition non subordonnée à la possibilité de la circulation automobile 63 de manière à traduire la volonté de leur propriétaire d’accepter l’usage public et de renoncer à leur usage privé 64. La volonté d’ouvrir la voie peut être tacite 65 pour autant qu’elle ne soit pas équivoque 66. Le refus d’ouvrir la voie, qui doit lui aussi être clair, se traduit souvent par un blocage physique ou des panneaux ou indications explicites 67. Lorsque la fermeture à l’usage du public succède à une période d’ouverture, l’autorité compétente doit en être « régulièrement » informée et les propriétaires doivent manifester clairement leur volonté 68. Un seul propriétaire peut refuser l’usage public et bloquer l’opération 69. Enfin, la renonciation à l’usage public de la voie peut intervenir à tout moment, même après l’ouverture de la procédure de transfert d’office 70.
La décision de transfert, notifiée individuellement à chaque ancien titulaire de droit sur les voies 71, vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. L’acte portant classement d’office comporte également approbation d’un plan d’alignement dans lequel l’assiette des voies publiques est limitée aux emprises effectivement livrées à la circulation publique (C. urb., art. L. 318-3). Il s’agit donc ici d’un alignement recognitif, dont la portée est moins exorbitante que celle de l’alignement de droit commun qui peut être translatif de propriété.
1 Sont exclusivement concernés les lotissements soumis permis d’aménager puisque seuls ces derniers conduisent sauf exception à la réalisation d’ équipements communs (C. urb., art. R. 432-19).
2 J.-B. Auby, L’espace public comme notion émergente du droit administratif : AJDA 2021, p. 2565.
3 Indépendamment du cas où la commune réalise un lotissement communal en régie ou via une concession, les règles de l’urbanisme ont, après l’ écoulement d’une durée de dix ans, vocation à s’appliquer à l’ensemble des terrains lotis (C. urb., art. L. 442-9). Par ailleurs, les équipements publics peuvent être réalisés par la commune dans un lotissement privé , s’ils sont d’intérêt public communal (CE, 21 juin 1993, n 118491, Cne de Chauriat : Lebon, T. p. 650).
4 M. Soazic, Lotissement, Réalisation et gestion : JCl. Admin., fasc. 552, 2020, n 326.
5 Cass., 18 juin 2003, n 01-01.758, ASL Lotissement des Castors de l’Ermitage : Bull. civ. III, n 129.
6 R p. min. QE n 9018 et n 18042 : JOAN 25 mai 1987, p. 3041 ; R p. min. QE n 23046 : JOAN 7 mars 1988, p. 1026.
7 CE, 23 janv. 1985, Renaud de la Faverie : Dr. adm. 1985, comm. 174 – CAA Paris, 1er févr. 2007, n 03PA00165.
8 CAA Versailles, 20 d c. 2018, n 16VE01593.
9 CAA Paris, 8 juill. 2004, n 00PA00332 : Constr.-urb. 2006, comm. 216, note P. Benoît-Cattin ; Coll. Int. 2004, comm. 224, note D. Dutrieux ; AFDUH 2004, p. 524.
10 CE, 4 nov. 1992, n 124419, AFU Le moulin à vent.
11 La responsabilité du propriétaire privé de la voie doit être engagée en cas de défaut d’entretien (CE, 21 oct. 1983, n 40266 : Lebon) mais la responsabilité de la commune peut être retenue dans le cas où celle-ci aurait participé à ce même entretien.
12 CE, 27 mai 2020, n 433608 : Lebon, T. ; Dr. Voirie 2020, p. 139, concl. (contraires) R. Victor.
13 CE, 13 mai 1988, n 68550, Assoc. syndicale lotissement Batie : Lebon T., p. 1078 – TA Nice, 10 févr. 1998, n 93-2777, ASL Hameau des Martelly c/ Cne Pégomas.
14 Par ex., CAA Marseille, 1er d c. 2015, n 14MA01791.
15 M. Soazic, préc., n 323.
16 T. confl., 22 nov. 1965, Fromajou c/ Entreprise Gainon frères : JCP G 1966, II, 14575, note Blaevoêt – T. confl., 12 nov. 1984, Lépine c/ SA Drouard : Dr. adm. 1985, comm. 38 ; RDP 1985, p. 1379.
17 CE, 4 juill. 1980, SA Les travaux publics de Valenciennes : RDP 1981, p. 519.
18 T. confl., 16 mars 1998, n 03058, SA HLM CARPI : Lebon, p. 535 ; Dr. adm. 1998, comm. 366 ; RFDA 1998, n 5, p. 1056 ; RDP 1999, n°1, p. 249, concl. Arrighi de Casanova ; RGCT 1999, n °3, p. 86, chron. J.-Cl. Ricci.
19 M. Soazic, prèc., n 332.
20 CAA Paris, 8 juill. 2004, n 00PA00332, pr c.
21 CE, 30 nov. 2005, n 275470 : Lebon ; AJDA 2005, n 42, p. 2322, obs. M.-C. M. ; BJDU 2006, n 2, p. 113, concl. J.-H. Stahl, obs. J.-C. B. ; DAUH 2007, n 11, p. 605, n 675 et p. 671, n 814.
22 Rép. min. QE n 341 : JOAN 4 nov. 2002, p. 4048 ; Rép. min. QE n 7938 : JO Sénat 21 nov. 2013, p. 3390.
23 CAA Marseille, 17 d c. 2021, n 19MA03257.
24 CAA Marseille, 1er déc. 2015, n 14MA01791.
25 Rép. min. QE n 25609 : JO Sénat 14 sept. 2000, p. 3192.
26 Rép. min. QE n 00927 : JO Sénat 21 déc. 1989, p. 2136.
27 Rép. min. QE n 121 : JO Sénat 28 juill. 1988, p. 870 ; Mon. TP, bull. 12 août 1988, suppl. p. 24.
28 Rép. min. QE n 927 : JO Sénat 21 déc. 1989, p. 2136. 29 CE, 13 mai 1988, Assoc. syndicale lotissement Batie, préc.
30 Cass. 3e civ., 24 janv. 1978 : JCP N 1978, II, 231, obs. B. Stemmer – Cass. 3e civ., 21 mai 1985, JCP G 1985, IV, 271.
31 V. supra. 32 T. confl., 16 mai 1994, n 02912, Cts X c/ Cne Malemort-sur-Corrèze et a. : Lebon, cité in concl. Arrighi de Casanova : RDP 1999, n 1, p. 249. 33 R p. min. QE n 00121 : JO Sénat 9 juin 1988, p. 727.
34 CAA Lyon, 18 mai 2017, n 15LY03747.
35 CE, 23 janv. 1985, Renaud de la Faverie, préc. : contrôle restreint.
36 M. Soazic, pr c. n 341 ; R p. min. QE n 23046 : JOAN 7 mars 1988, p. 1026.
37 L’ouverture de l’enquête publique ne fait pas grief (CAA Marseille, 17 déc. 2021, n 19MA03258).
38 La jurisprudence ne condamne ni l’absence de notification aux véritables propriétaires dès lors que cette erreur est dépourvue de portée sur la décision, ni la notification à des administrés non concernés (CAA Lyon, 17 mars 2016, n 15LY01117).
39 L’absence de cette note constitue un vice de légalité substantiel pouvant entraîner l’illégalité de la décision (CAA Marseille, 17 juin 2014, n 12MA01706).
40 CE, 10 févr. 1992, n 107113 : Lebon, T.
41 CE, 25 sept. 2020, n 430945, SCI La Chaumière : Lebon ; Dr. Voirie 2020, p. 222, note Ch. Testard.
42 Ici réside un assouplissement car le système antérieur prévoyait en toute hypothèse l’intervention de l’ État (M. Soazic, préc., n 347). Notons que les riverains sont recevables à contester le refus du préfet de procéder au transfert d’office (CE, 27 mai 2020, n 433608, pr c.).
43 R p. min. QE n 19336 : JOAN 6 févr. 1995, p. 719.
44 CE, 10 oct. 2007, n 268205, Cne de Biot : Lebon, T. – B. Poujade, Offre de concours et urbanisme : AJDA 2008, p. 889 ; M. Soazic, préc.
45 R p. min. QE n 00927 : JO Sénat 21 déc. 1989, p. 2136.
46 CE, sect., 19 mars 1971, n 79962 : Lebon, p. 235, concl. Rougevin- Baville ; v., parmi une littérature abondante, G. P lissier, concl. sur CE, ass., 9 nov. 2016, n 388806, Sté Fosmax : Lebon ; RFDA 2016, p. 1154 – Ch. Roux, Le principe d’interdiction des locations publiques vil prix : Dr. Voirie 2022, p. 16.
47 M. Soazic, préc.
48 Cass. 3e civ., 9 déc. 1987, n 86-15.936, Cne Galfingue : Bull. civ. III, n 201 ; AJDA 1988, n 6, p. 424, obs. J.-B. Auby. 49 Cons. const., 6 oct. 2010, n 2010-43 QPC.
50 CE, sect., 3 juill. 1998, n 158592 : Lebon, p. 288.
51 CAA Marseille, 1er d c. 2015, n 14MA01791.
52 R p. min. QE n 341 : JOAN 4 nov. 2002, p. 4048, pr c.
53 CE, 5 févr. 2001, n 208358, Ville de Bordeaux : Lebon, T.
54 M. Soazic, pr c. n 335.
55 CE, 2 nov. 2015, n 373896, Cne de Neuves-Maisons : Lebon, T. ; AJDA 2016, p. 204, Dr. admin. 2016, comm. 13 ; X. Braud, Cours de droit administratif des biens, Gualino 2020, 2e d., p. 68.
56 CAA Bordeaux, 15 nov. 2018, n 16BX02936 : à défaut d’un tel classement, cette voie constitue un chemin rural faisant partie du domaine privé de la commune. A contrario, CE, 4 nov. 1992, n 124419, Assoc. foncière urbaine Le moulin à vent.
57 Les promenades publiques ne sont pas affectées aux besoins de la circulation terrestre (CE, 10 avr. 2002, n 234777, Cne de Rugny – T. confl., 13 avr. 2015, n C3999, SNC Worex : Lebon, T.).
58 X. Braud, op. cit., p. 104 – Ph. Yolka, Distinction du domaine public et du domaine privé : JCl. Prop. pub., fasc. 10, n 24. 59 En dépit de l’ étrange solution proposée sur ce point par le gouvernement : R p. min. QE n 3305 : JO Sénat 17 févr. 1994, p. 382. 60 CE, 10 févr. 1992, n 107113, pr c.
61 CAA Marseille, 1er d c. 2015, n 14MA01791 : AJDA 2016, p. 836, note M. Revert.
62 CE, 19 sept. 2016, n 386950 : Lebon, T. ; BJDU 6/2016, p. 434, concl. R. Victor, obs. X.D.L. ; Constr.-urb. 2016, comm. 129, note X. Couton
63 CE, 27 mai 2020, n 433608, pr c. ; v. M. Soazic, préc.
64 CE, 3 déc. 1975, n 89689, Sté foncière Paris-Languedoc : Lebon T., p. 900 – CE, 25 juill. 1980, Buisson : Lebon T., p. 628 – CE, 15 févr. 1989, n 71992, Cne Mouvaux : Dr. adm. 1989, comm. 206 ; CJEG 1990, p. 55, cités par M. Soazic, préc.
65 CE, 25 mai 2020, n 433608, pr c., consid. 8.
66 CAA Marseille, 11 févr. 2014, n 11MA04203.
67 CAA Versailles, 16 avr. 2015, n 13VE00823.
68 CAA Lyon, 18 mai 2017, n 15LY03747 – CAA Lyon, 17 mars 2016, n 15LY01117.
69 CAA Versailles, 16 avr. 2015, n 13VE00823.
70 CE, 17 juin 2015, n 373187, ASA Parc de Villeflix : Lebon, T.
71 CAA Marseille, 22 avr. 2014, n 12MA02254.

Hugo Devillers
Maître de conférences en droit public Université Sorbonne Paris Nord