Cours & Tribunaux
Nouvel éclairage – partiel – du Conseil d’État
CE, 11 mars 2022, n° 453440 : Lebon, T.
Le Conseil d’État se prononce sur la légalité d’une convention d’occupation du domaine public interdisant expressément à l’occupant de constituer un fonds de commerce sur le site mis à disposition. Jugées contraires aux dispositions de l’article L. 2124-32-1 du CGPPP introduit par la loi Pinel, les stipulations litigieuses ne sont toutefois pas annulées, faute de constituer un « vice d’une particulière gravité ».
COMMENTAIRE
Ils sont de ces concepts qui semblent difficilement conciliables en restant fidèles à leurs régimes : domanialité publique et fonds de commerce.
I. CONTEXTE LÉGISLATIF ET JURISPRUDENTIEL
Le domaine public dont l’occupation est, par nature, précaire et personnelle fait obstacle – de jurisprudence constante – à la conclusion d’un bail commercial pour l’exploitation d’un fonds de commerce 1. Plus encore, lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un « bail commercial » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité 2.
Contrairement à la Cour de cassation 3, le Conseil d’État considérait jusqu’alors que l’occupant du domaine public ne saurait être propriétaire d’un fonds de commerce, puisqu’il ne peut légalement disposer d’un bail commercial 4. Cette lecture était justifiée par le fait que le régime des baux commerciaux s’applique de plein droit aux baux « des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce » 5. Existence d’un fonds de commerce et bail commercial sont donc très intimement liés.
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 dite Pinel a toutefois introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) un article L. 2124-32-1 prévoyant expressément la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public (hors domaine public naturel), sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ; le titre d’occupation restant toutefois une convention précaire et révocable, afin de respecter le régime d’occupation du domaine public.
Postérieurement à juin 2014, les occupants du domaine public ont été nombreux à saisir l’opportunité de se voir reconnaitre l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public mis à disposition. Les juridictions saisies de titres conclus antérieurement à la loi Pinel ont toutefois retenu une interprétation restrictive de la loi, en considérant que l’exploitant qui occupe le domaine public en vertu d’un titre délivré avant l’entrée en vigueur du texte n’a pas pu être légalement propriétaire d’un fonds de commerce avant cette date et qu’il ne pouvait prétendre à l’indemnisation de la perte d’un tel fonds 6.
Il fallait donc lire l’article L. 2124-32-1 comme instituant une nouveauté législative et non comme la reconnaissance juri- dique d’une situation de fait existante.
Dans l’affaire qui nous occupe et qui a conduit à l’arrêt du Conseil d’État du 11 mars 2022, le titre était cette fois postérieur à la loi Pinel et dérogeait aux dispositions de l’article L. 2124-32-1 : un aménagement conventionnel de ce texte est-il légal ?
II. FAITS DE L’ESPÈCE
La commune de Cap d’Ail, propriétaire d’un terrain situé a proximité immédiate du sentier des douaniers face à la Méditerranée, avait consenti dans les années 1960 un titre d’occupation sur une partie de cette parcelle à un exploitant personne privée. L’occupant avait alors entrepris la construction d’un bar-restaurant de style « paillotte » devenu par la suite un restaurant de fruits de mer ainsi qu’un bar Lounge dénommé La Pergola. L’établissement est aujourd’hui délimité par un petit muret qui l’isole du reste de la parcelle destinée à usage d’aire de pique-nique et sur laquelle se trouvent également des douches et toilettes publiques.
Les conclusions du rapporteur public nous apprennent que l’exploitant avait conclu avec la commune, en 1986, une convention d’occupation temporaire du site en vue de l’exploitation de ce bar-restaurant. Cette même année, le restaurateur avait également acquis le «‘fonds de commerce’comprenant l’enseigne, le nom commercial, la clientèle, la licence de quatrième catégorie, le mobilier ainsi que ‘tous droits à la location ou à la concession’ », de sorte qu’il avait légitimement pu penser qu’il était bien propriétaire d’un fonds de commerce.
La convention avait ensuite été reconduite en 1995 pour une durée de vingt ans. L’occupant ayant demandé son renouvellement, la commune a autorisé – en février 2016, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Pinel – la signature d’une nouvelle convention d’occupation pour cinq années. Dans cette convention toutefois, la constitution d’un fonds de commerce était expressément exclue par ses stipulations qui prévoyaient notamment (i) l’impossibilité de requalification en bail commercial, (ii) l’absence d’un quelconque droit au maintien dans les lieux et à indemnité d’éviction, (iii) l’impossibilité d’une tacite reconduction, (iv) l’absence de création d’un fonds de commerce et (v) l’interdiction de toute cession des droits résultant de la convention.
III. PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF ET LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
Deux mois après la signature de la convention, les preneurs, qui expliqueront s’y être résolus car sentis contraints, saisissent le tribunal administratif de Nice. Ils sollicitaient à titre principal que la convention soit déclarée nulle et à titre subsidiaire que les clauses qui écartaient l’existence d’un fonds de commerce soient annulées.
Le tribunal administratif rejette leurs demandes en considérant que « les parties à la convention ont pu, en toute légalité, exclure l’exploitation d’un fonds de commerce sur la parcelle cadastrée AI49 dès lors qu’il est constant que l’article L. 2124-32-1 du CGPPP n’ouvre qu’une faculté pour une personne publique d’autoriser l’exploitation d’un fonds de commerce sur son domaine public artificiel » 7. Une interprétation supplétive de volonté de l’article L. 2124-32-1 était donc proposée.
En appel, la cour administrative de Marseille confirme le juge- ment, mais sans partager le raisonnement du tribunal 8. Après avoir rappelé les options qui sont ouvertes au juge administratif saisi par les parties à un contrat d’un recours de plein contentieux contestant sa validité, en application de la jurisprudence Béziers I 9, la cour énonce qu’« à supposer même que cette clause serait illégale au regard des dispositions de l’article L. 2124-32- 1 (…), cette illégalité ne pourrait (…) entraîner l’annulation de la convention ni même l’annulation de cette seule clause, indivisible du reste de la convention », l’objet de la convention d’occupation n’étant lui-même pas illicite.
La cour avait plus tôt relevé que l’impossibilité de créer un fonds de commerce sur le domaine public « a été déterminante dans la conclusion du contrat par la commune et trouve nécessairement une contrepartie pour les bénéficiaires de la convention dans le montant de la redevance d’occupation du domaine public mise par celle-ci à leur charge. Elle forme ainsi avec les autres stipulations de la convention un ensemble indivisible ».
En conséquence, le recours est rejeté par un arrêt du 9 avril 2021, soit postérieurement à l’expiration de la convention litigieuse qui arrivait à terme en février 2021. Notons pour être complet sur ce point, et dans la mesure où nous n’y reviendrons pas ensuite, que le rapporteur public recommandait au Conseil d’État d’annuler l’arrêt de la cour d’appel pour avoir statué sur l’affaire alors que le recours avait perdu son objet. Il ne sera pas suivi.
Les requérants saisissent alors le Conseil d’État d’une requête tendant, à titre principal, à voir la juridiction administrative déclarée incompétente pour statuer sur le litige et, à titre subsidiaire, à annuler partiellement, à défaut de régularisation, la convention écartant la constitution d’un fonds de commerce et excluant le droit à indemnisation. Ces derniers ne formulaient cependant aucune demande tendant à ce qu’il soit tiré les conséquences financières de l’annulation de la convention. Outre la question de la qualification du domaine public ou privé de la parcelle concernée, le Conseil d’État est appelé à se prononcer sur l’interprétation des dispositions de l’article L. 2124- 32-1 du CGPPP et, en cas de méconnaissance, sur la conséquence de l’illégalité de la stipulation contestée.
IV. SOLUTION
Le Conseil d’État considère que la clause litigieuse est contraire aux dispositions légales, mais s’associe à l’appréciation faite par la cour administrative d’appel sur la gravité du vice : « La cour administrative d’appel de Marseille a estimé par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la clause figurant à l’article 3 de la convention litigieuse, selon laquelle l’occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d’un fonds de commerce, formait un ensemble indivisible avec les autres stipulations. En jugeant que la méconnaissance par une telle clause des dispositions de l’article L. 2124-32-1 du code général des propriétés publiques ne pouvait constituer, à elle seule, un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit. »
Le pourvoi introduit par les requérants est rejeté.
Évoquons rapidement l’analyse réalisée par les juridictions pour accueillir la qualification de domaine public, avant de nous attarder plus longuement sur le cœur de la décision relative à l’appli- cation de l’article L. 2124-32-1 du CGPPP.
A. La nature publique de la parcelle concernée
Les requérants invoquaient en premier lieu l’incompétence de la juridiction administrative.
Ils soutenaient que la parcelle qu’ils étaient autorisés à occuper appartenait au domaine privé de la commune en ce qu’elle était dissociable de l’aire de pique-nique, pour laquelle ils ne discutaient pas l’appartenance au domaine public. Ils indiquaient notamment que leur établissement disposait d’un accès indépendant depuis la voie et qu’il était ceint de murs et clôtures.
La cour administrative d’appel puis le Conseil d’État sur ce point constatent tout d’abord que la commune avait manifesté, depuis l’acquisition de cette parcelle, la volonté de l’affecter à l’usage direct du public en réalisant les aménagements nécessaires à cet usage (installation d’une aire de pique-nique, toilettes, douches…). Ils relèvent ensuite que si les limites de la surface occupée par le restaurant sur la parcelle sont aujourd’hui repérables et pourraient permettre de regarder ces installations comme un ensemble distinct, il résulte du procès-verbal de mise à disposition du site et des obligations contractuelles mises à la charge de l’occupant que la commune avait maintenue la volonté d’affecter à l’usage du public la parcelle. Notamment, la convention comportait l’obligation pour l’occupant d’assurer la propreté et la salubrité des escaliers et chemins traversant la parcelle et permettant d’accéder au chemin des douaniers depuis la voie communale. Elle comprenait en outre l’obligation d’une remise en état du sol de l’espace pique-nique et son entretien permanent ainsi que l’obligation de « laisser le libre accès du terrain au public et per- mettre les pique-niques sur l’aile est en conformité avec la destination traditionnelle de ces lieux ».
Dès lors, le Conseil d’État considère que l’affectation à l’usage direct du public n’avait pas cessé avant l’entrée en vigueur du CGPPP, y compris pour la partie de la parcelle sur laquelle était exploitée le restaurant. Seule une procédure de désaffectation et de déclassement aurait pu la faire entrer dans le domaine privé.
La solution aurait pu être différente, le Conseil d’État ayant déjà eu l’occasion de juger que « des parties clairement délimitées et dissociables d’une même parcelle peuvent relever, par appli- cation des règles régissant la domanialité publique, de régimes de domanialité différents » 10. Dès lors qu’il existe des limites physiques ou juridiques nettes permettant d’identifier deux parties au sein d’une même parcelle, cette parcelle peut relever, pour une part, du domaine public et, pour une autre part, du domaine privé. La partie « restaurant » étant a priori matérielle- ment distincte du reste de la parcelle, c’est l’analyse des obligations mises à la charge de l’occupant quant au libre accès du public et à l’entretien des accès et des installations qui conduit les juridictions à considérer que l’intégralité de la parcelle appartenait au domaine public.
B. L’illégalité de la clause méconnaissant les dispositions l’article L. 2124-32-1 du CGPPP
● Les dispositions de l’article L.2124-32-1 du CGPPP ne dépendent pas de la volonté du propriétaire
Sur la question principale de cette affaire, à savoir l’interprétation qu’il convient de donner aux dispositions de l’article L. 2124-32- 1 du CGPPP, le Conseil d’État suit les recommandations de son rapporteur public, M. Victor, et considère que le propriétaire du domaine public ne peut pas s’opposer contractuellement à la création d’un fonds de commerce sur le domaine public. Le raisonnement du tribunal administratif est donc invalidé.
Cette lecture n’était pas évidente et la doctrine avait d’ailleurs noté qu’il appartiendrait aux juridictions de se prononcer sur la question 11.
Il faut y voir un rapprochement avec la logique civiliste : dès lors qu’une activité commerciale est exercée et qu’une clientèle propre est attachée à l’activité, un fonds de commerce est existant. Citons le rapporteur public, dont les conclusions sont limpides sur cette question : « en introduisant dans le CGPPP un article L. 2124-32-1 aux termes duquel ‘un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre’, le législateur n’a pas entendu faire dépendre la reconnaissance de l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public, dont l’existence se constate davantage qu’elle ne se décrète, d’un acte de volonté du propriétaire du domaine public, ni même d’un accord de sa part, mais de la seule circonstance – qui n’est pas à la main de la personne publique – que l’exploitant privé attire une clientèle autonome qui vient à lui en raison de la qualité particulière des prestations qu’il leur offre – ce qui peut être le cas d’un restaurateur dont la cuisine est appréciée de ses clients ».
La présence du verbe « pouvoir » au sein des dispositions de l’article L. 2124-32-1 ne doit donc pas s’analyser comme une faculté pour les parties de se soumettre aux dispositions précitées, mais comme la volonté du législateur de reconnaitre l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public non naturel dès lors qu’une clientèle propre y est attachée.
Dans la présente affaire, et nous le regrettons, la question de l’existence de cette clientèle propre n’est pas étudiée, l’arrêt se prononçant uniquement sur la légalité de la convention litigieuse. Il sera intéressant d’analyser l’interprétation qui sera faite par les juridictions administratives à l’avenir sur ce point, puisqu’il est essentiel à la qualification de l’existence d’un fonds de commerce.
● Le vice résultant de cette méconnaissance n’est toutefois pas d’une gravité telle qu’il justifie l’annulation de la convention ou de cette seule clause
Une fois l’illégalité de la clause reconnue, se pose la question de l’annulation de la convention litigieuse ou de sa régularisation par la neutralisation de la clause illégale. Le Conseil d’État rappelle alors les options qui sont ouvertes au juge administratif saisi par une partie à un contrat administratif d’un recours de plein contentieux contestant la validité dudit contrat. Il entérine l’analyse de la cour administrative d’appel qui avait alors considéré que la clause litigieuse était indivisible du reste de la convention. Comme précédemment mentionné, la cour administrative d’appel avait en effet relevé que l’impossibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public avait été « déterminante dans la conclusion du contrat part la commune » et trouvait « nécessairement une contrepartie pour les bénéficiaires de la convention dans le montant de la redevance ». En conséquence, il était impossible de neutraliser la clause litigieuse sans affecter le reste de la convention, tout en gardant l’équilibre économique et contractuel qui avait été établi.
Si le raisonnement est entendable, nous n’encouragerons pas les gestionnaires du domaine public à prévoir des redevances modiques pour justifier une interdiction de créer un fonds de commerce sur le domaine public artificiel mis à disposition. Outre le fait que cet aménagement est désormais annoncé comme étant illégal, cette possibilité nous semble au contraire devoir être valorisée dans le montant de la redevance comme un avantage octroyé à l’occupant (v. infra).
En tout état de cause, le Conseil d’État a considéré dans la présente affaire que la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2124-32-1 du CGPPP ne constituait pas un vice d’une gravité telle qu’il appartiendrait au juge administratif d’annuler tout ou partie de la convention.
Que faut-il en penser ?
Tout d’abord, il convient de souligner une nouvelle fois que les requérants sollicitaient l’annulation d’une convention qui, au jour où la cour administrative d’appel et le Conseil d’État ont statué, avait expiré. En application des dispositions de l’article L. 2122-1 et suivants du CGPPP, l’octroi du titre d’occupation de la parcelle avait fait l’objet d’une nouvelle procédure de publicité.
Ensuite, comme le soulignait le rapporteur public, l’annulation intégrale de la convention impliquait de replacer les parties dans la situation antérieure. Or, si la commune pouvait restituer les sommes perçues, la restitution en nature des avantages octroyés par l’occupation du domaine public était impossible. Cette décision pourrait donc apparaitre raisonnable.
L’autre branche de l’alternative eut été la neutralisation de la clause interdisant la constitution d’un fonds de commerce. Une telle solution nous aurait davantage satisfait, tant pour la protection du fonds de commerce qui aurait été reconnue à l’occupant que pour l’exercice, qui aurait été instructif, de l’analyse pratique des conséquences d’une telle neutralisation.
Le rapporteur public n’y était cependant pas favorable. Il considérait que l’intérêt d’une annulation partielle aurait été très limité « eu égard au caractère très relatif de la protection que la constitution d’un fonds de commerce sur le domaine public est susceptible de conférer à l’occupant domanial ». Il relevait que la reconnaissance d’un fonds de commerce sur le domaine public : (i) permet l’indemnisation de l’occupant, mais uniquement en cas de résiliation anticipée du titre d’occupation pour motif d’intérêt général ; (ii) offre la possibilité de l’utiliser comme instrument de crédit (nantissement) et (iii) confère une protection des ayants-droits en cas de décès du titulaire de l’autorisation grâce aux dispositions de l’article L. 2124-33 du CG3P.
Or il nous semble que les avantages de la reconnaissance de l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public ne se limitent pas à ces trois aspects et que l’intérêt du texte est ici sous-estimé. Notamment, les conclusions du rapporteur public n’évoquent pas la possibilité de céder le fonds de commerce et de présenter son successeur. Or, cette reconnaissance confère une valeur économique à l’activité et permet sa transmission à titre onéreux en cours de convention (avec l’accord de la personne publique) dans des conditions plus avantageuses pour l’occupant cédant son fonds. La reconnaissance de cette valeur est bénéfique également pour la personne publique qui pourra, comme indiqué plus haut, prendre en compte cet avantage dans le calcul de la redevance.
Les praticiens qui attendaient des réponses pratiques sur les conséquences concrètes de la reconnaissance du droit au bail sur le domaine public resteront donc sur leur faim. Ces derniers pourraient d’ailleurs se demander si le terme contractuel de la convention entrainant la disparition du fonds pourrait être générateur d’une « indemnité d’éviction » (ou autrement désignée) qu’il appartiendrait au gestionnaire du domaine public de régler comme dans le cas d’un bailleur refusant le renouvellement du bail commercial. Cette voie n’est pas ouverte par la présente décision.
La disparition d’un fonds de commerce, indépendamment de la nature du titre d’occupation du site, doit-elle être indemnisée ? Toute la difficulté consiste à conférer une protection au fonds de commerce dont l’existence est reconnue sans toutefois faire de raccourci trop rapide et d’amalgame avec le régime des baux commerciaux.
Dans la mesure ou le droit à indemnité d’éviction reconnu au preneur du bail commercial par l’article L. 145-14 du code de commerce est justifié par le droit au renouvellement du bail lui-même, intrinsèque au régime des baux commerciaux, cette solution ne nous semble pas viable en matière de convention d’occupation du domaine public par nature précaire et révocable, et compte tenu de l’obligation de mettre en compétition, à échéance régulière, l’attribution des conventions d’occupation au profit d’opérateurs économiques.
Si les bailleurs privés ont la possibilité de consentir au renouvellement du bail et ainsi éviter le paiement d’une indemnité d’éviction (même très tardivement en cours de procédure, via l’usage du droit de repentir), il en va autrement des personnes publiques, qui ont l’obligation de réaliser des mesures de publicité et de remise en concurrence à échéance régulière.
Les motifs du renouvellement du titre d’occupation du site sur lequel serait exploité un fonds de commerce ou de la transmission au cessionnaire du fonds de commerce pourraient-ils en conséquence être érigés en dérogations à l’obligation de publicité préalable ? L’intervention du législateur au sein des articles L. 2122-1-2 et L2122-1-3 du CGPPP serait alors nécessaire.
En l’état de la législation actuelle, les propriétaires personnes publiques qui seront confrontées à une cession du fonds de commerce et à une demande d’autorisation d’occupation du domaine public présentée par le successeur devront être habiles dans la mise en œuvre pratique et combinée des dispositions de l’article L. 2124-33 du CGPPP, qui permet à toute personne souhaitant se porter acquéreur d’un fonds de commerce ou d’un fonds agricole de demander à l’autorité compétente une autorisation d’occupation temporaire du domaine public pour l’exploitation de ce fonds, et de l’article L. 2122-1-4 du même code, qui impose à l’autorité compétente de s’assurer au préalable, par une publicité suffisante, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente.
Enfin, et pour clore les questionnements, il nous semble que les occupants qui avaient légitimement pu se penser propriétaires d’un fonds dans la mesure où ils en avaient visiblement fait acquisition en 1986, auraient pu obtenir une indemnisation s’il avait été démontré que la commune avait consenti à cette cession, reconnaissant ainsi l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public, en méconnaissance de la jurisprudence traditionnelle sur la question (cf note 2).
Que retenir ?
En confirmant le caractère impératif de l’article L. 2124-32-1, les personnes publiques sont ainsi averties de l’impossibilité d’écarter contractuellement l’application de ce texte : l’existence d’une clientèle propre sur le domaine public non naturel entraine l’existence, de facto, d’un fonds de commerce. Encore faudra-t- il pouvoir démontrer que l’existence de cette clientèle est propre à l’activité exercée et non — ou du moins pas de manière pré- pondérante — à la localisation ou à l’intérêt du domaine public mis à disposition.
Si cela ne nous semble pas être de nature à inquiéter outre mesure les personnes publiques dès lors que l’intérêt pratique de la reconnaissance d’un fonds de commerce sur le domaine public reste limité à ce jour, cette décision ne permet pas de répondre aux problématiques concrètes des gestionnaires du domaine public sur l’octroi des titres et les valorisations.
La question de la valorisation du fonds de commerce par les gestionnaires et les juridictions sera intéressante à étudier dans le cadre des demandes d’indemnisation afin de comprendre ce qui doit être pris en compte. De même que la question de la valorisation de la redevance, qui doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l’autorisation d’occupation du domaine public.
Nous supposons que a possibilité théorique qu’un fonds de commerce puisse être un jour crée (sous réserve de pouvoir démontrer l’existence d’une clientèle propre) devrait donc être valorisée dans la redevance de manière abstraite dès la signature du titre sans même savoir si une clientèle sera attachée à l’activité ; alors que les titres d’occupation portant sur le domaine naturel devraient être significativement plus abordables (sauf à considérer que les avantages de toute nature procurés par ledit titre seraient supérieurs à la faculté de créer un fonds de commerce).
C’est donc avec une certaine impatience que nous attendons les futures décisions.
EXTRAITS
[…] 5. D’autre part, aux termes de l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ». Il résulte de ces dispositions, issues de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l’entrée de cette loi, que le législateur a reconnu aux occupants d’une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d’exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d’occupation à la condition qu’ils disposent d’une clientèle propre distincte des usagers du domaine public.
6. La cour administrative d’appel de Marseille a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la clause figurant à l’article 3 de la convention litigieuse, selon laquelle l’occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d’un fonds de commerce, formait un ensemble indivisible avec les autres stipulations. En jugeant que la méconnaissance par une telle clause des dispositions de l’article L. 2124-32-1 du code général des propriétés publiques ne pouvait constituer, à elle seule, un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit. […]
1 T. confl., 3 déc. 1979, n° 02143 : Lebon – CE, 5 mars 2003, n° 247054 : Lebon, T. – Cass. 3e civ, 2 mars 2017, n° 15-11.419, 15-25.136 : Bull. civ. III.
2 CE, 23 janv. 1976, n° 97342 : Lebon. Pour une illustration récente, v. CAA Paris, 9 avr. 2021, n° 20PA01314.
3 Illustration : Cass. com., 28 mai 2013, n° 12-14.049 : Bull. IV, n° 90.
4 CE, 31 juill. 2009, n° 316534, Sté Jonathan Loisirs : Lebon, T.
5 C. com., art. L. 145-1.
6 CE, 24 nov. 2014, n° 352402, Sté des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais : Lebon.
7 TA Nice, 26 juin 2018, n° 1601897.
8 CAA Marseille, 9 avr. 2021, n° 18MA03151.
9 CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne de Béziers : Lebon.
10 CE, 6 mai 2015, n° 369152, Cne de Saint-Brès.
11 C. Chamard-Heim, Ph. Yolka, La reconnaissance du fonds de commerce sur le domaine public : AJDA 2014, p. 1641.

Cécile Palavit
Avocate au barreau de Lyon Cabinet Adaltys