Affichage, signalisation et mobilier urbain – Philippe Zavoli

L’année écoulée a de nouveau été riche en évolution du droit positif. Celui-ci s’est attaché à modifier l’encadrement de la publicité à l’approche de la coupe du monde de rugby (I) et à renforcer l’obligation d’extinction nocturne de la publicité lumineuse (II). À l’inverse, le contentieux de la publicité extérieure ne brille pas par son originalité en raison de la récurrence des questions de droit soulevées et des solutions qu’apporte le juge administratif. C’est même à se demander si les acteurs publics du droit de la publicité extérieure (autorité de police, auteurs des RLP) ont une réelle connaissance des dispositions placées sous leur contrôle ou relevant de leur compétence (III) et (IV).

I. LE RÉGIME DE LA PUBLICITÉ EN « MODE OFF » DURANT LA COUPE DU MONDE DE RUGBY

Sur le modèle des dispositions adoptées dans le cadre des jeux olympiques et paralympiques de Paris par la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 1, la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 comporte un article 22 précisant le régime applicable à la publicité durant la coupe du monde de rugby devant se dérouler en France à l’automne 2023. Bien que la loi ait été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, on s’étonnera que les dispositions en cause n’aient pas été examinées et qualifiées de « cavaliers législatifs » et par suite censurées.

Quoi qu’il en soit, du 25 août 2023 au 30 octobre 2023, sur le territoire des communes concernées par la compétition (promotion, préparation, organisation ou déroulement), tous les dispositifs publicitaires supportant « exclusivement l’affichage des éléments de pavoisement officiel du groupement d’intérêt public chargé de l’organisation de la coupe du monde de rugby France 2023 » échappent aux dispositions issues tant du règlement national de publicité en matière de densité, de surface et de hauteur que des RLP/I qui auraient été institués. En bref, le droit de la publicité est mis en berne durant cette période et la liberté, totale, est de mise en la matière.

Pour faire bonne figure, le législateur a néanmoins envisagé que la publicité en cause soit soumise à déclaration préalable et que l’autorité de police compétente (le maire dans les communes à RLP/i, le préfet dans les autres communes) puisse s’opposer, dans un délai d’un mois, à son installation sans que ne soient indiqués les motifs fondant un tel refus ou de subordonner son installation au respect de conditions destinées à optimiser l’insertion architecturale, patrimoniale et paysagère des dispositifs, à réduire leur impact sur le cadre de vie environnant, à garantir la sécurité des personnes ainsi que l’intégrité et la conservation des sites et des bâtiments ou à prévenir d’éventuelles incidences sur la sécurité routière. Pour faire bonne figure car on imagine mal les autorités en question venir contrarier les annonceurs de la compétition…


II. LA QUASI-GÉNÉRALISATION DE L’OBLIGATION D’EXTINCTION NOCTURNE DE LA PUBLICITÉ LUMINEUSE

Le décret du 30 janvier 2012 portant règlement national de la publicité avait innové en imposant une règle d’extinction nocturne de la publicité lumineuse, faisant ainsi participer la publicité à la lutte contre la pollution lumineuse. Le principe était l’extinction de la publicité lumineuse entre 1 h et 6 h du matin, assorti de deux exceptions qui tenaient, pour la première, au lieu d’implantation de cette publicité et, pour la seconde, au support et au procédé publicitaire employés. Ainsi, la règle ne s’appliquait pas dans l’emprise des aéroports et dans les unités urbaines de 800 000 habitants et plus sauf si un règlement local de publicité (RLP) était institué, auquel cas celui-ci devait impérativement prévoir une règle d’extinction à des horaires librement déterminés. En outre la règle ne s’appliquait pas aux publicités éclairées par projection ou transparence ou numériques lorsqu’elles sont supportées par du mobilier urbain, sous réserve que l’image des dernières soit fixe. À la suite d’une concertation publique menée en décembre 2021 dont la portée dépassait cependant la seule question de l’extinction nocturne 2, un décret n° 2022-1294 du 5 octobre 2022 a été publié au Journal officiel 3, dans un contexte de crise énergétique. Son objet a été de renforcer l’obligation d’extinction nocturne. Désormais, seule la publicité lumineuse dans l’emprise d’un aéroport échappe à l’obligation. Dans les unités urbaines de 800 000 habitants et plus, la publicité lumineuse rejoint le régime de droit commun sans qu’il soit nécessaire d’adopter un RLP pour que l’extinction entre 1 h et 6 h s’applique. Par ailleurs, le décret a, à raison, limité l’exception dont bénéficiait la publicité lumineuse supportée par du mobilier urbain puisque celui-ci y est également soumis, sauf toutefois celui affecté aux services de transport et durant les heures de fonctionnement desdits services sous réserve, s’il s’agit de publicité numérique, que les images soient fixes. À raison, parce qu’aucun motif tiré de la lutte contre les nuisances lumineuses ne justifiait que la publicité supportée par le mobilier urbain échappe à l’obligation d’extinction nocturne et, à raison encore, la publicité lumineuse sur les abris voyageurs doit être allumée tout le temps que les services de transport en commun sont en activité. Des sanctions pénales ont été créées et les publicités qui ne respecteraient pas ces prescriptions sont passibles d’une contravention de la cinquième classe 4. On observera pour terminer – ce qui a suscité un contentieux que l’on examinera plus bas – que le pouvoir réglementaire a différé l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles au 1er juin 2023 pour les seules publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain alors que pour celles qui ne sont pas supportées par le mobilier urbain la réforme s’applique, conformément à l’article 1er du code civil, le lendemain de la publication du décret au Journal officiel, soit depuis le 7 octobre 2022.


III. LE CONTENTIEUX DU RÈGLEMENT NATIONAL DE PUBLICITÉ

Le décret du 5 octobre 2022 commenté plus haut a fait l’objet de recours tant en annulation (CE, 24 févr. 2023, n° 468221 : Lebon, T.) qu’en suspension (CE, réf., 26 oct. 2022, n° 468222) par le SNPE, un des principaux syndicats des professionnels de la publicité avec l’UPE. Le syndicat contestait notamment le fait que le pouvoir réglementaire n’ait pas institué de période transitoire – en l’occurrence une entrée en vigueur différée – pour la mise en œuvre de la nouvelle obligation d’extinction nocturne, comme le prévoit l’article L. 221-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), lorsque une nouvelle réglementation entraîne une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause, cette obligation s’appliquant pour ses adhérents dès l’entrée en vigueur du décret. Si dans le cadre de l’examen en référé de la requête aucun des moyens présentés par le syndicat n’a convaincu le juge de l’existence d’une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu’il entend défendre caractérisant une situation d’urgence, il n’en a pas été de même au fond. On ne s’arrêtera pas sur le moyen tiré – au demeurant écarté – de l’atteinte portée au principe d’égalité en ce que le régime d’extinction nocturne des dispositifs lumineux implantés sur l’emprise des aéroports ne soit pas étendu dans l’emprise du marché d’intérêt national

de Rungis. En revanche, est intéressant le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 221-6 du CRPA. En effet, l’article 4 du décret contesté prévoit, comme on l’a indiqué plus haut, que la nouvelle obligation d’extinction nocturne s’appliquera à compter du 1er juin 2023 pour la publicité apposée sur du mobilier urbain, mais ne dit rien des dispositifs lumineux qui ne sont pas apposés sur du mobilier ; ce qui signifie que la règle leur est applicable le lendemain de la publication du texte au JO. Le SNPE y a vu une attente au principe de sécurité juridique. Il faut dire que l’argument n’est pas dénué de fondement – et il a convaincu le juge – dès lors que le respect de cette obligation suppose que les dispositifs concernés comportent des boitiers permettant une programmation des horaires d’extinction de la source lumineuse, ce qui nécessite de l’envisager dès la phase de conception du matériel ou qu’à tout le moins les exploitants se déplacent pour éteindre et rallumer les panneaux lumineux. Et, en cela, le juge administratif y a vu une violation des dispositions du CRPA pour atteinte excessive aux intérêts des entreprises du secteur et il a annulé l’article 4 du décret en tant qu’il n’a pas prévu une entrée en vigueur différée pour les dispositifs lumineux autres qu’apposés sur du mobilier urbain.

Mais un différé de combien ? La décision est instructive à cet égard car elle rappelle le contexte général dans lequel a été adopté le texte, à savoir les risques de tensions sur le réseau électrique (qui ne se sont fort heureusement pas concrétisés). Surtout, elle souligne le fait que les professionnels de la publicité ont été consultés au moment de la phase de rédaction du projet de décret (printemps 2021) et avant que le projet de décret ne soit soumis à consultation publique (décembre 2021). Ils ne devaient donc pas être surpris de la règle qui allait prochainement leur être appliquée. De ces éléments, le juge a estimé que les pouvoirs publics auraient dû à tout le moins différer la réforme d’un mois. Convenons pour terminer que, sur le fond, la décision n’est pas décisive puisque lue le 24 février 2023, soit bien au-delà dudit délai d’un mois. Plus précisément, elle n’aura d’incidences que sur les (éventuelles) procédures de mise en conformité ou le prononcé de sanctions pénales à l’encontre des afficheurs pour des dispositifs lumineux en infraction entre le 7 octobre 2022 et le 7 novembre 2022, ce qui est plus que hautement improbable… En revanche, elle présente un intérêt qui dépasse largement le droit de la publicité extérieure en rappelant au pouvoir réglementaire la nécessité de bien apprécier la portée des mesures qu’il adopte à la lumière de l’obligation résultant de l’article L. 221-6 du CRPA, ce qui explique pourquoi l’arrêt est mentionné aux tables.

La société Oxial, spécialiste de la publicité numérique, n’en finit pas de contester les conditions dans lesquelles est calculée la surface des dispositifs qu’elle exploite quand ce ne sont pas les RLP qui limitent, drastiquement, ce procédé publicitaire, ainsi qu’on le verra plus loin. On sait, depuis deux arrêts rendus par le Conseil d’État les 20 octobre 2016 5 et 8 novembre 2017 6, que les articles R. 581-34 et R. 581-41 du code de l’environnement – issus du décret du 30 janvier 2012 portant règlement national de publicité – qui limitent leur surface à 8 m2, combinés à l’article L. 581-3 qui définit la publicité doivent être interprétés comme incluant, pour le calcul de cette surface, non seulement l’écran mais aussi le cadre de la publicité. Non contente de cette solution, la société reproche à l’État, cette fois sur le terrain indemnitaire, d’avoir commis une faute en l’ayant induite en erreur en raison d’une interprétation erronée des dispositions réglementaires dans un guide rendu public en août 2012, et ce jusqu’à ce que le ministère change de doctrine l’année suivante à ce sujet, entérinée par une instruction ministérielle du 24 mars 2014 et validée ensuite par les arrêts sus-évoqués. Amenée à examiner le recours en appel (CAA Douai, 5 avr. 2022, n° 20DA01953, Sté Oxial) 7, la cour administrative d’appel de Douai reconnaît l’existence d’une faute commise par l’État en évoquant un précédent arrêt du Conseil d’État en date du 6 octobre 1999 8 qui avait retenu une même interprétation du calcul de la surface publicitaire qui aurait dû conduire l’État à adopter une doctrine claire à ce propos. Certes le contexte réglementaire était différent au moment des faits de cette affaire, mais la cour de Douai souligne que l’article L. 581-3, lui, n’a jamais changé. Il disposait déjà que constitue une publicité toute inscription, forme ou image destinée à informer le public ou à attirer son attention et, constitue également une publicité, le dispositif destiné à recevoir une telle inscription, forme ou image. La faute de l’État est de n’avoir jamais tenu compte de cet arrêt et d’avoir continué à appliquer une circulaire du 12 mai 1981 qui, bien que non publiée, recommandait aux services de l’État de faire échapper « les moulures » des publicités du calcul des surfaces unitaires maximales. À la décharge de l’État, il faut convenir que cette décision semblait d’espèce ou, à tout le moins, son intérêt se situait ailleurs. Elle concernait le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de police en raison de la méconnaissance des dispositions d’un règlement local de publicité et non pas des dispositions réglementaires alors applicables sur la surface maximale des publicités. Pour autant, si faute il y a, elle n’est caractérisée que jusqu’à la publication de l’instruction du 24 mars 2014. Au-delà, les préjudices que subiraient la société Oxial en raison du dépôt de son matériel qui ne respecterait pas les surfaces publicitaires maximales sont en réalité dus, estime la juridiction administrative, à son « imprudence en ne tenant aucun compte de l’interprétation retenue par le Conseil d’État dans sa décision du 6 octobre 1999 ». Avant cette date, c’est néanmoins d’une victoire à la Pyrrhus dont profite l’entreprise puisqu’elle n’est pas parvenue à convaincre de la réalité des préjudices subis conduisant in fine à la confirmation du rejet de sa demande.

1. Les carences dans la mise en œuvre du pouvoir de police

Voilà une affaire (TA Bastia, 15 juill. 2022, n° 2000795, Assoc. Paysages de France) dont les faits et l’issue sont en tout point identiques à ceux qu’a jugé la cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêté commenté l’an passé dans ces colonnes 9. Où l’on voit encore un préfet pris en flagrant délit de défaillance dans l’usage de son pouvoir de police de la publicité qu’il tient de l’article L. 581-27 du code de l’environnement. Les associations agréées de protection de l’environnement, ici Paysages de France, sont désormais rompues à l’exercice et obtiennent de la juridiction administrative de désarmantes décisions, encore qu’il faille ici souligner l’incompréhensible lenteur du tribunal administratif de Bastia qui a mis près de six ans pour statuer sur une affaire ne présentant aucune difficulté particulière. Lorsqu’elles constatent l’existence de dispositifs publicitaires en infraction avec la réglementation, ces associations établissent de minutieuses fiches de constat d’infraction puis saisissent le représentant de l’État dans le département afin qu’il mette en œuvre les pouvoirs que la loi lui confère, à savoir mettre les afficheurs en demeure de faire cesser les infractions par la dépose des dispositifs. Mais, le plus souvent, ce dernier ignore la demande, donnant ainsi naissance à une décision implicite de refus qu’elles portent alors devant la juridiction administrative assortie d’une injonction d’agir et, dans certains, cas d’une demande indemnitaire 10. Ici comme à Nantes, les infractions ne faisaient aucun doute, révélant la carence de l’autorité dans l’usage de son pouvoir de police. Ici comme à Nantes, l’État, qui avait fait appel du jugement pour ce motif, a eu la confirmation par la cour administrative d’appel de Marseille 11, de ce que si l’article L. 581-32 du code de l’environnement place expressément le préfet en situation de compétence liée pour mettre en œuvre son pouvoir de police dès qu’il est saisi par une telle association au vu d’une publicité en infraction, cela ne le dispense pas d’exercer son pouvoir d’appréciation au vu d’éléments portés à la connaissance par un tiers lorsque l’infraction concerne une enseigne – non visée dans le dispositif de l’article L. 581-32 – et de prendre les mesures nécessaires afin qu’il soit mis fin à cette situation irrégulière.

2. Les carences dans la mise en œuvre de son pouvoir de substitution

Une variante de la situation décrite plus haut consiste, pour ces mêmes associations de protection de l’environnement, à saisir cette fois le maire d’une commune couverte par un RLP afin qu’il mette de la même manière en œuvre son pouvoir de police au vu des infractions qu’elles ont constatées. Et, devant le silence du maire, les associations sollicitent le représentantde l’État afin qu’il demande au maire de faire constater les infractions. Ce pouvoir de substitution, encadré par l’article L. 581- 14-2 du code de l’environnement, n’est pas davantage mis en œuvre. Une affaire jugée à Bordeaux en est une parfaite illustration (TA Bordeaux, 20 déc. 2022, n° 2005220, Assoc. Paysages de France). Devant le silence de la préfète de Gironde, l’association Paysages de France a saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin d’obtenir l’annulation de la décision implicite de rejet assortie d’une injonction de faire. Si en défense, la préfète a montré qu’elle n’était pas restée inactive en ayant interpelé à plusieurs reprises le maire défaillant, le maintien, sur le territoire de la commune, des différents dispositifs en infraction au moment de la saisine de la juridiction a conduit cette dernière à annuler le refus implicite et à enjoindre la préfète de Gironde à se substituer au maire et mettre en œuvre son pouvoir de police dans un délai de six mois sans toutefois l’assortir d’une astreinte. On précisera que la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a expressément abrogé le pouvoir de substitution du préfet à compter du 1er janvier 2024. En effet, on sait qu’à cette date seul le maire (ou le président de l’Epci) sera autorité de police de la publicité, que la commune soit ou non couverte par un RLP, l’État ayant perdu cette compétence. Mais il n’est pas dit qu’il disparaisse pour autant, ne serait-ce que parce qu’il est reconnu au préfet la possibilité de prendre, « dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques » par application du 1° de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales. Certes, il s’agit d’un pouvoir de substitution au pouvoir de police générale du maire, mais l’on pourrait aisé- ment concevoir la consécration d’un principe général du droit reconnaissant au préfet, au nom des pouvoirs que l’article 72 de la Constitution lui confère, un pouvoir général de substitution, fort utile, pour autant bien sûr qu’il soit exercé…

3. L’atteinte supposée à la sécurité routière

L’impact visuel de la publicité numérique a conduit le législateur à soumettre ce procédé publicitaire à un régime d’autorisation préalable à la différence des dispositifs non lumineux qui, eux, ne sont soumis qu’à déclaration préalable. Lorsqu’elle est accordée, l’autorisation vaut pour une durée maximale de huit ans. L’instruction de la demande est fondée sur l’article R. 581-15 du code de l’environnement, lequel renvoie à l’article R. 418-4 du code la route. De sorte que la publicité lumineuse ne doit ni être une source de nuisances visuelles pour l’homme et l’environnement, ni un risque d’éblouissement pour les usagers de la route. C’est sur ce dernier fondement que le maire de Mende avait refusé l’installation d’un panneau numérique au motif qu’il sollicitait l’attention des automobilistes dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière du fait de son implantation à proximité d’un passage piéton et de la forte fréquentation de la zone. Mais la cour administrative d’appel de Toulouse n’a pas été convaincue par ce motif de refus en raison de la configuration des lieux permettant une visibilité importante des usagers du fait du tracé rectiligne de la voie et de ce qu’un même dispositif numérique implanté dans des lieux présentant une configuration analogue n’avait occasionné aucun incident de circulation. Elle a donc confirmél’annulation du refus d’autorisation qu’avait décidé le tribunal administratif de Nîmes (CAA Toulouse, 19 janv. 2023, n° 20TL04409, Cne de Mende) 12. Où l’on voit combien il est difficile d’instruire ce type de demande et, précisément, de les interdire sur le fondement de l’atteinte à la sécurité routière. Le paradoxe est qu’il faudrait d’abord que des accidents surviennent pour justifier un refus de nouvelles installations, ce qui est éloigné du caractère préventif de la police administrative. Au surplus, il n’est pas davantage admis, dans le cadre de l’institution d’un règlement local de publicité (RLP), d’instituer une interdiction de la publicité numérique aux abords des carrefours et intersections, un tel document ne pouvant poursuivre des motifs de sécurité routière 13


IV. LE CONTENTIEUX DES RÈGLEMENTS LOCAUX DE PUBLICITÉ

Voilà une décision qui ne manquera pas d’étonner. La commune deThonon-les-Bains prévoit dans certaines des zones de son RLP une règle de densité des dispositifs publicitaires implantés sur les unités foncières plus sévère que celle résultant de l’article R. 581-25 du code de l’environnement. Un afficheur local en a demandé l’abrogation par l’autorité compétente – désormais la communauté d’agglomération dont est membre la commune – au motif que le document institue une discrimination illégale entre les dispositifs implantés sur unité foncière et ceux implantés sur le domaine public. En effet, le règlement ne prévoyant aucune disposition particulière à l’égard de ces derniers, c’est la règlementation nationale qui s’applique, moins sévère que la règle instituée chez les propriétaires privés. Estimant que cette différence de traitement ne reposait sur aucun des objectifs de la loi, la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 22 déc. 2022, n° 21LY00384, Cté d’agglo. Thonon Agglomération) a jugé que le RLP était illégal dans cette mesure et a annulé le refus du président de l’Epci d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée communautaire l’abrogation des dispositions discriminatoires du RLP. On avouera ne pas être convaincu par une telle solution. Si comme le rappelle à raison la cour, c’est sur le fondement des articles L. 581-9 et L. 581-14 du code de l’environnement qu’un RLP prescrit des dispositions plus sévères que la règlementation nationale, c’est aussi au vu d’un diagnostic territorial que ce règlement est établi. Et s’il révèle une présente forte de la publicité sur les unités foncières, il est alors logique que des mesures de densité plus restrictives que celles issues de la règlementation nationale soient adoptées. Au surplus, sur le domaine public, la situation de la publicité est bien différente. La très grande majorité des dispositifs publicitaires sont apposés sur du mobilier urbain, lequel d’ailleurs ne fait l’objet d’aucune mesure nationale de restriction de densité. Ce qui conduit à ce que les RLP ne prévoient aucune disposition particulière pour la publicité sur le domaine public (hors mobilier urbain) renvoyant par ce silence à l’application des règles nationales. Si une telle solution venait à être confirmée par le Conseil d’État – même si on ne sait pas si la communauté d’agglomération a formé un pourvoi en cassation – c’est la plupart des RLP qui seraient par suite illégaux sur ce fondement car bien rares sont ceux s’étant emparés, spécifiquement, de la question de la publicité implantée sur le domaine public…

a place de la publicité numérique dans les RLP est scrutée avec attention par le syndicat national de la publicité numérique 14 (SNPN 15) ou ses adhérents, telle la société Cocktail Développement. On les comprend. En raison de l’impact visuel de la publicité numérique, les rédacteurs des RLP en limitent souvent drastiquement l’implantation ainsi que nous l’enseigne cette année les contentieux nés des recours contre le RLPi de la métropole de Lille (TA Lille, 3 avr. 2023, n° 2001232, SNPE) ou de la communauté d’agglomération Bourges Plus (TA Orléans, 28 mars 2023, Sté Cocktail Développement et Sté Pixity). Le SNPN tout comme la société Cocktail ont d’abord reproché aux deux RLPi d’instituer une interdiction générale et absolue de la publicité numérique dans certaines de leurs zones de publicité. La réalité est cependant différente, tout du moins du point de vue du procédé publicitaire. En effet, si certaines zones n’interdisent pas cette forme de publicité, elles ne l’autorisent cependant que sur le seul mobilier urbain. Le syndicat a eu beau souligner que comme ses adhérents n’étaient pas titulaires de contrats de mobilier urbain, ils étaient dans l’impossibilité d’exercer leur activité, l’argument a été écarté par les magistrats lillois au motif que rien ne les empêchait d’y candidater, puisque ces marchés font « l’objet, à échéance régulière, de procédure de publicité et de mise en concurrence, permettant à tout opérateur intéressé de concourir à son obtention ». De la même manière, le moyen a été écarté par le tribunal administratif d’Orléans, ce dernier rappelant que le mobilier urbain n’était pas un support publicitaire comme les autres « en ce qu’il n’a qu’une vocation publicitaire accessoire, et à pour objet principal de répondre aux besoins des administrés ».

On peut comprendre les réponses données par les deux juridictions qui rappellent de concert que les autorités locales disposent d’un large pouvoir de réglementation de la publicité lorsqu’ils adoptent des RLP, mais c’est oublier, d’une part, que les adhérents de ce syndicat n’exercent pas leur activité dans le domaine du mobilier urbain ce qui conduit, de facto, à les priver de toute possibilité d’implanter de la publicité numérique et, d’autre part, que, du point de vue de l’impact visuel d’un écran dynamique, qu’il soit supporté par du mobilier urbain ou non, son atteinte au cadre de vie est rigoureusement le même…

Philippe Zavoli, Maître de conférence HDR en droit public, institut fédératif de recherches sur les transitions Juridiques Université de Pau et des Pays de l'Adour

Philippe Zavoli
Maître de conférence HDR en droit public
Institut fédératif de recherches sur les transitions Juridiques Université de Pau et des Pays de l’Adour