Mise en concurrence au grand hôtel de Biarritz : la directive – Services reste dans l’antichambre

En bref…

CAA Bordeaux, 2 nov. 2021,
n° 19BX03590 et 19BX03620

Directement influencée par jurisprudence Promoimpresa (CJUE, 14 juill. 2016, n° C-67-15 : AJDA 2016, p. 2176, obs. Noguellou et p. 2478, obs. Nicinski ; BJCP 2017, n° 110, p. 36, obs. Terneyre ; AJCT 2017, p. 109, obs. Didriche ; Mon. TP. 2016, n° 169, p. 50, obs. Proot ; RTD com. 2017, p. 51, obs. Lombard ; RTDE 2017, p. 843, obs. Zians ; GDDAB, Dalloz, 3e éd. 2018, n° 56, p. 529, obs. Noguellou), elle-même rendue au fondement de la directive Services (Dir. 2006/123/CE, 12 déc. 2006 : JOCE n° L 376, 27 déc. 2006, p. 36), l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 a, on le sait, entériné en droit interne l’exigence de sélection transparente préalable à la dévolution des titres d’occupation priva- tive du domaine public… celle-ci laissant toutefois sur le bas-côté les titres relatifs à l’utilisation du domaine privé. Depuis lors, la doctrine administrative autant que la doctrine universitaire (majoritaire) plaident en faveur d’un alignement des sujétions (v. Rép. min. à QE n° 13180 : JO Sénat 30 janv. 2020, p. 537 ; Contrats- marchés publ. 2020, comm. 135, obs. B. Koebel – Rép. min. à QE n° 16130 : JO Sénat 10 sept. 2020, p. 4096 ; JCP A 2020, act. 564, obs. Ph. Yolka) : outre que l’occupation du domaine privé peut – autant que celle du domaine public – conditionner l’exercice d’une activité économique, le droit de l’Union européenne se montre indifférent à la distinction des domaines. C’est en ce sens qu’a déjà incliné un récent jugement remarqué, lequel a in fine abouti à la mise à l’écart du régime d’ordre public des baux commerciaux, le droit au renouvellement qu’il comporte (ou, alter- nativement, l’indemnité d’éviction dont bénéficie le preneur) étant jugé incompatible avec les prescriptions de la directive Services (TJ Mans, 19 août 2021, n° 20/00813 : JCP A 2021, 2311, obs. Murgue-Varoclier). Quelques mois plus tôt, le Conseil d’État avait donné de l’épaisseur à l’idée admettant que, même antérieurement à l’ordonnance du 19 avril 2017, la dévolution des titres d’occupation du domaine public n’en restait pas moins comptable du respect de la directive (CE, 10 juill. 2020, n° 434582, Sté Paris tennis : Lebon ; Contrats-marchés publ. 2020, comm. 266, obs. Eckert ; RDI 2020, p. 538, obs. Foulquier ; JCP A 2020, 2322, obs. Vila ; AJCT 2020, p. 587, obs. Durand ; BJCP 2020, n° 133, p. 414, concl. Ciavaldini).

La cour administrative d’appel de Bordeaux s’est quant à elle montrée beaucoup moins sensible aux sirènes de la mise en concurrence, écartant – tout en admettant in abstracto son applicabilité – l’opposabilité de la directive Services au cas d’espèce, le contentieux s’étant cristallisé sur la passation d’un bail emphytéotique portant sur le luxueux hôtel du Palais dominant la plage de Biarritz. D’une part, la cour de retenir que sa dévolution ne subordonnait pas l’exercice d’une activité hôtelière. Dit autre- ment, pour la cour, il est possible d’exercer une activité hôtelière… autre part que sur le domaine (public ou privé), son accès ne conditionnant pas stricto sensu l’exercice d’une activité économique ; partant, le cas d’espèce n’entre pas dans le champ d’appli- cation de la directive, celui-ci étant circonscrit à l’existence d’un « régime d’autorisation » défini à l’article 4 § 6. D’autre part, et à titre surabondant, la cour d’ajouter que l’hôtel biarrot ne constitue pas une ressource rare au sens de l’article 12 de la directive Services, celui-ci ne visant que les « ressources naturelles » et les « capa- cités techniques utilisables ». Nul doute que cette interprétation très, voire trop littérale, suscitera la perplexité, notamment quant à la seconde branche du raisonnement. L’interprétation a toutefois le mérite de révéler combien le législateur délégué en 2017 est allé, s’agissant des titres du domaine public, au-delà de ce qu’exigeait la directive Services, l’obligation de transparence excédant l’hypothèse où le domaine serait l’unique medium en vue d’exercer une activité économique. Le décalque des solutions pour le domaine privé – préconisé par certains – n’a donc rien d’évident, surtout si l’on veut rappeler que la jurisprudence Promoimpresa a été rendue dans un cas particulier, l’exercice des activités économiques projetées ne pouvant en l’espèce s’exercer ailleurs… que sur le domaine public maritime et lacustre italien.

Il n’est pas interdit de penser que, de- main, s’il entendait – enfin – se saisir du dossier (pour une invite, v. Rép. min. à QE n° 41751 [J-P. Mattei] : JO AN 12 oct. 2021), le législateur pourrait, pour les biens du domaine privé, s’inspirer de cette interprétation restrictive ; façon, peut-être de ménager la chèvre (assurer l’exigence de publicité et mise en concurrence) et le chou (la préservation du régime des baux consentis sur le domaine privé). Pas certain, toutefois, que le droit français puisse s’en tirer à si bon compte, si l’on veut bien rappeler que, même en admettant la mise à l’écart de la directive Services, la jurisprudence Promoimpresa exige, dans le sillage de la jurisprudence Telaustria (CJCE, 7 déc. 2000, n° C-324/98 : Rec. CJCE 2000, I, p. 10745 ; Contrats- Marchés publ. 2001, comm. 50, obs. Llorens ; AJDA 2001, p. 106, obs. Richer ; Dr. adm. 2001, comm. 85, obs. Benjamin ; BJCP 2001, n° 15, p. 133, concl. Fenelly ; Europe 2001, comm. 61, obs. Kauff- Gazin), que les personnes publiques respectent en tout état de cause les règles fondamentales du Traité, en exerçant un degré de publicité adéquat et en garantissant l’impartialité de leurs procédures de dévolution. Quelques jours plus tôt, une autre cour administrative a toutefois balayé l’objection, le moyen n’étant « pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé » (CAA Nancy, 21 oct. 2021, n° 20NC00365 : Contrats- Marchés publ. 2022, comm. 26, obs. Muller), circonstance qui n’éludera donc pas le débat de fond.


Christophe Roux

Professeur de droit public
Directeur de l’EDPL (EA 666) Université Jean Moulin – Lyon 3